LE
MEDIUM D.D. HOME
SA VIE ET SON CARACTERE
D’après des documents authentiques
Par
LOUIS GARDY
INTRODUCTION
Parmi les propagateurs du spiritualisme moderne, ainsi que l'appellent les Anglais, du spiritisme, suivant le terme plus explicite employé par Allan Kardec, il n'en est point sur lequel la légende se soit plus exercée que sur D. D. Home. Sa vie mouvementée et vraiment merveilleuse était bien digne, d'ailleurs, de fixer l'attention et d'exciter la verve de ceux qui aiment à parler de tout ce qu'ils savent - et aussi, malheureusement, de ce qu'ils ne savent pas.
« Le vrai n'est pas toujours vraisemblable. » Cet axiome trouve dans la carrière de Home une application singulièrement frappante ; faut-il s'étonner si, dans notre siècle de scepticisme, la négation l'a emporté sur l'affirmation, le mensonge sur la vérité, en ce qui concerne ce célèbre médium ? Il serait facile, cependant, de s'assurer si Home mérite ou non la confiance ou le blâme ; il existe, en effet, de nombreux documents et des attestations de témoins, dont la compétence et l'honorabilité sont également incontestées, qui établissent irréfutablement ses facultés extraordinaires.
De son vivant, Home a publié deux ouvrages, dans lesquels il raconte quelques-unes des péripéties de son existence. Mais, d'un caractère plutôt timide et poussant la délicatesse à ses extrêmes limites, il ne voulut jamais nommer, sans leur autorisation, les nombreuses personnes qui, ayant assisté à ses séances, avaient obtenu des preuves absolues de la réalité de son pouvoir médianimique. Aussi, sauf quelques rares exceptions, ne trouve-t-on, dans les deux éditions de ses Incidents of my Life[1], (traduites sous le titre : Révélations sur ma vie surnaturelle), au lieu des noms complets de ceux qui auraient pu attester l'exactitude de ses récits, que des initiales qui ne permettent pas de reconnaître les personnes en cause. Dans Lights and Shadows of Spiritualism[2], ouvrage qui parut plus tard et fut, comme le premier, traduit en français, il ne s'est pas départi de sa réserve, quoiqu'on l'eût accusé d'avoir avancé des faits qu'il ne lui était pas possible de prouver par des témoins dignes de foi.
Mme Dunglas Home, sa veuve, a entrepris sa réhabilitation et dans deux volumes : D. D. Home his Life and Mission et The Gift of D. D. Home[3], publiés, le premier en 1888, le second en 1890, elle fait la biographie complète de son mari. Ses récits sont appuyés sur les affirmations de centaines de témoins dont elle possède les lettres. C'est un recueil de documents des plus intéressants ; il servira, dans l'avenir, à ceux qui voudront faire l'histoire du spiritisme et des difficultés qu'il a rencontrées à son début.
La « Society for Psychical Research » de Londres, eût désiré entrer en possession de ces manuscrits mais Mme Dunglas préfère les garder, en attendant de trouver une bibliothèque présentant toutes les garanties qu'elle juge nécessaire, à l'abri également de l'incendie, et des détournements ou détériorations, toujours possibles.
La « Society for Psychical Research » n'a pu, en conséquence, que déléguer deux de ses membres : son secrétaire, M. Myers et M. le prof. Barrett, auxquels Mme Dunglas a soumis sa précieuse collection ; ces Messieurs ont fait, après examen, une déclaration catégorique, dont voici le résumé :
« D. D. Home : His Life and Mission, ouvrage dans lequel Mme Home, la seconde femme de D. Dunglas Home, a raconté la carrière médianimique de feu son mari, est un livre qui mérite l'attention de tous ceux qui s'intéressent aux phénomènes supra-normaux. Si nous avons attendu une année pour en rendre compte, c'est, d'une part, dans l'espoir, aujourd'hui réalisé, qu'il nous serait permis d'examiner les originaux des lettres importantes citées dans ces pages et, d'autre part, parce que nous pensions pouvoir réunir des preuves, en nombre suffisant, venant ou appuyer ou contredire les témoignages apportés. Mme Home a bien voulu se rencontrer à Paris avec l’un de nous, M. Myers, et l'a autorisé à examiner en toute liberté les autographes sur lesquels se fonde la valeur de ce livre. La conclusion est, que ces lettres doivent être considérées comme authentiques. M Myers a reconnu dans un certain nombre l'écriture des correspondants ; pour d'autres, il a pu s'assurer des dates et de leur provenance par les timbres-poste, les sceaux officiels, les monogrammes, etc. ; il n'y a absolument rien trouvé qui fût de nature à éveiller le soupçon. Les lettres sont reproduites aussi textuellement que possible, les seules corrections apportées étant celles nécessitées par la suppression des quelques fautes qui se rencontrent volontiers dans des correspondances, faites parfois à la hâte. »
« A part les rapports concernant M. Crookes, les comptes rendus des phénomènes publiés du vivant de Home ont été fort incomplets et insuffisants. Les plus circonstanciés se trouvent dans Incidents in my Life, et cet ouvrage ne contient lui-même que bien peu de noms des témoins de ces expériences. Des récits anonymes sur un sujet aussi exceptionnel ne peuvent pas convaincre le monde scientifique ; aucun critique n'oserait garantir l'authenticité de témoignages de ce genre. De son côté, Home affirmait que ce n'était que par égard pour les intéressés qu'il n'avait pas divulgué leurs noms, beaucoup d'entre eux craignant d'être ridiculisés, si l'on venait à savoir dans le public qu'ils admettaient la réalité des faits. « Il est certain », dit Mme Home, « qu'il y avait de la part de mon mari un véritable Don Quichottisme à ménager ainsi la timidité de ses amis, mais on ne peut pas nier qu'il ait fait preuve de générosité et de désintéressement en agissant ainsi. » Aussi la publication de la Vie et Mission de Home a-t-elle eu pour but principal de prouver la vérité de tout ce qui était raconté dans les Incidents, qu'elle complète par un certain nombre de faits qui y avaient été omis. C'est pour cela que Mme Home a fait connaître ceux qu'elle a pu retrouver, des noms supprimés par son mari et qu'elle y a joint les lettres d'autres témoins qui viennent confirmer les premières[4].
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C'est donc en s'appuyant sur des documents irrécusables que Mme Dunglas Home raconte, dans les deux ouvrages ci-dessus mentionnés, les péripéties de la vie de son mari ; le lecteur verra plus loin qu'il était de toute nécessité d'apporter à l'appui de cette biographie des témoignages d'une évidente sincérité. C'était le seul moyen de réduire à leur juste valeur les appréciations injustes et les calomnies de toute sorte, par lesquelles la malveillance a cherché à ternir la mémoire de cet intéressant médium.
CHAPITRE PREMIER
Notice biographique
Daniel Dunglas Home est né près d'Edimbourg, le 20 mars 1833 ; ses parents descendaient d'anciennes familles écossaises. Dans celle de sa mère - la famille Mac Neill - on possédait le don de double vue, traditionnel en Ecosse, et sa mère était elle-même douée de cette faculté.
Home fut adopté, dès son bas âge, par une tante qui n'avait pas d'enfants et qui l'éleva à Portobello jusqu'à l'âge de neuf ans. A cette époque, elle émigra en Amérique avec son mari. L'enfant suivit ses parents adoptifs dans leur nouvelle résidence. Il était très sensitif, d'un tempérament extrêmement nerveux et d'une santé si délicate qu'il semblait destiné à une fin prématurée. Malgré sa frêle constitution, toutefois, il avait un heureux naturel et une gaîté de caractère qu'il conserva au cours de sa carrière, en dépit des dures épreuves par lesquelles il eut à passer. «Je me souviens de lui, » écrit un de ses anciens condisciples, M. Carpenter, maire de Norwich (Connecticut), « comme du meilleur garçon du monde ; de tous mes camarades, je n'en ai pas connu de plus gai, de plus affectueux, de mieux disposé à rendre service ; il avait du goût pour l'étude, mais, en dehors des heures de classe, il aimait à courir la campagne et les bois en compagnie d'un ou deux amis préférés. Personnellement, je ne crois pas au spiritisme, ne m'en étant jamais occupé ; mais je sais que mon ancien ami était foncièrement honnête et sincère dans ses convictions[5]. »
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Après avoir habité Norwich pendant un certain temps, il vint avec son oncle et sa tante résider à Troy, ville de l'Etat de New-York. Ce fut là que sa faculté médianimique se manifesta pour la première fois. Il avait pour ami intime un camarade nommé Edwin. Ils se promenaient fréquemment ensemble dans les bois et s'y installaient pour des lectures, dont l'un et l'autre étaient également friands. Edwin ayant lu, pendant une de ces excursions, le récit d'une apparition très romanesque, une discussion s'engagea sur ce sujet entre les deux amis. Après s'être demandé quelle créance convenait d'accorder à un tel fait, ils conclurent par la mutuelle promesse que celui des deux qui mourrait le premier viendrait l'annoncer au survivant. Quelques semaines après, Home partait pour Troy, distant de trois cents milles environ de Norwich. Il avait alors treize ans.
Au mois de juin suivant, il rentrait un soir, un peu tard, de chez un ami. Craignant d'être réprimandé par sa tante, il se retira sans bruit. La nuit était belle, et la lune éclairant suffisamment sa chambre sans rideaux, il ne prit pas la peine d'allumer sa bougie ; au moment où il se mettait au lit, un fait se produisit, qu'il raconte ainsi dans Incidents : « Pendant que je m'installais sous ma couverture, la chambre me parut s'assombrir subitement, ce qui m'étonna d'autant plus, que je n'avais pas aperçu le moindre nuage au ciel. Regardant du côté de la fenêtre, je distinguai très bien la lune, mais au travers d'une ombre qui devint de plus en plus intense et qui laissait passer une lumière, que je ne saurais comment décrire, semblable toutefois à celle que moi et bien d'autres avons vue depuis lors, quand une présence spirituelle vient éclairer une chambre. Cette lumière étant devenue plus vive mes yeux se portèrent vers le pied de mon lit et j'y vis mon ami Edwin. Je le voyais comme enveloppé d'un nuage brillant qui illuminait son visage, lui donnant une netteté que n'a pas celui des mortels. Il me regardait avec un sourire d'une douceur ineffable et, levant le bras droit, il en traça trois cercles ; la main commença alors à se dissoudre, puis le bras ; après quoi le corps entier s'évapora peu à peu. La chambre avait repris sa clarté naturelle. Je restai sans voix et sans mouvement, quoique j'eusse conservé toutes mes facultés intellectuelles. Aussitôt que j'eus recouvré l'usage de mes membres, je sonnai ; on accourut, pensant que j'étais malade, et mes premiers mots furent : «J’ai vu Edwin, il est mort il y a trois jours. » Un jour ou deux après arrivait une lettre, annonçant qu'il était mort après une très courte maladie[6]. »
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Quatre ou cinq ans plus tard - en 1850 - Home eut une seconde vision de même genre. Il habitait de nouveau Norwich, où il était retourné avec sa tante ; ses parents, qui avaient aussi émigré en Amérique, étaient domiciliés à une douzaine de milles de là, dans la ville de Waterford. Mme Home, étant un jour seule avec son fils, lui annonça qu'elle le quitterait dans quatre mois ; sa petite sœur Mary, disait-elle, lui était apparue et le lui avait prédit. Quelque temps après, Mme Home alla faire un séjour chez des amis ; juste à l'époque fixée pour son retour, sa famille recevait un télégramme, annonçant qu'elle était tombée gravement malade. Son mari dut partir immédiatement pour aller la rejoindre ; le fils, alité lui-même, ne put pas l'accompagner. Le même soir, la tante, s'entendant appeler par le jeune malade, s'empresse de se rendre auprès de lui et le trouve dans un état de grande surexcitation. « Tante, » dit-il, « maman est morte à midi ; je viens de la voir et elle me l'a dit. » Croyant qu'il avait du délire, sa tante chercha à le calmer ; mais le fait n'était que trop vrai : sa mère était morte le même jour, à midi, précisément quatre mois après la prédiction qu'elle lui en avait faite.
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Les premières manifestations par coups frappés, dont Home fut l'intermédiaire, amenèrent entre sa tante et lui de sérieux dissentiments ; son caractère et les visions qu'il avait eues le prédisposaient à l'examen des problèmes de l'au-delà ; sa tante, au contraire, avait sur ces questions une manière de voir bien différente ; persuadée que les bruits insolites qui se faisaient entendre en présence de son neveu - dans la chambre duquel avaient débuté ces bruits tout spontanés - étaient provoqués par une influence diabolique, elle s'adressa aux trois clergymen de Greeneville, - où ils habitaient alors, - membres de trois sectes différentes, - un congrégationaliste, un baptiste et un méthodiste, - dans l'espoir que l'un ou l'autre trouverait le moyen de mettre un terme à ces fâcheuses manifestations. Mais l'effet produit ne fut pas ce qu'ils en attendaient. Le ministre baptiste avait proposé de chasser Satan par la prière : « Pendant que nous nous y livrions, » dit Home, « de légers raps se firent entendre sur sa chaise et sur plusieurs points de la salle et, chaque fois que nous implorions la miséricorde divine, soit pour nous, soit pour nos semblables, des raps bien accentués semblaient intercéder aussi avec nous. Je fus tellement frappé de ces manifestations, que je me promis alors, à genoux, de me consacrer entièrement à Dieu et de suivre les directions qui m'étaient ainsi données en tout ce qui me paraîtrait juste et bon, car tel devait bien être le but des témoignages d'approbation donnés à ces périodes spéciales de la prière. Cette circonstance décida en réalité de ma vie tout entière et je n'ai jamais regretté d'avoir pris cette détermination, malgré les nombreuses épreuves qui en résultèrent pour moi pendant bien des années[7]. »
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A partir de ce jour, les raps devinrent plus fréquents, mais on n'avait encore fait aucune expérience pour chercher à savoir si ces bruits devaient être attribués à une intelligence quelconque ; ce fut chez une veuve qui habitait dans le voisinage qu'on s'en rendit compte pour la première fois ; on se servit de l’alphabet, et des réponses aux questions posées furent obtenues par ce moyen. Les habitants de Greeneville commencèrent alors à s'émouvoir et à envahir la maison, ce qui mit le comble aux perplexités religieuses de Mme Mac Neill Cook. Au nombre des assistants se trouvait une dame Force. La table dicta par des raps le nom de sa mère. Elle reçut ensuite un message, dans lequel on lui reprochait d'avoir oublié une sœur partie pour l'Ouest avec son mari une trentaine d'années auparavant et dont on n'avait eu dès lors aucune nouvelle. Le nom de la ville qu'habitait actuellement cette sœur ayant été donné, Mme Force écrivit à l'adresse indiquée et, à sa grande surprise, elle obtenait, bientôt après, une réponse à sa lettre.
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Bien loin de ne voir - comme tant d'autres - qu'une chose ridicule dans ces communications par la table, la tante de Home en admettait parfaitement la réalité, mais elle les considérait comme impies et l'invasion de sa demeure par la foule des curieux lui causa une véritable terreur. Elle déclara, en conséquence, que puisque les Esprits ne voulaient pas quitter la maison, c'était à son neveu de la quitter, et elle le mit à la porte.
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Home trouva chez un ami, dans la ville voisine de Willimantic, un asile temporaire. Il aurait pu garder rancune à sa tante de cette manière d'agir à son égard, mais il avait le cœur haut placé et ne conserva que le souvenir des soins qu'elle lui avait prodigués dans son enfance ; aussi, le premier usage qu'il fit de sa fortune, lorsque Mrs. Lyon - comme nous le verrons plus loin - mit à sa disposition une somme considérable, fut-il de lui faire don d'un cottage dans lequel elle passa le reste de ses jours et où elle mourut, en 1876, à la suite de l'émotion qu'elle éprouva, à la fausse nouvelle de la mort de son neveu.
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La publicité donnée par les journaux aux manifestations qui continuaient à se produire en sa présence lui attirèrent à Willimantic, comme ailleurs, un si grand nombre de visiteurs, qu'il se décida à quitter cette localité pour aller se fixer à Lebanon, dans une propriété rurale appartenant à la famille Ely. Ce fut à cette époque - en 1851 - qu'il opéra sa première guérison médianimique. Le récit qu'il en fait dans Incidents est assez curieux pour mériter d'être rapporté : « Pendant la seconde semaine de mon séjour à Lebanon », dit-il, « j'étais allé passer un jour ou deux dans une famille qui demeurait à environ trois milles de là. Une après-midi, je tombai en trance. Lorsque je revins à moi, la dame de la maison me dit que je m'étais entretenu avec un Esprit qui m'ordonnait de me rendre sur-le-champ chez un M. B... Connaissant à peine ce monsieur, il me semblait fort étrange d'avoir à me présenter chez lui, sans savoir ce que je venais y faire et sans autre prétexte que ce message de mes amis invisibles. C'était à six milles de l'endroit où je me trouvais et j'étais obligé de faire à pied la moitié du trajet. »
Après bien des hésitations et de nouvelles extases dans lesquelles ses guides lui reprochèrent de manquer de foi, il se décida à partir pour Lebanon et de là, à cheval, pour la destination indiquée. « Au moment de mettre pied à terre, » ajoute-t-il, « un orage s'annonçait et, avec la première goutte de pluie qui tomba sur ma main, il me vint à l'idée que la mère de M. B... était dangereusement malade. Je sonnai et ce fut M. B... lui-même qui vint m'ouvrir. « Madame votre mère est malade, » lui dis-je, « J'ai été envoyé pour prescrire le remède. » - « Comment,» fit-il, « pouviez-vous la savoir malade, lorsqu'elle ne l'est que depuis une heure et que nous avons envoyé chercher un médecin dans une direction opposée à celle d'où vous venez ? Mais je crains qu'il n'arrive trop tard, car ma pauvre mère s'en va rapidement. » Ayant attendu quelques instants qu'il me vînt une impression quelconque, je tombai tout à coup en extase et, dans cet état, je me dirigeai vers la chambre de la malade ; là, quelques passes faites sur elle, de ma main, calmèrent ses douleurs aiguës et, peu d'instants, après, elle dormait tranquillement. Durant mon état de somnambulisme, j'avais ordonné l'usage immédiat de quelques herbes et l'emploi régulier de quelques autres. Je fus fort surpris de ce qui s'était passé lorsqu'on me le raconta, à mon retour à l'état normal. Quand, une heure plus tard, le médecin arriva, il trouva sa malade hors de danger et déclara, après l'avoir examinée, que, d'après la nature de l'attaque, les conséquences en auraient été probablement fatales si l'on n'eût pris des mesures immédiates pour en combattre les symptômes. « Ma mère ne s'est jamais aussi bien portée depuis dix-huit ans, » écrivait M. B..., quelques semaines plus tard, à un de ses amis : « elle suit strictement les instructions données par Daniel et l'effet en est magique[8]. »
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La santé de Home s'améliora pendant son séjour à Lebanon ; il savait que la pratique de la médiumnité lui causait une déperdition de force vitale, et ses amis Ely, qui avaient fait la même remarque, l'engageaient à se ménager et à résister aux instances de ceux qui, abusant sans scrupule de sa bonne volonté, réclamaient de lui des séances trop multipliées.
Il n'en fut pas de même à Springfield (Massachusetts) où il vint demeurer, en 1852, chez M. Rufus Elmer, un des notables de l'endroit. « Pendant le temps que j'y séjournai, » dit-il, « les manifestations attirèrent une foule de gens désireux de voir de leurs propres yeux les phénomènes ; la force était alors considérable et je tins souvent jusqu'à six ou sept séances dans un seul jour. On venait de fort loin, même du Far-West, où les journaux avaient parlé de moi l'année précédente. »
On lit à ce sujet dans Life and Mission[9] un compte rendu signé du célèbre poète Bryant, du prof. Wells, de l'Université d'Harward et de MM. Bliss et Edwards, donnant les détails d'une séance à laquelle ils ont assisté et des phénomènes intéressants qu'ils y ont observés en pleine lumière ; ils concluent à l'impossibilité de toute mystification dans les conditions où ils se trouvaient.
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Les merveilleuses cures, qu'il avait opérées suggérèrent à Home l'idée de se vouer à la carrière médicale il avait alors 19 ans et, n'acceptant jamais de rémunération, sa position était fort précaire. Il fit part de son projet à ses hôtes mais ceux-ci, sans le désapprouver absolument, lui firent une proposition bien inattendue - n'ayant pas d'enfants, ils désiraient faire de lui leur fils adoptif et leur héritier, à la seule condition qu'il remplacerait son nom de Home par celui de Elmer. Il y avait là de quoi tenter un jeune homme sans aucune fortune et cependant, après y avoir sérieusement réfléchi et avoir consulté ses amis Ely, il se décida à décliner l'offre qui lui était faite. « Vous devez être très reconnaissant envers M. Elmer de la bonté qu'il vous témoigne, » lui avait-on écrit de chez les Ely, « mais prenez garde toutefois de prendre une détermination hâtive que vous auriez peut-être à regretter les uns ou les autres. Pourquoi ne feriez-vous pas votre chemin sous votre propre nom ? » Ce conseil répondait au sentiment intime de Home, qui tenait à son indépendance et n'aurait pas voulu engager les Elmer dans une démarche dont ils se seraient peut-être repentis plus tard. Il partit peu après pour New-York, mais il ne conserva pas moins d'excellentes relations avec ceux qui avaient désiré devenir ses parents adoptifs.
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Il fit à New-York la connaissance de plusieurs personnages célèbres, celle entre autres du prof. Hare, chimiste et électricien éminent du prof. Mapes et du juge Edmonds, qui tous trois se convainquirent, non seulement de la réalité des phénomènes, mais aussi de leur origine spirituelle.
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De 1852 à 1854, Home passa par bien des péripéties. Le Dr Hull, mis en éveil par une séance à laquelle il avait assisté, l'invita à venir séjourner quelque temps dans sa résidence de New-burgh, sur les bords de l'Hudson, lui offrant une somme importante que le médium refusa, déclarant qu'il n'avait jamais fait payer ses séances et qu'il était résolu à en agir toujours de même et il se tint parole. On aura de la peine à comprendre que, dépourvu de ressources comme il l'était, il ait fait preuve d'un si complet désintéressement. Cela n'a pas empêché, d'ailleurs, ses détracteurs de l'accuser de vénalité à bien des reprises ; le trait que je vais rapporter, suffira, je pense, pour mettre à néant de telles accusations.
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Etant à Paris en 1857, on s'occupait beaucoup de lui et, dans un certain cercle de la jeunesse dorée, le Club de l'Union, on ne voulait pas croire qu'il refusât toute gratification ; convaincus que c'était une question de plus ou de moins, quelques-uns de ses membres, après s'être concertés, lui offrirent 50,000 francs pour une seule séance. Cette offre fut déclinée comme toutes les autres. Home, cependant, sachant que le public croit volontiers que tous les médiums, sans exception, sont disposés à vendre leurs services, et voulant laisser après sa mort une réputation intacte, profita de l'occasion qui se présenta, longtemps après, pour se faire délivrer par un ami, membre de ce Club, M. Bodiska, fils du consul russe à New-York, une attestation écrite sur ce qui s'était passé à cet égard. « J'ai raconté cette histoire, » lui dit-il, « mon cher Bodiska, mais on l'a traitée de fable. Comme justice ne m'est pas souvent rendue et qu'on prétend constamment que je fais payer mes séances, il est probable que, lorsque je ne serai plus là, on dira que j'ai accepté les 50,000 francs qui m'étaient offerts pour cette séance ; peut-être même doublera-t-on la somme. » M. Bodiska se rendit volontiers à la demande de son ami et lui remit la déclaration suivante, qui se trouve entre les mains de Mme Dunglas Home :
« C'est à Paris, chez mon beau-père, le comte Alexandre Komar, où il demeurait alors, que je me suis rencontré pour la première fois avec M. D. D. Home ; j'ai eu l'occasion d'apprécier aussi bien son caractère, que les phénomènes extraordinaires qui se produisent en sa présence et je déclare franchement, que rien dans les principes de la nature ne peut expliquer ce que moi et d'autres avons constaté, non pas une, mais bien une centaine de fois. Jamais il n'a été incité, par un motif de lucre, à user de sa merveilleuse faculté, car, à ma connaissance, il a refusé bien des offres, dont une, en particulier, du Club de l'Union, qui lui avait offert 50,000 francs pour une séance. Un parent de ma femme lui a même proposé de l'adopter et de lui assurer une rente viagère, ce qu'il a aussi refusé.
« B. BODISKA[10] »
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Home, ayant décliné les propositions du Dr Hull, en ce qui concernait la question financière, consentit toutefois à aller passer quelque temps chez lui et à y donner des séances ; les résultats en ayant été très intéressants, le docteur s'entendit avec un certain nombre d'amis pour trouver le moyen de vaincre ses susceptibilités. Ils lui proposèrent alors - comme son éducation avait été passablement négligée - de se charger de lui et de lui donner collectivement l'instruction préparatoire qui le mettrait à même d'étudier la médecine, à laquelle il désirait se vouer. Home accepta ; mais, assailli de divers côtés par des demandes de séances qu'il ne savait pas refuser, ce ne fut qu'en 1853 qu'il put profiter de la bienveillance de ses amis. Sous la direction du Dr Hull, il commença alors à apprendre le français et l'allemand et fut bientôt en mesure d'entreprendre ses études de médecine ; il quittait dans ce but Newburgh, en automne 1853, pour se rendre, à New-York.
Destiné, toutefois, à être l'apôtre du nouveau spiritualisme, diverses circonstances vinrent se mettre à la traverse des plans que ses amis avaient formés pour lui ; d'une part, son caractère ne se prêtait pas à la vie sédentaire qu'exigeaient des études suivies ; d'autre part, sa santé en souffrait à tel point, qu'en janvier 1854 il tomba sérieusement malade et dut suspendre tout travail ; une année après, il se voyait obligé de renoncer définitivement à la carrière qu'il avait ambitionnée. Son poumon gauche étant attaqué, le Dr Gray, ainsi que d'autres médecins de ses amis qu'il consulta, furent d'avis que le seul moyen d'enrayer le mal était d'entreprendre un voyage en Europe. Après avoir consacré deux mois à faire ses adieux aux nombreuses relations qu'il laissait en Amérique, il s'embarquait pour l'Angleterre en avril 1855.
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« Je n'oublierai jamais, » écrit-il dans Incidents, « les sentiments qui m'assaillirent, lorsque je me vis sur le pont au milieu d'une foule de passagers, dont la plupart étaient heureux d'un voyage qui les ramenait dans leur famille ou vers des amis par lesquels ils étaient impatiemment attendus, tandis que moi je me trouvais seul, malade et complètement déçu dans mes espérances. Il ne me restait pour toute consolation que l'espoir d'entrer, après quelques mois de souffrances, dans un monde meilleur. L'étrange pouvoir que je possédais me faisait passer chez quelques-uns pour un pauvre illuminé, un suppôt de Satan envoyé pour la perdition des âmes, tandis que d'autres me considéraient comme un vulgaire imposteur. L'isolement dans lequel je me sentis alors, me plongea dans un tel état de prostration, que je perdis tout courage. Me retirant alors dans ma cabine, j'adressai à Dieu une fervente prière, lui demandant de m'envoyer quelque rayon d'espérance. Bientôt je sentais la paix descendre dans mon âme et lorsque je me relevai, de tous mes compagnons de voyage, il n'en était pas de plus heureux que moi [11] »
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Dès son arrivée à Londres, il se vit recherché dans la meilleure société. Il était loin, bien loin de pouvoir accorder toutes les séances qu'on lui demandait. Parmi les personnages de marque qui firent avec lui des expériences suivies se trouve Lord Brougham. En compagnie de William Cox, il obtint en plusieurs circonstances de remarquables résultats consignés dans plusieurs lettres. Un autre savant bien connu, sir David Brewster, après avoir assisté à quelques séances, avait déclaré que ce qu'il avait vu lui était absolument inexplicable, soit par la fraude, soit par les lois physiques connues. Mais il se rétracta plus tard, dans la crainte de compromettre sa réputation et alla même jusqu'à prétendre que les phénomènes n'étaient que le produit de la supercherie. Nous verrons plus loin que cette frayeur du qu'en dira-t-on n'était pas spéciale à ce philosophe.
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Pendant que les journaux anglais s'occupaient de Home, attaqué par les uns, défendu par les autres, dans une polémique entamée au sujet de sir Brewster, - polémique racontée avec de nombreux détails dans Life and Mission[12], - le médium avait quitté l'Angleterre et passait l'automne de 1855 à Florence. C'est dans cette ville qu'eut lieu un incident dont les suites n'eurent, heureusement, d'autre gravité que l'émotion qu'il lui causa. Rentrant un soir chez lui, il fut assailli par un inconnu qui lui porta trois coups de poignard. Sauf une égratignure, pourtant, ils ne firent de tort qu'à ses vêtements, en particulier à la fourrure qu'il portait ce jour-là.
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Il serait trop long de raconter en détail les pérégrinations de Home, dont la vie entière se passa en voyages perpétuels exigés, tantôt par sa santé qui l'obligeait à des changements de climat suivant les saisons, tantôt par les invitations qu'il recevait des nombreux amis qu'il se faisait dans chaque endroit où il séjournait. De 1857 à 1876, nous le trouvons presque chaque année en Angleterre, d'où il se rend soit en France et en Italie, soit à Genève, où il fait d'assez longs séjours, soit en Russie, pays dont les deux épouses qu'il a eues étaient originaires.
Il se marie une première fois en 1858 à Saint-Pétersbourg, avec Mlle Alexandrina de Kroll, dont il avait fait connaissance à Rome, chez sa sœur, Mme la comtesse de Koucheleff, mais cette union de courte durée, est brisée en 1862 par la mort de Mme Home.
À la fin de cette même année, il se rend de nouveau à Rome dans l'intention d'y étudier la sculpture. Le 12 janvier 1863, il recevait une lettre l'invitant à se rendre à la direction de police. Il y subit un interrogatoire, au cours duquel l'inspecteur lui demanda comment les Esprits se manifestaient à lui. Des raps aussitôt se firent entendre, tant sur la table voisine, qu'ailleurs. A la suite de cette entrevue, il lui fut enjoint d'avoir à quitter dans trois jours la ville éternelle. Il dut se soumettre, non sans avoir protesté contre cette mesure arbitraire, auprès du gouverneur et du consul anglais.
Ce curieux épisode est raconté tout au long dans la préface de son ouvrage : Révélations sur ma vie surnaturelle.
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En 1867 et 1868, des difficultés bien plus sérieuses lui furent suscitées par Mrs. Lyon qui, après l'avoir pris momentanément en affection, exigea le remboursement de la fortune dont elle s'était dépouillée en sa faveur ; ce fut l'occasion d'un procès qui fit beaucoup de bruit et dont le lecteur trouvera plus loin les détails circonstanciés.
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En 1870, Home suit, dans le camp allemand, en qualité de correspondant d'un journal anglais, les péripéties du siège de Paris et, au milieu de ces scènes de carnage, il fait preuve de courage et de dévouement en plus d'une circonstance.
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Resté veuf jusqu'en 1871, il fait connaissance à cette époque de sa seconde femme, avec laquelle il passa quelques années aussi heureuses que le permettait une santé toujours chancelante ; il en eut une fille qui ne vécut que quelques mois. La dépouille mortelle de cette enfant repose à Saint-Germain, dans un caveau où le père, qui ressentit, un profond chagrin de cette perte, fut placé à son tour, selon le désir qu'il en avait exprimé.
Pendant les dix dernières années de sa vie, il passe presque tous ses hivers à Nice et, dans la belle saison, par contre, on le trouve tantôt dans un pays, tantôt dans un autre. Vers la fin de 1884, il annonçait à sa femme que la maladie approchait d'une crise, qu'il prévoyait longue et pénible ; les différentes phases qu'il en avait décrites se réalisèrent parfaitement et après dix-huit mois de souffrances, mitigées par des périodes de calme relatif, il s'éteignait paisiblement le 21 juin 1886.
CHAPITRE II
Médiumnité
Les manifestations obtenues en présence de Home offrent incontestablement un caractère d'une puissance et d'une variété qui ne se retrouvent peut-être chez aucun autre médium. On peut dire de lui qu'il était une véritable batterie électrique et l'accumulateur au moyen duquel opéraient les Esprits. Dans la sèche atmosphère de la Russie et du nord des Etats-Unis, on observa fréquemment des phénomènes ayant un caractère électrique bien déterminé, émanant de son organisme exceptionnel. Des étincelles jaillissaient parfois de ses doigts, lorsqu'ils se trouvaient en contact avec certaines substances. Le Spiritual Magazine de septembre 1863 rapporte qu'à New-York il alluma un jour successivement trente six becs de gaz en leur présentant simplement le bout de ses doigts. Aussi peut-on dire qu'il n'est pas un des genres de manifestations produits par d'autres médiums qui n'ait aussi été obtenu par Home[13]. Nous en citons quelques exemples, choisis tant pour l'intérêt qu'ils présentent en eux-mêmes qu'à cause des noms de ceux qui en affirment l'authenticité ; ils donneront au lecteur une idée de la variété de ses facultés médianimiques et de son pouvoir vraiment extraordinaire.
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Quelques amis de Russie l'avaient engagé, en 1860, à leur rendre visite, mais comme le voyage ne lui était pas possible à ce moment, deux d'entre eux, le comte Alexis Tolstoï et le comte Steinbock-Fermor, se décidèrent à venir à Londres, où Home demeurait alors. Il avait son domicile chez Mrs. Milner Gibson, et c'est là que se tenaient les séances. Si certains personnages en vue témoignaient d'un vif désir d'y être introduits, la crainte de voir leurs noms cités en regard des merveilles qu'ils avaient constatées était plus vive encore. Des lettres du comte Tolstoï à sa femme viennent heureusement combler quelques lacunes résultant de cette inexcusable lâcheté morale ; elles rendent compte, de deux séances et sont reproduites dans Life and Mission[14].
17 juin 1860
« Il est deux heures du matin, » écrit-il ; « je viens de quitter Home et malgré le chagrin que j'éprouve à être éloigné de vous, je ne regrette pas mon voyage, car cette séance a été renversante. Botkine (un matérialiste de leurs amis) est converti et veut s'enfermer demain toute la journée pour méditer sur ce qu'il a vu. J’étais en compagnie de Botkine, Mrs. Home, Mrs. Milner Gibson, épouse du président du Conseil de Commerce, du comte Steinbock-Fermor et d'une dame de compagnie. Les manifestations furent d'abord semblables à celles que vous connaissez ; puis, la lumière ayant été diminuée, tous les meubles de l'appartement se mirent en mouvement de leur propre chef. Une table vint se placer sur une autre ; un sofa s'avança jusqu'au milieu de la chambre ; une sonnette voltigea autour de l'appartement en sonnant tout le temps.
« On éteignit enfin le reste des lumières et nous restâmes alors dans une obscurité presque complète, n'étant plus éclairés que par la faible lueur qu'un réverbère de la rue projetait à travers la fenêtre. Le piano se mit à jouer sans que personne s'en fût approché ; un bracelet se détacha du bras de Mrs. Milner Gibson et vint tomber sur la table, où il resta enveloppé d'une auréole lumineuse. Home fut enlevé de sa chaise et je lui pris les pieds pendant qu'il flottait au-dessus de nos têtes. Des mains touchèrent mes genoux et vinrent se placer dans les miennes ; je cherchai à en retenir une, mais elle se fondit sous ma pression. Il y avait sur la table du papier et des crayons ; une feuille de papier vint se placer dans ma main et il me fut dit par l'alphabet de la donner à Home. Cette feuille portait ces mots : « Aimez-la toujours. N. Knoll. » L'écriture était identique à celle de la mère de Mrs. Home ; nous l'avons comparée avec ses lettres. On entendit une voix très faible se joindre au piano et l'accompagner. Des coups de la force de ceux d'un marteau furent frappés dans la table, sous les mains de Botkine.
« Ce qui m'aurait convaincu plus que toute autre chose, si j'avais été sceptique, ce sont ces mains qui, après être venues se placer dans les miennes, se sont dissoutes, alors que je cherchais à les retenir. Un vent froid très appréciable se fit sentir sur le groupe et des parfums furent répandus autour de nous. Après la séance, les mains de Home étaient brûlantes et il avait les yeux pleins de larmes. Sa femme et lui virent constamment une étoile sur une des chaises, mais moi je ne la vis pas. Lorsqu'on eut ouvert les rideaux, on put voir des mains qui se dessinaient contre la fenêtre, faiblement éclairée par la lumière de la rue. »
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Deux jours plus tard, le comte Tolstoï écrit que la seconde séance a été moins réussie que la première, mais qu'il s'y est pourtant produit un phénomène nouveau : il a vu l'accordéon jouer sans être tenu par personne ; chaque note était reproduite par un écho fort lointain, mais bien distinct et harmonieux. Les autres personnes présentes étaient Lord et Lady Clarence Paget, Lord Dufferin, Lord de Tablet, le Dr Ashburner, médecin renommé, Miss Alice, fille de Mrs. Milner Gibson et son frère Georges et Mrs. Home. Les deux enfants et Mrs. Home n'étaient pas à la table, trop petite pour tout le monde.
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Home fut reçu à plusieurs reprises par l'empereur Alexandre II, qui lui témoignait beaucoup d'affection ; une manifestation peu ordinaire eut lieu dans une séance donnée à la cour de Russie. En pleine lumière, une main d'Esprit ouvrit un médaillon qui se combinait avec un des boutons de l'uniforme porté par l'empereur et renfermant le portrait du czaréwitch décédé ; une communication dictée par petits coups frappés sur le bouton vint ensuite démontrer à l'empereur que l'Esprit qui se manifestait était bien celui auquel il avait pensé[15].
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C'est encore en Russie, chez la baronne Taoubé, à Saint-Pétersbourg, que se passèrent les faits suivants : tous les assistants, sauf la baronne, étaient inconnus de Home ; l'un d'eux, le Dr Karpovitch, médecin russe de renom, après avoir fait le procès-verbal de cette séance, le soumit à l'approbation des autres personnes et c'est de ce document, qui est en possession de Mme Dunglas Home, qu'elle donne les passages les plus saillants, rapportés ici :
« L'appartement dans lequel nous nous trouvions, » écrit le Dr Karpovitch, « était éclairé, a giorno, indépendamment de deux grandes lampes, dont l'une était placée sur la table carrée autour de laquelle nous étions assis, au nombre de neuf : M. Home, la dame de la maison, sa fille, ses trois fils, la princesse Havanschky, le général Philosophoff et moi. Le tapis qui recouvrait la table ne tombait d'aucun côté jusqu'au parquet ; on avait mis sur ce tapis un crayon, du papier, la lampe mentionnée et un accordéon que j'examinai minutieusement sans y rien remarquer de particulier, si ce n'est qu'il était d'assez médiocre qualité ; cet instrument appartenait à la baronne. Toute la société était entièrement inconnue de M. Home qui, le soir de cette mémorable séance, entrait pour la première fois chez Mme Taoubé.
Au moment où nous prenions nos places, M. Home nous dit que les manifestations ne dépendant pas de lui, il ne pouvait rien nous garantir. Après dix minutes d'attente, nous sentîmes vibrer la table et des raps bien nets se firent entendre dans le bois ; puis la table se pencha presque perpendiculairement. Chacun des côtés s'inclina ainsi tour à tour en face des sitters ; lorsqu'elle se pencha vers moi, j'avançai involontairement la main pour empêcher la lampe de tomber, mais M. Horne me dit qu'il n'y avait pas lieu de craindre, que rien ne tomberait.
M. Home nous ayant ensuite invités à demander mentalement des modifications dans le poids de la table, chacun de nous obtint à son tour satisfaction, en posant tacitement sa demande ; les différences de poids étaient remarquables ; un moment la table était légère comme une plume, bientôt après elle devenait étonnamment lourde.
M. Home prit alors l'accordéon d'une main et le tint, les clefs en bas, en vue de tout le monde ; après l'avoir ainsi tenu pendant deux minutes, il retira sa main. L'instrument resta suspendu en l'air, puis alla de lui-même se placer doucement sous la table, où il resta, toujours en l'air, et commença à donner des sons. On vit alors les clefs se mettre en mouvement et l'accordéon jouer pendant près d'une demi-heure une douce mélodie dont nous fûmes tous ravis. Chacun de nous put examiner l'instrument pendant qu'il jouait, ainsi suspendu en l'air. Vers la fin du morceau, les sons se perdirent graduellement. M'étant baissé à ce moment, je vis distinctement une petite main de femme qui jouait. Elle disparut alors et l'accordéon tomba sur le plancher. Pendant la production de ce phénomène, les mains de M. Home étaient sur la table, ainsi que celles de tous les sitters et M. Home se tenait tout à fait tranquille.
Aucune manifestation n'avait eu lieu depuis quelques instants, lorsque le général Philosophoff dit qu'on tirait le pan de son uniforme. M. Home l'ayant engagé à mettre sa main sous la table, je m'aperçus, au mouvement de son bras, qu'elle était secouée ; il nous déclara avoir, en effet, senti une main qui, par trois fois, avait serré la sienne affectueusement. M. Home lui dit que trois de ses amis étaient présents – des camarades morts depuis des années - et il lui en donna les noms de famille et de baptême…
Un fauteuil qui se trouvait à quelque distance de la baronne s'éleva alors à six ou huit pouces de hauteur et vint se placer entre sa chaise et celle de M. Home, qui nous pria, les uns après les autres, de bien examiner le fauteuil pour nous convaincre qu'il se tenait réellement en l'air, sans point d'appui. Un instant après, nous voyions le mouchoir de la baronne sortir de sa poche, se pelotonner et rester suspendu entre le fauteuil et M. Home, à un mètre environ au-dessus du parquet.
Puis, M. Home annonce qu'il se sent lui-même soulevé ; son corps prend la position horizontale et il est transporté, les bras croisés sur la poitrine, jusqu'au milieu de la salle ; après y être resté quatre ou cinq minutes, il est ramené à sa place, transporté de la même manière.
« J'affirme, » écrit le Dr Karpovitch en terminant, « l'exactitude de tous les détails que je viens de donner - détails confirmés par tous les assistants. Le général dit avoir été d'autant plus surpris en entendant les noms de ses trois anciens camarades, qu'à ce moment il ne songeait nullement à eux. C’est en témoignage de mon estime et de ma reconnaissance que j'ai rédigé ce rapport sur les phénomènes étonnants de cette soirée; je déclare que les conditions dans lesquelles ils se sont produits mettaient les assistants à l'abri de toute supercherie[16]. »
Il est à remarquer que le phénomène de lévitation, si fréquent chez Home, fut constaté ici en pleine lumière.
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Ces cas de lévitation dont Mme Dunglas Home cite de nombreux exemples, se produisirent, dit-elle, une centaine de fois, peut-être davantage. Celui de ces faits dont on a surtout parlé et qui a été l'objet des plus violentes polémiques, en raison de son caractère merveilleux entre tous, se passa le 16 décembre 1868 à Ashley House, à Londres, dans une séance obscure en présence de lord Lindsay, de lord Adare et du capitaine Wynne, son cousin. Lord Lindsay, qui fut appelé à témoigner de ce prodige devant la Société dialectique, en publia plus tard une relation minutieuse, dont voici le résumé :
« Home, qui était entrancé depuis un certain temps, après s'être promené par la chambre, se dirigea vers la salle voisine. A ce moment, une communication vint effrayer lord Lindsay : «J'entendis, » dit-il, « une voix murmurer à mon oreille : il va sortir par une fenêtre et rentrer par l'autre. Tout ahuri à la pensée d’une expérience aussi dangereuse, je fis part à mes amis de ce que je venais d'entendre, et ce ne fut pas sans anxiété que nous attendîmes son retour. Nous entendons alors la fenêtre de l'autre chambre se soulever et, presque immédiatement, nous voyons Home flotter en l'air en dehors de notre fenêtre. La lune donnait en plein dans la chambre, et comme je tournais le dos à la lumière, l'appui de la fenêtre faisait ombre contre la paroi en face de moi, et je vis les pieds de Home qui vinrent se projeter au-dessus, à une distance d'environ six pouces. Après être resté dans cette position pendant quelques secondes, il souleva la fenêtre, glissa dans la chambre les pieds en avant et vint s'asseoir. Lord Adare passa alors dans l'autre pièce et remarquant que la fenêtre, par laquelle il venait de sortir était entr’ouverte à 18 pouces seulement de hauteur, il exprima sa surprise de ce que Home eût pu passer par cette ouverture. Le médium, toujours entrancé, répondit – « je vais vous montrer. » Tournant alors le dos à la fenêtre, il se pencha en arrière et fut projeté dehors la tête la première, le corps entièrement rigide, puis revint tranquillement.
« La fenêtre est à 70 pieds au-dessus du sol ; les deux fenêtres sont éloignées l'une de l'autre de sept pieds six pouces environ et n'ont chacune qu'une saillie d'une douzaine de pouces, servant à recevoir des vases. »
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Les deux autres témoins de ce fait extraordinaire en ayant donné des déclarations parfaitement concordantes, Crookes en tire les conclusions suivantes, dans le Quarterly Journal of Science de janvier 1874 :
« On cite cent exemples au moins des lévitations de Home au-dessus du sol, en présence de tout autant de différents sitters. Je tiens de la bouche des témoins eux-mêmes - le comte de Dunraven, lord Lindsay et le capitaine C. Wynne les détails les plus circonstanciés de ce qui lui arriva de plus étrange dans ce genre. Si l'on ne veut pas se rendre à l'évidence à cet égard, il faut alors se refuser à admettre tout témoignage humain quel qu'il soit ; car aucun fait, ni dans l'histoire sacrée, ni dans l'histoire profane, ne repose sur des preuves plus positives que celui-ci.
« Les témoignages multiples, constatant la réalité des lévitations de Home, sont écrasants. Il serait à désirer qu'une personne, dont les déclarations seraient tenues pour valables par le monde scientifique - si toutefois il existe une célébrité quelconque offrant des garanties tenues pour suffisantes, lorsqu'elle témoignera en faveur de cette sorte de phénomènes - voulût bien se décider à les étudier sérieusement et avec toute la patience nécessaire. »
Il n'a malheureusement pas été satisfait par ses savants collègues au désir, pourtant si légitime, de M. Crookes[17].
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Parmi les assistants aux séances que Home donna à Florence, en 1874, se trouvait la comtesse Panigai, qui en a rédigé un rapport, duquel j'extrais les faits suivants :
« J'ai eu la bonne fortune d'assister, le 7 juillet 1874, à une séance donnée par M. Home. Sa réputation n'est plus à faire ; il compte de trop nombreux amis dont le témoignage, en raison de leur position sociale ne saurait être suspecté, et qui apprécient assez le caractère et la parfaite honorabilité de ce médium, pour que je puisse me dispenser de le dépeindre ici.
A huit heures du soir, nous prenions place autour d'une grande table au centre du salon où logeait M. Home. Etaient présents : la marquise Bartolomei Passerini, Mme Webster, le chevalier Soffietti, M. Monnier, M. et Mme Home et moi. Outre deux bougies placées sur notre table, il y avait une lampe à pétrole sur une petite table carrée, dans un des angles de la salle, qui était ainsi très bien éclairée.
« Mme Passerini et moi étions à côté de M. Home, elle à sa droite, moi à sa gauche. À peine étions-nous assis - le médium n'avait pas même pris sa place - que nous remarquions déjà un léger frémissement de la table. Des coups, dont quelques-uns assez violents, s'y firent entendre. Il en partait aussi de tous les points de la chambre, du parquet et même de nos chaises. Puis cinq coups faibles, mais bien nets, furent frappés directement sous mes mains. M. Home nous dit que ces coups étaient le signal demandant l'alphabet et il se mit à l'épeler, tandis qu'une autre personne inscrivait les lettres dictées. Quel ne fut pas mon étonnement en voyant que le nom indiqué était celui de ma Stella ! J'étais entièrement inconnue de M. et Mme Home qui, n'étant à Florence que depuis peu de jours, avaient entendu pour la première fois mon nom une heure ou deux auparavant, lorsqu'un ami avait demandé la permission de m'introduire à cette séance. Et c'est un nom chéri qui m'est communiqué de cette étrange manière - le nom d'une fille tendrement aimée, que j'avais perdue après quelques jours de cruelles souffrances à l'âge de cinq ans et dix mois. Dès lors, les années s'étaient écoulées et rien dans ma toilette n'indiquait l'épreuve par laquelle j'avais passé. Je demandai à mon enfant - si c'était elle - de me dire à quel âge elle était morte et ma question obtint une réponse parfaitement exacte.
« Les raps continuant, l'alphabet dicta un nouveau message, qui disait : « Ne pleure pas, chère maman. » Sentant alors mon genou touché comme par une main d'enfant, j'y plaçai instinctivement la main. Une petite main s'empara de la mienne ; elle correspondait si bien à celle de l'enfant que j'avais perdue, que j'eus la certitude d'avoir réellement auprès de moi ma petite chérie. Pourquoi les cœurs de toutes les mères qui ont été frappées comme moi ne peuvent-ils ressentir le rayon de bonheur que j'éprouvai alors ? Je n'avais pas été prévenue d'un tel attouchement et ne m'y attendais nullement ; je n'étais donc pas le jouet de mon imagination surexcitée. »
« Quoique le nom de M. Home ne me fût pas inconnu auparavant, j'ignorais les conditions de ses séances et croyais qu'elles avaient lieu dans une profonde obscurité, ainsi qu'il en est souvent avec les médiums. J'avais donc été agréablement surprise de me trouver dans une salle bien éclairée, où je pouvais faire, tout à mon aise, usage de mes yeux...
« Un accordéon, qui n'appartenait pas M. Home, avait été apporté par un des Sitters, - était sur la table. M. Home n'engagea à le prendre d'une main, pour voir si les esprits pourraient en jouer. A peine l'avais-je pris qu'il préluda, puis joua un air militaire, personne autre que moi ne le touchant. »
« L'alphabet ayant été demandé de nouveau, il nous fut dicté une communication dans laquelle il était question d'un incident qui n'était connu que de mes plus proches parents et dont aucune des personnes présentes avec moi à cette séance ne pouvait rien savoir. Au moment où je venais d'obtenir ce message, mes yeux se fixèrent sur une rose que portait Mme Passerini. « Si vous êtes réellement l'esprit que vous prétendez être, » dis-je mentalement, « veuillez prendre cette rose sur Henriette et me la donner. » À peine cette pensée avait-elle surgi dans mon cerveau, qu'une main d'homme, grande et nerveuse, visible de tous les assistants, vint détacher la rose et la mettre dans ma main. C'est dans une salle très bien éclairée, alors que les mains des sitters sont toutes sur la table, que nous voyons une main humaine parfaitement conformée planer en l'air, en face de nous ; cette main était douée d'intelligence, puisqu'elle obéissait à une demande exprimée mentalement. En détachant la rose de la dentelle à laquelle elle tenait et en la transportant à une distance de deux ou trois pieds, elle témoignait aussi de sa force physique. Le fait, j'en conviens, est fort étrange, mais je déclare solennellement qu'il est absolument vrai. »
« Ces êtres, en présence desquels nous nous trouvions, pouvaient non seulement lire dans nos pensées, mais, en outre, ils nous parlaient parfois d'incidents sortis de notre mémoire. En voici un exemple : M. Home tombe en trance et dit au chevalier Soffietti : « Je vois près de vous une vieille bonne, une négresse. » Le chevalier ne se souvient pas de cette femme. Elle dit que vous ne devez pas l'avoir oubliée, » poursuit-il « car elle vous a sauvé la vie, quand vous n’aviez que trois ans et demi. Etant tombé dans une rivière près d'un moulin, vous alliez passer sous la roue lorsqu'elle vous a retiré. » Le chevalier qui, trois heures auparavant, était absolument inconnu de M. Home, se souvint alors de la circonstance et en confirma l'exactitude ; aucun des assistants n'en avait jamais entendu parler. »
La comtesse Panigai cite ensuite un message personnel qu'elle a reçu, qui lui a apporté une singulière preuve de la persistance de la vie au delà de la tombe.
« Après la communication faite au chevalier Soffietti, M. Home s'adresse à moi et m'assure que Stella est présente ; il me dit ensuite des choses qui, quelque valeur qu'elles eussent pour moi, ne seraient pas comprises par d'autres ; il est donc inutile de les rapporter.
« Mais l'intérêt du message se trouve surtout dans ce qu'il dit en terminant :
« Je sais, maman, que tu as soigné ma dernière paire de bottines et qu'elle se trouve avec ma petite robe blanche dans un coffret que tu as fait faire tout exprès... Je veux te donner une preuve positive de ma présence ; tu l'auras, demain. N'ouvre pas l'armoire où se trouve le coffret qui contient tes trésors - comme tu les appelles - avant d'avoir entendu des coups frappés distinctement sur le bureau. »
« Personne, même dans ma famille, ne connaissait l'existence de ce coffret et des reliques que j'y conservais.
« Je rentrai chez moi tout heureuse, quoique bien impatiente de savoir quel genre de preuve d'identité allait m'être donné. De bonne heure, le matin, j'écrivis à une amie intime, la priant de venir chez moi le plus tôt possible. Lorsqu'elle fut là, je me mis à lui raconter tout ce que j'avais vu et entendu de merveilleux le jour précédent. J'en étais à peine à la moitié de mon récit, que mon amie me dit, en me montrant le bureau : « N'entendez-vous pas des coups frappés sur ce meuble ? » A l'instant même ils se répétèrent. « C'est le signal, » m'écriai-je, « et c'est ici que je tiens le coffret. » Je cours à mon cabinet de toilette où se trouve la clef de tiroir du bureau contenant mon trésor et j'en sors le coffret qui était aussi fermé. D'une main tremblante, je tourne la seconde clef et soulève le couvercle. Les petites bottines sont là, - des bottines d'été claires, - l'élastique de soie blanche en haut. Sur un de ces élastiques se trouve une étoile admirablement imprimée, avec un œil au centre de l'étoile. L'empreinte est faite d'une substance noire ; elle a dès lors un peu passé, tout en restant encore bien marquée. Ce dessin est d'une précision si mathématique qu'il faut une main habile pour le reproduire exactement. A chacune des six extrémités se trouve une lettre, dont la réunion forme le nom de ma chérie (Stella).
« Je fis atteler immédiatement et me rendis chez M. Home. Je dois dire, en passant, qu'il n'avait jamais mis les pieds chez moi et qu'au moment où je rédige ce rapport, - d'après mes notes prises deux ans auparavant, à l'époque même où ces faits se passaient, - il n'a peut-être jamais vu ma maison.
« Pendant que je lui montrais mon petit trésor - doublement cher maintenant - de nouvelles manifestations se produisirent. Je m'attendais naturellement à ce qu'elles émaneraient de celle qui venait de me donner une preuve si évidente de son existence et de son affection. Au lieu de cela, je reçus une singulière ordonnance médicale, qui me prescrivait un traitement pour mes yeux. Je me faisais soigner à cette époque pour une inflammation des paupières, dont je souffrais depuis longtemps ; j'essayai du remède qui m'était ordonné d'une manière si étrange et eus lieu de m’en féliciter, car j’obtins au bout de peu de jours une amélioration, que de fréquentes consultations chez des oculistes renommés n'avaient pas pu me procurer. »
« Si je proclame ces faits, c'est uniquement dans la conviction qu'il est de mon devoir de le faire. Ils répondront, j'espère, à la question si souvent posée : Cui bono ? La visite de ma petite chérie m'a fait entrevoir un rayon de la gloire du royaume où il n'y a plus ni séparation, ni chagrin, où toute larme est essuyée et où la lumière vient de Dieu seul. Je n'ai pas la croyance, j'ai la certitude[18].»
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Voici une autre guérison, bien plus surprenante que celle citée ci-dessus ; elle est racontée par Home dans Incidents et reproduite dans Life and Mission[19] avec les noms que le médium n'avait désignés que par des initiales :
Le 19 mars 1857, au moment où il se préparait à partir de Paris pour l'Amérique, il recevait une lettre d'une personne, à lui inconnue, Mme de Cardonne, 233, rue Saint-Dominique. Cette dame lui écrivait que, dans un rêve où elle avait vu sa mère et celle de Home, celle-ci l'avait engagée à venir lui rendre visite immédiatement, si elle voulait obtenir la guérison de son fils qui, depuis quatre ans, était devenu sourd, à la suite d'une fièvre typhoïde. Elle avait été si impressionnée de ce rêve, qu'elle s'était décidée à venir le voir le lendemain matin, à dix heures.
Le médium avait été importuné par un si grand nombre de personnes, demandant à être admises auprès de lui, qu'il avait dû les refuser impitoyablement. Mais, ce jour-là, occupé de ses préparatifs, il avait négligé, de répondre à cette lettre. En conséquence, à l'heure dite, Mme de Cardonne se présentait chez lui avec son fils ; elle l'y trouvait en compagnie de la princesse de Beauveau et de Miss Ellice.
« Cette visite tombait mal, » dit-il, « nous étions l'un et l'autre assez embarrassés, la mère désirant la guérison de son fils et moi ne sachant comment je pourrais faire cesser une surdité qui datait de si loin, d'autant plus que - comme je l'appris plus tard - des opérations avaient été pratiquées sur ce jeune homme par d'éminents docteurs de Paris et qu'ils l'avaient déclaré incurable.
« Elle s'assit sur une chaise près du sofa, où je fis asseoir son fils à ma gauche. C'était un garçon de 15 ans, grand pour son âge et de tempérament délicat. Sa mère commença alors à me raconter les phases de sa maladie ; au fur et à mesure que je l'écoutais, je sentais s'éveiller ma sympathie pour cet enfant ; j'avais passé machinalement mon bras autour de lui et l'attirais à moi, en sorte que sa tête reposait sur mon épaule. Pendant que nous étions dans cette position et que Mme de Cardonne me dépeignait les tristes circonstances dans lesquelles son fils se trouvait, je m'étais mis à caresser doucement la tête du jeune homme, lorsque soudain il dit d'une voix émue : « Maman, je t'entends. » La mère, tout étonnée, lui dit : « Emile ! » « Quoi ? » répond-il immédiatement. La mère fut alors saisie d'une telle émotion qu'elle s'évanouit, et je fus le témoin, lorsqu'elle reprit ses sens, d'une scène des plus touchantes ; elle ne se lassait pas d'interroger son fils, pour le seul plaisir de se convaincre qu'il entendait bien ses questions. Il put, en effet, reprendre dès lors ses études et son ouïe est restée excellente jusqu'à ce jour (1863). »
Dans une lettre, en date du 30 mai 1857, que Home recevait à son retour d'Amérique de Mme de Cardonne, on lit ce qui suit :
« Permettez-moi de me compter au nombre de ceux qui vous aiment et sont heureux de vous voir revenir. Messager de la divine Providence ! Je vous bénis, car vous avez accompli un miracle pour mon fils. J'ai inspiré à tout mon entourage un sentiment de vénération pour vous, Monsieur, dont la mission grandit d'heure en heure. »
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Il n'est pas d'expériences psychiques qui aient fait autant de bruit que celles de William Crookes, et il serait superflu de raconter ici en détail ses séances avec Home ; mais son opinion sur le médium et sur la méthode qu'il avait adoptée, mérite d'être connue ; je pense donc, bien faire en citant quelques fragments des lettres que l'éminent professeur écrivait à ce sujet, en 1871 et 1874, dans le Quarterly Journal of Science :
« M. D. D. Home, » dit-il, « est la plus remarquable de toutes les personnes douées d'un développement inusité de cette force psychique, et si je suis en mesure d'affirmer absolument l'existence de cette force c'est à l'obligeance avec laquelle il m'a permis de poursuivre en sa présence mes investigations, que j'en suis redevable.
« Il a été reconnu que, lorsque la force est peu énergique, une lumière éclatante nuit à quelques-uns des phénomènes. Le pouvoir de M. Home est assez fort pour réagir contre ces influences contraires ; en conséquence, il se refuse généralement à donner des séances dans l'obscurité. Sauf en deux occasions, où nous avons éliminé la lumière, pour certaines expériences spéciales que je désirais faire, tout ce que j'ai obtenu avec lui s'est produit à la lumière.
« Il y a une grande différence entre les tours d'un prestidigitateur, travaillant sur sa propre estrade, avec l'aide de ses appareils et de ses compères et ce que l'on peut constater en présence de Home, tenant ses séances en pleine lumière, dans une demeure privée, où les invités n'ont pas cessé de circuler en toute liberté et où ces invités sont mes amis qui, bien loin de se prêter à la moindre supercherie, surveillent, au contraire, de leur mieux, tout ce qui se passe. En outre, M. Home a souvent été fouillé avant et après les séances, et il engage toujours les sitters à prendre cette mesure de précaution. Il m'est arrivé d'obtenir des manifestations tout à fait surprenantes, alors que je lui tenais les deux mains et que mes pieds étaient sur les siens. Il ne s'est jamais refusé à aucune des modifications que je suggérais, avec l'idée de parer à la possibilité d'une supercherie, et il a souvent attiré mon attention sur les moyens qu'il croyait les plus efficaces, pour me mettre à l'abri de toute mystification. »
Parmi les faits racontés par M. Crookes, j'en choisis un seul qui est singulièrement suggestif : « Nous étions allés un dimanche à la campagne et en avions rapporté quelques fleurs, qui furent mises dans un vase au milieu de la table de la salle à manger, d'où la nappe avait été enlevée. M. Home, qui venait d'arriver, voyait ces fleurs pour la première fois. Etant entrés en séance, nous avions déjà obtenu diverses manifestations, lorsque la conversation vint à tomber sur certains faits, qui ne semblaient pouvoir s'expliquer qu'en admettant que la matière pût passer à travers une substance solide. A ce propos, le message qui suit nous fut donné par l'alphabet :
« Il est impossible à la matière de passer à travers la matière, mais nous allons vous montrer ce que nous pouvons faire. » Une apparition lumineuse vint alors planer sur le bouquet ; puis une tige d'herbes de Chine, de quinze pouces de long, s'éleva lentement du milieu des autres fleurs et descendit ensuite sur la table, entre le vase et M. Home. Arrivée sur la table, cette tige ne s’y arrêta pas, mais elle passa droit à travers et nous la vîmes tous, jusqu'à ce qu'elle l'eût entièrement traversée.
« Aussitôt l'herbe disparue, ma femme, qui était assise à côté de M. Home, vit entre elle et lui une main sortant de dessous la table, tenant la tige, dont elle la frappa deux ou trois fois sur l'épaule, avec un bruit que tout le monde entendit ; cette main disparut, après avoir déposé l'herbe sur le plancher. Il n'y eut que deux personnes qui la virent, mais tous les assistants aperçurent le mouvement de l'herbe. Les mains de M. Home reposaient tranquillement sur la table et l'endroit où l'herbe disparut en était à dix-huit pouces. La table était à coulisses, mais non à rallonges ; elle s'ouvrait avec une vis et la réunion des deux parties laissait au centre une étroite fente, d'un huitième de pouce tout au plus ; c'est à travers cette fente que l'herbe avait passé. La tige était beaucoup trop grosse pour pouvoir traverser là sans se briser et cependant elle n'offrait pas, après examen, la plus légère trace de pression ou d'érosion[20].
Ces apparitions de mains sont fréquentes. Les ouvrages de Home et de sa veuve en fournissent de nombreux exemples, mais ce qu'il y a de plus curieux dans ce phénomène, c'est la différente manière dont il est perçu par les assistants. « Les mains et les doigts, » écrit encore Crookes, « ne m'apparaissent pas toujours sous la forme de corps solides et vivants. Ils se présentent parfois plutôt comme une vapeur, ayant la vague apparence d'une main, et cette apparition n'est pas visible pour tout le monde uniformément Si l'on voit, par exemple, remuer soit une fleur, soit un autre petit objet, telle des personnes présentes verra au-dessus un nuage lumineux, telle autre apercevra la forme vaporeuse d'une main, tandis que d'autres ne verront que la fleur en mouvement. J'ai eu plus d'une fois l'occasion de remarquer le mouvement de l'objet d'abord ; puis un nuage lumineux se formait tout autour ; en dernier lieu, ce nuage se condensait en une main parfaitement naturelle[21].
Puisque l'occasion s'en présente, je dirai que c'est là un des phénomènes les plus remarquables dont j'aie été le témoin personnellement ; dans une séance que Home avait bien voulu donner chez moi, pendant un de ses séjours à Genève, dans l'été de 1873, je vis un doigt - un joli doigt rose de taille moyenne - passer rapidement en face de moi, en rasant le bord opposé de la table ; d'autres sitters le virent aussi, plus ou moins bien, tandis que mon vis-à-vis, M. le pasteur T…. - le plus rapproché de l'apparition, - déclara avoir vu la main entière. Ce phénomène, qui avait été précédé et fut suivi de divers autres, tels que trépidation du plancher et des chaises, attouchements, promenade de sonnette, etc., m'est présent, aujourd'hui encore, comme s'il avait eu lieu hier et non il y a 23 ans.
Les différences dans la manière de percevoir ce genre d'apparitions sont, ainsi que le fait remarquer avec raison Mme Dunglas, la preuve la plus évidente qu'il ne pouvait pas être question dans ce phénomène de l'emploi d'un truc quelconque, par exemple d'une main ou d'un gant manœuvré au moyen d'un fil, comme on l'a parfois ingénieusement suggéré.
Comment expliquer, en outre, la disparition de la main dont parle Crookes lorsqu'il dit encore : « J'ai serré une de ces mains dans la mienne, bien décidé à ne pas la lâcher ; elle ne fit aucun effort pour se dégager, mais parut se résoudre peu à peu en vapeur et échappa ainsi à mon étreinte[22]. »
La séance dont je viens de citer un incident est la seule à laquelle j'aie eu la bonne fortune de me trouver avec Home ; une personne de Genève, qui fut plus privilégiée, est Mme Lamunière, chez qui se tinrent plusieurs séances, dans lesquelles il se produisit des manifestations fort intéressantes, qu'elle a consignées dans des procès-verbaux que Mme Dunglas Home a utilisés et dont voici les traits principaux.
« L'accordéon s'étant mis à jouer, une bougie fut mise sous la table. M. Verrier regarda, mais ne vit que l'accordéon s'ouvrir et se fermer alternativement. Regardant à mon tour sous la table, je vis distinctement la forme d'une main animée qui manœuvrait les clefs avec rapidité. Tous les sitters regardèrent à leur tour et M. Liodet, Mme Bourdin, Mme Franel et Mlle Lamunière virent la main; les autres personnes ne purent rien voir.
« L'alphabet ayant été demandé, le nom de George, un de mes parents décédé l'année précédente, nous fut dicté ; puis M. Home, tombant en trance, nous délivra une communication de George. »
Novembre 1873
Nous restons une demi-heure sans manifestations ; puis Mme Lamunière sent tout à coup passer sur elle un fort courant d'air froid ; une main bien nette apparaît à plusieurs reprises et presse fortement la sienne. Un parfum impossible à définir, parce qu'il ne ressemble à aucun de ceux connus des sitters se répand ensuite dans la salle et fait l'objet d'une communication de Home entrancé.
« Après avoir enlevé la lampe, » poursuit Mme Lamunière, « nous vîmes tous apparaître et circuler tranquillement autour de nous des formes lumineuses. Une forme d'enfant, très distincte, vint à moi et me toucha le visage ; puis elle alla des uns aux autres, nous donnant des fleurs, qu'elle prenait dans un vase placé sur la table. On vit une apparition lumineuse se poser sur la tête de Mme Franel. Une main vint se mettre devant M. Liodet, qui la saisit et la garda dans la sienne pendant quelques minutes. En même temps, des raps disaient : pas adieu, mais au revoir. » Un air d'accordéon, fort bien joué, termina cette belle séance ; nous entendîmes alors les sons de la musique s'évanouir dans le lointain, comme pour accompagner les Esprits dans leur retraite. »
7 décembre 1873
« Le plancher tremble et des coups sont frappés ; L'accordéon se met à jouer et, un train venant à passer, l'instrument en imite admirablement le bruit et le sifflet ; puis il reprend l'air commencé...
« Des fleurs sont prises sur la table et données à Mrs. Peck, à qui plusieurs messages sont adressés en anglais ; elle est aussi touchée par des mains que nous distinguons très bien. »
Mrs. Peck, dont il est ici question, était une dame américaine qui, arrivée à Genève depuis deux ou trois jours seulement, avait fait connaissance du spiritisme et de Home en même temps. Invitée à deux séances, dont la première eut lieu à l'hôtel et la seconde chez Mme Lamunière, elle a confirmé, dans un rapport rédigé sur la demande du médium, les faits rapportés ci-dessus, qu'il a publiés dans Ombres et Lumières, sans indiquer le nom de cette dame ; on le trouve en revanche dans Life and Mission. Les nombreux phénomènes cités par Mrs. Peck ont le mérite d'avoir été obtenus en pleine lumière : apparitions, attouchements et dégagements de mains, jeu d'accordéon sans moteur apparent, table s'élevant jusque près du plafond, transport de fleurs et réponses à des questions mentales, avec les noms précis de ceux qui sont censés manifester leur présence ; tous ces faits sont relatés avec soin par Mrs. Peck, y compris celui du singulier écho de l'accordéon imitant le roulement du train et le sifflet de la locomotive, dont parle Mme Lamunière.
Je me borne à ces indications, - suffisantes pour confirmer les phénomènes de même genre mentionnés dans cet opuscule, - et renvoie à Life and Mission[23] les personnes désireuses de mieux connaître les détails de ces séances.
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Quittons la Suisse et retournons en Angleterre, qui fut le principal théâtre des manifestations obtenues par le célèbre médium.
Dans une séance tenue chez M. H. D. Jencken, à Kilmory House, Norwood, et à laquelle assistaient lord Crawford (à cette époque lord Lindsay) et un autre électricien distingué, M. J. Hawkins Simpson, on fit des expériences avec la table, dont le poids fut modifié, de telle sorte qu'elle devint alternativement lourde à ne pas pouvoir être soulevée, ou si légère qu'elle s'enlevait sans le moindre effort[24]. Bien d'autres phénomènes se produisirent ; mais, ne pouvant tout citer, je m'en tiendrais à ces attestations de lord Lindsay :
« J'ai vu un grand piano à queue se soulever en l'air, sans aucun bruit, à environ quatre pouces de hauteur, puis faire entendre des notes, alors qu'il était fermé et qu'on en avait ôté la clef….
« Je me trouvai, il y a quelques semaines (en 1869), à une séance avec huit autres sitters ; sept d'entre nous tinrent un charbon ardent sans en ressentir aucune souffrance, tandis que les deux autres ne purent pas en supporter la chaleur. Quatre de ces sept personnes étaient des dames. Le même soir, Home, s'étant mis au piano, commença à jouer ; comme il nous avait engagés à nous approcher, j'allai me placer auprès de lui ; j'avais une de mes mains sur sa chaise et l'autre sur le piano ; pendant qu'il jouait, sa chaise et le piano s'élevèrent à une hauteur de trois pouces, puis se remirent en place[25].»
Miss Douglas a confirmé, devant la Société dialectique, l'assertion de lord Lindsay, en ce qui concerne les charbons :
« Je les ai touchés, » déclare-t-elle, « et, au premier moment, ils me brûlaient, mais immédiatement après, ils devinrent froids comme du marbre[26] »
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Ce remarquable phénomène d'innocuité du feu a été souvent constaté en présence de Home. Le journal Light, du 21 mars 1896, revient sur un fait de ce genre qui se passa à une séance, tenue en 1855, chez M. Luxmore. Il est raconté par un autre médium fort avantageusement connu, M. Everitt :
« Home étant tombé en trance, » dit-il, « fit, sous l'influence des agents invisibles, placer les sitters en cercle autour de lui, puis il alla de l'un à l'autre, en faisant sur chacun des passes magnétiques. Il sembla ensuite entrer en conversation avec les Esprits. Mrs. Hardinge, qui était présente, nous les dépeignait en même temps, tels que sa double vue lui permettait de les voir. Venant alors vers la cheminée, il jeta de côté les charbons noirs et, plongeant sa main dans la braise ardente, en tira un charbon allumé, qu'il prit dans ses doigts et alla mettre sur les mains de plusieurs des sitters. Une dame s'étant refusée à le prendre, je demandai s'il me serait permis de le faire. « Non, » répondit Home, « il vous brûlerait ; la cause n'en est pas dans un manque de foi de votre part, mais que les conditions ont été rompues. »
« Après avoir fait de nouvelles passes magnétiques, il prit un autre charbon ardent, qu'il fit circuler comme le précédent. M. Luxmore apporta alors une feuille de papier, qu'il plia en quatre et, ayant pris des mains du médium le morceau de charbon, il le plaça sur le papier, dont les quatre doubles furent brûlés, laissant un trou autour duquel les sitters inscrivirent leurs noms ; ce document existe encore. Relativement à cette singulière immunité, l'épisode le plus dramatique est peut-être celui où il mit sa tête dans le foyer et laissa les flammes jouer autour de lui. Une dame ayant alors poussé des cris de frayeur, Home vint à elle et lui dit avec emphase : « Oh ! Femme de peu de foi, regarde, pas un cheveu de sa tête n'a le moindre mal. » Effectivement, non seulement sa tête n'avait nullement souffert, mais on n'y voyait même aucune trace de cendres, ni de charbon. »
M. Everitt parle ensuite de l'élongation et du raccourcissement du médium, et rapporte que, de cinq pieds, huit pouces, - sa grandeur normale, - il s'était allongé jusqu'à près de sept pieds ; en revanche, sa taille avait parfois diminué à tel point, qu'il ne mesurait plus guère que cinq pieds. Ses jambes, ses bras et ses mains participaient aussi de ces variations.
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Le Dr Hawksley, qui jouissait d'une grande réputation pour les affections des poumons, avait traité la première femme de Home dans sa dernière maladie. Il a bien voulu décrire, pour l'auteur de Life and Mission, les circonstances dans lesquelles il étudia les phénomènes.
Voici quelques passages de son intéressant récit :
« J'avais été appelé chez M. Home pour soigner sa femme qui était phtisique. M'ayant invité à passer la soirée chez M. Cox : « Vous connaissez, » me dit-il, « les phénomènes qui se produisent en ma présence ; vous allez en juger vous-même ; je vous préviens, toutefois, que je ne peux jamais rien garantir. » Je croyais assister à une de ces séances de prestidigitation comme on en voit tant, mais je m'aperçus bientôt que c'était tout autre chose ; que ces faits ne pouvaient absolument pas s'expliquer par des trucs, ni mécaniques, ni scientifiques. Assis autour d'une table, en compagnie de Robert Chambers, de Mr. et Mrs. Cox et de Mr. et Mrs. Home, nous obtînmes d'abord des coups frappés par toute la chambre et sur tel ou tel objet que nous avions désigné. Des révélations concernant des amis décédés, s'adressant ensuite à M. Chambers, homme intelligent, de bon jugement et de beaucoup d'expérience, vinrent lui causer une pro fonde surprise. »
M. Hawksley cite aussi les faits suivants :
Un accordéon, qu'il avait acheté le jour même et apporté avec lui, pour se mettre en garde contre toute supercherie, joua, tenu sens dessus dessous - c'est-à-dire avec les clefs tournées contre le tapis - soit par lui-même, soit par M. Chambers, des airs mélodieux et, en particulier, un morceau demandé par M. Chambers, morceau pour lequel celui de ses amis, dont il venait d'obtenir des communications, avait une préférence marquée.
Ayant fait route ensemble à leur retour chez eux, M. Chambers lui avait avoué que, venu comme lui avec l'idée de se divertir, cette soirée lui inspirait de sérieuses réflexions.
Dans une autre séance, une grosse sonnette était près de lui ; quelqu'un ayant demandé que cette sonnette fût transportée ailleurs, il vit distinctement une main bien formée apparaître sur la table, y rester quelques instants et emporter la sonnette. Il avait examiné cette main de près, sans la toucher cependant, et elle lui avait semblé faite d'une substance grisâtre, comme une gaze, avec la forme d'une main humaine s'arrêtant au poignet.
Vers la même époque, M. Hawksley se trouva un jour chez Mrs. Parkes, dans un salon qui se composait de deux grandes salles contiguës. Des branches de plantes et de fleurs, qu'on venait d'entendre briser dans la pièce voisine, furent apportées par des agents invisibles et vinrent tomber du plafond, les unes sur la table, d'autres entre les mains mêmes des personnes auxquelles elles étaient destinées. On entendit ensuite un bruit assez fort, causé par la chute de huit à dix divinités indiennes en métal, tombées d'une étagère ; arrivés sur le tapis, ces objets furent projetés à travers la salle jusque sous la table, où ils s'arrêtèrent aux pieds des sitters.
Personne n'avait bougé et la salle était suffisamment éclairée.
Une autre fois, un jeune monsieur de ses amis - homme très intelligent - l'avait prié de le présenter à Home. « Venez, » lui dit-il, « je me rends justement chez lui. » Le médium était tout disposé à satisfaire à la requête du docteur, mais, comme à l'ordinaire, ne garantissait pas la réussite. « Mettez-vous sur cette table, » dit-il alors à l'investigateur. Celui-ci étant monté sur la table, qui était forte et lourde, cette table s'éleva immédiatement, avec sa charge, à huit pouces au moins de hauteur. M. Hawksley se baissa et passa aisément la main entre les roulettes et le tapis ; puis, cet examen terminé, la table redescendit et le monsieur quitta son poste.
Ce ne sont là que quelques exemples des nombreux phénomènes constatés par M. Hawksley, qui en avait commencé l'étude avec l'idée que ses connaissances en sciences physiques lui en fourniraient une explication satisfaisante, comme il en avait obtenu précédemment, alors qu'il avait eu affaire à des trucs de prestidigitateurs ; mais il se trouva en face d'une difficulté qu'il n'avait pas prévue ; elle consistait en ceci : que les phénomènes se produisaient aussi facilement dans une maison étrangère, où Home n'avait jamais mis les pieds, que dans son propre domicile et qu'il n'avait besoin ni de préparatifs, ni d'engins spéciaux. Une preuve évidente lui en avait été fournie, un jour qu'il avait amené Home, pour dîner, chez un des membres les plus éminents du ministère, au pouvoir il y a une trentaine d'années ; le médium n'avait jamais mis les pieds dans cette maison et n'y connaissait absolument que son introducteur, qui passa en revue toutes les poches de son costume de soirée ; il s'y produisit, néanmoins, les phénomènes les plus étonnants, et les assistants malgré toute leur intelligence, ne purent en trouver l'explication, quoique les plus grandes facilités leur fussent accordées pour examiner tout à leur aise[27].
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Une manifestation spéciale, par laquelle Home fut préservé d'une façon vraiment merveilleuse, est racontée dans Incidents par le médium.
Etant en séjour chez M. Tiedemann, au château de Cerçay, non loin de Paris, il avait l'habitude, en partant pour la promenade, qui lui avait été recommandée pour sa santé, de s'armer d'un fusil, plutôt par contenance que par goût de la chasse, à laquelle il ne tenait guère. Ce château est situé au centre d'un superbe parc, où abondent les arbres de grandes dimensions ; un des plus élevés - un peuplier du nord, placé à un angle du parc, à un demi-kilomètre du château - était séparé des champs avoisinants par une haie, où le gibier venait souvent chercher un refuge, lorsque la chasse battait son plein. Le 16 septembre 1860, Home, qui connaissait cette circonstance et qui, dit-il, n'était pas un tireur de première force, s'était dirigé, vers cet endroit, dans 1'espoir de pouvoir y tirer une perdrix et de ne pas rentrer bredouille. Au moment où, s'approchant de la haie avec précaution, il levait la tête pour voir s'il apercevrait quelque victime, il entendit une voix à sa droite qui disait : « Here, here. » Surpris de s'entendre interpeller en anglais, mais plus préoccupé, à ce moment, de sa chasse que de toute autre chose, il continuait à inspecter la haie, lorsqu'il se sentit empoigné au collet et ramené en arrière. En même temps, un violent craquement se faisait entendre, puis plus rien. Il eût d'abord l’idée que, par suite d'un accident quelconque, son fusil venait de sauter et qu'il se trouvait dans le monde des Esprits ; mais, la première émotion passée, il vit qu'il n'en était pas ainsi et aperçut, en face de lui, un objet qu'il prit pour un arbre, - à une place où, un instant auparavant, il n'y en avait aucun, - mais qui se trouva être une énorme branche tombée du peuplier ; la distance à laquelle lui-même avait été transporté était de six ou sept pieds. Il rentra alors au château, en courant aussi vite que le lui permettait son état de surexcitation.
La branche détachée mesurait seize yards et demi de longueur et un yard de circonférence à la partie rompue; elle était tombée d'une hauteur de quarante-cinq pieds et avait pénétré d'au moins un pied dans le sol, sur la place même où il s'était arrêté. Un de ses amis fit le lendemain une esquisse de l'arbre et de la branche. Quelque temps après, M. Tiedemann, sur la demande de Home, fit scier un morceau de cette branche, du côté le plus large, et le lui expédia à Londres, où il fut conservé pendant longtemps par le médium, en souvenir de la mort à laquelle il était convaincu de n'avoir échappé que grâce à l'intervention des Esprits.
Dans une lettre de ce même ami, écrite en janvier 1858, se trouvent les lignes suivantes, qui prouvent combien il appréciait les résultats des séances tenues chez lui :
Château de Cerçay
« Mon cher ami,
« Je ne veux pas différer de vous exprimer tout mon bonheur et ma reconnaissance. Vous avez converti ma femme et ma famille .......
« Je suis, pour la vie, votre ami dévoué,
« J. - N. TIEDEMANN[28] »
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Un fait tel que celui qu’on vient de lire est bien de nature à démontrer l'évidence de la part que le monde spirituel prend aux affaires de notre globe ; mais la vie extraordinaire de Home en fournit des preuves plus convaincantes encore et l'aventure suivante, qu'il raconte dans Lights and Shadows[29], pourra donner à réfléchir à ceux qui ne veulent voir dans ces phénomènes que le résultat de forces inhérentes à la seule nature de notre être incarné. J'ai dû, toutefois, apporter quelques changements à son récit, soit parce que l'auteur, avec sa réserve habituelle, ne désigne que par des initiales les membres de la famille dont il est ici question, sait parce qu'il cite cet épisode en le donnant comme étant arrivé à un médium qu'il ne nomme pas. Or, outre que Mme Dunglas, en reproduisant cette étrange aventure[30], dit qu'elle se passa chez M. Ward Cheney, grand manufacturier à South Manchester, et que son mari était le médium en cause, je crois d'autant plus volontiers à son authenticité, que je l'ai entendue raconter par Home lui-même, il y a de cela fort longtemps.
« J'ai eu soin de noter scrupuleusement, pendant bien des années, tous les faits pouvant prouver la persistance de notre identité après la mort, car ce n'est que sur les faits que les théories doivent être basées. En voici un qui se passa en 1852 :
« Pendant que j'habitais Springfield (Massachusetts), je fis une grave maladie, qui me retint au lit pendant quelque temps. Un jour, au moment où le médecin venait de me quitter, un Esprit vint se communiquer à moi et me délivra ce message : « Vous prendrez cet après-midi le train pour Hartford (Connecticut); il s'agit d'une affaire aussi importante pour vous-même que pour les progrès de la cause. Ne questionnez pas, faites simplement ce que nous vous disons. » Je fis part à ma famille de cet ordre étrange, et le docteur fut appelé de nouveau ; celui-ci, me voyant bien décidé à agir conformément à la communication reçue, conseilla de me laisser partir, disant qu'en cas d'issue fatale j'en aurais assumé moi-même toute la responsabilité. Je pris donc le train, ignorant complètement ce que j'allais faire et le but d'un tel voyage.
« Arrivé à Hartford, je suis abordé par un étranger, qui me dit : « Je n'ai eu l'occasion de vous voir qu'une seule fois et pendant quelques instants à peine ; je ne crois pourtant pas me tromper, vous êtes bien M. Home ? » Je répondis affirmativement, ajoutant que j'arrivais à Hartford sans aucune idée de ce qu'on y voulait de moi. « C'est drôle ! » reprit mon interlocuteur, « je venais justement prendre le train pour aller vous chercher à Springfield. » Il m'expliqua alors, qu'une famille influente bien connue, me faisait inviter à lui rendre visite et à lui prêter mon concours pour les investigations qu'elle désirait faire en matière de spiritisme. Le but du voyage commençait donc à se dessiner ; mais le mystère restait tout aussi profond, quant aux suites de cette aventure.
« Une charmante promenade en voiture nous amena bientôt à destination. Le maître de la maison, M. Ward Cheney, était justement devant sa porte et il me souhaita la bienvenue, disant qu'il n'avait pas espéré me voir arriver avant le lendemain au plus tôt. Comme j'entrais dans le vestibule, mon attention est attirée par le bruissement d'une lourde robe de soie. Je regarde autour de moi et suis surpris de ne voir personne ; mais nous passons alors dans un des salons et je ne me préoccupe plus de cet incident. Là, cependant, le même bruit se fait entendre de nouveau, sans qu'il me soit possible de comprendre quelle en est la cause. Peut-être mon étonnement se lisait-il sur ma figure, car mon hôte me dit : « Vous avez l'air effrayé, que vous arrive-t-il donc ? » A quoi je répondis ne voulant pas paraître prendre au sérieux une circonstance qui s'expliquerait peut-être tout naturellement que je relevais de maladie et que mon système nerveux laissait sans doute à désirer, mais qu'avec un peu de repos j'aurais bientôt repris le dessus. A peine avais-je fait cette réponse, que j'aperçus dans le vestibule une petite dame âgée, vêtue d'une robe de forte soie grise et paraissant très affairée. Là était donc l'explication de cette espèce de mystère ; j'avais entendu, sans la voir, cette personne qui allait et venait par la maison.
« Le frôlement de la robe s'étant fait entendre de nouveau et M. Cheney l'ayant alors remarqué en même temps que moi, il me demanda d'où ce bruit pouvait bien venir. « Oh ! » Répondis-je, « c'est du costume de soie grise de cette dame âgée que je vois dans le vestibule. Qui est donc cette personne ? » L'apparition était, en effet, si distincte que je ne mettais pas en doute que cette dame fût une créature en chair et en os.
« Le reste de la famille arrivant à cet instant, les présentations empêchèrent M. Cheney de me répondre, et je n'eus pas l'occasion d'en apprendre davantage pour le moment ; mais, le dîner ayant été servi, je fus surpris de ne pas voir à table la dame à la robe de soie ; ma curiosité en fut éveillée, et cette personne devint dès lors pour moi un sujet de préoccupation.
« Lorsque la société quitta la salle à manger, j'entendis de nouveau le frôlement de la robe de soie. Je ne voyais rien, mais j'entendis distinctement une voix qui disait : « Je suis fâchée qu'on ait placé un cercueil sur le mien ; en outre, je ne veux pas qu'il y reste. »
« Ayant communiqué au chef de la famille et à sa femme cet étrange message, ils se regardèrent tous deux avec stupéfaction ; puis M. Cheney, rompant le silence, me dit qu'il reconnaissait parfaitement ce costume, sa couleur et même son genre de soie épaisse ; « mais, » ajouta-t-il, « ce qui concerne le cercueil placé sur le sien est absurde et erroné. » Cette réponse me rendit fort perplexe ; je ne savais que dire, d'autant plus qu'avant la communication je ne m'étais pas douté d'avoir eu affaire à une désincarnée ; je ne connaissais pas même les rapports de famille ou d'amitié qui pouvaient exister entre la vieille dame et les Cheney.
« Une heure plus tard, j'entendis tout à coup la même voix, prononçant exactement les mêmes paroles, mais en y ajoutant ceci : « En outre, Seth n'avait pas le droit de couper cet arbre. » Ayant fait part à mon hôte de ce nouveau message, il en devint tout soucieux. « Il y a là, » me dit-il « quelque chose de bien étrange ; mon frère Seth a fait couper un arbre qui masquait la vue du vieux manoir, et nous avons toujours été d'avis que la personne qui est censée vous parler n'aurait pas permis de l'abattre si elle eût encore été de ce monde. Quant au reste du message, il n'a pas l'ombre de bon sens. »
« La même communication m'ayant été donnée dans la soirée pour la troisième fois, je me heurtai de nouveau à un démenti formel, en ce qui concernait le cercueil. J'étais sous le coup d'une impression fort pénible lorsque je me retirai dans ma chambre. Je n'avais jamais reçu de message mensonger et même, en admettant le bien-fondé de son grief, une pareille insistance, de la part d'un Esprit désincarné, à ne pas vouloir qu'un autre cercueil fût placé sur le sien, me semblait absolument ridicule. J'aurais été moins scandalisé s'il m'eût parlé de couronnes d'or, de vêtements resplendissants ou d'interminables jeux de harpes ; tout cela m'eût paru plus admissible que la fantaisie en question. Je passai, en conséquence, toute une nuit d'insomnie à réfléchir sur ce désagréable incident.
« Le matin venu, j'en exprimai à mon hôte mon profond désappointement ; il me répondit qu'il en était lui-même fort chagrin, mais qu'il allait me prouver que cet Esprit - si c'était bien celui qu'il prétendait être - s'était gravement trompé. « Nous allons nous rendre à notre caveau de famille, » me dit-il, « et vous verrez que, l'eussions-nous voulu, il n'aurait pas été possible de placer un autre cercueil au-dessus du sien. »
« Etant venus au cimetière, nous fîmes demander le fossoyeur qui avait la garde de la clef du caveau. Au moment où il allait ouvrir la porte, il parut faire une réflexion et dit, d'un air un peu embarrassé, en se retournant vers M. Cheney « Je dois vous avertir, Monsieur, que, comme il restait justement une petite place au-dessus du cercueil de Mme ***, j'y ai mis le petit cercueil de l'enfant de L ….Je pense que cela n'a pas d'importance, mais peut-être aurais-je mieux fait de vous en prévenir. Ce n'est que depuis hier qu'il est placé là. »
« Jamais je n'oublierai le coup d'œil que me lança M. Cheney lorsqu'il me dit, en se tournant vers moi : « Mon Dieu, c'est donc bien vrai ! »
« Le soir même, nous eûmes une nouvelle manifestation de l'Esprit, qui vint nous dire : « Ne croyez pas que j'attache la moindre importance au cercueil placé sur le mien ; on y empilerait toute une pyramide de cercueils que cela me serait parfaitement égal. Mon unique but était de vous prouver une fois pour toute mon identité, de vous amener à la conviction absolue que je suis toujours un être vivant et raisonnable, la même E…. que j'ai toujours été. C'est la seule raison qui m'a fait agir comme je l'ai fait. »
CHAPITRE III
Histoire apocryphe
Si les phénomènes authentiques obtenus par la médiumnité de Home sont nombreux et variés, les faits apocryphes, qui ont été publiés sur son compte, le sont peut-être plus encore. La légende s'est donnée libre carrière à son sujet ; il y a tant de gens au monde qui se font gloire d'être au courant de chaque événement et suppléent, par la fertilité de leur imagination, aux renseignements qui peuvent leur faire défaut. Le nombre des assistants aux séances de Home était nécessairement restreint, et comme la majeure partie de ces privilégiés se renfermaient dans un prudent mutisme, les amateurs de récits merveilleux avaient beau jeu pour lancer leurs racontars aux quatre vents des cieux. Ces histoires avaient d'autant plus de prise sur le public, que leurs propagateurs se présentaient invariablement comme témoins oculaires des faits qu'ils inventaient.
C'est probablement dans les journaux français, que ceux qui voudraient être édifiés sur la fécondité d'imagination déployée à cet égard, pourraient faire la plus ample moisson. En général, ce n'était que de ridicules anecdotes ; mais il en était aussi où la calomnie dépassait à tel point la mesure que, soit Home lui-même, soit ses amis, durent intervenir en plus d'une occasion, pour protester contre des rapports qui portaient atteinte à son honneur. Une de ces calomnies fut celle répandue dans le public en 1858, pendant son séjour a Rome : on affirma alors qu'il était enfermé à Mazas, - en prétendant l'y avoir vu, - mais sans pouvoir dire pour quel délit il avait été incarcéré[31].
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Voici quelques-unes des légendes dont Mme Dunglas donne de nombreux exemples dans ses ouvrages :
En 1876, un télégramme - celui qui fut cause de la mort de la tante de Home - annonçait au près et au loin que le médium venait de mourir subitement en wagon, sur la ligne de Berlin à Cologne ; les journaux s'empressèrent de colporter cette fausse nouvelle, et ce fut, pour plusieurs d'entre eux, l'occasion de ressusciter d'anciennes anecdotes ou d'en imaginer de nouvelles.
Celle-ci a fait le tour du monde et était - récemment encore - sérieusement racontée dans la Tribune de Genève. Home l'a reproduite dans Incidents, où il a cru devoir la démentir et dire comment elle avait pris naissance.
Le médium était parti subitement pour l'Amérique, après avoir donné à Fontainebleau quelques séances, en présence de l'empereur, de l'impératrice et du roi de Bavière ; le but de ce voyage était d'aller chercher sa sœur, que l'impératrice avait gracieusement offert de prendre à sa charge, et qu'elle plaça, en effet, dans une maison d'éducation, où la jeune fille séjourna pendant plusieurs années. Les bruits les plus divers coururent au sujet de ce départ inattendu, et un journal anglais, le Court Journal, en trouva l'explication ingénieuse, sinon véridique, que voici :
« Trois personnages, que Home n'avait pas voulu admettre à une séance, parce qu'il se méfiait d'eux et de leur scepticisme, s'étaient vengés, en le faisant tomber dans un piège habilement tendu. Les trois héros de cette prétendue aventure étaient le maréchal Baraguay-d'Hilliers, le feuilletonniste Eugène Guinot et Nadaud, le chansonnier. Aidés d'un compère, ils avaient imaginé de faire évoquer par Home (qui jamais n'évoquait un Esprit) les mânes de Socrate, de Frédéric-le-Grand et d'Alcibiade. »
« C'était dans les salons d'un haut fonctionnaire de la Cour que cette prétendue séance devait avoir eu lieu. L'évocateur, en voyant apparaître les fantômes de Socrate et de Frédéric, - qui n'étaient autres que Nadaud et le maréchal Baraguay-d'Hilliers, travestis pour la circonstance, avait perdu son sang-froid et ne s'était aperçu que trop tard de la mystification dont il était victime. Telle était la cause de sa fuite précipitée. Malheureusement pour l'honnête Journal, tout était faux dans son récit : les faits, les noms, les personnes et les détails[32]. »
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Certains esprits, féconds autant que sceptiques, trouvaient aussi des explications aux mystérieux phénomènes, et leurs théories, quelque absurdes qu'elles fussent, rencontraient néanmoins des adhérents. Un reporter, par exemple, avait découvert que, dans les séances des Tuileries, Home se servait d'une ligne télescopique, dissimulée sous ses vêtements et au moyen de laquelle il projetait à distance les objets destinés à illusionner les assistants. Si l'auteur de cette invention eût assisté à une seule de ces séances, auxquelles n'était admis qu'un cercle restreint des personnes de la Cour, il aurait su qu'elles avaient lieu en pleine lumière et qu'il n'aurait pas été facile à Home d'user de ce stratagème, ni d'enlever ses chaussures, comme le disait ce véridique Français, et de faire prendre ses pieds pour des mains d'Esprits.
Quelque ingénieuse que fût cette découverte, elle fut encore surpassée par celle du correspondant anglais d'un journal de Cincinnati, qui annonçait qu'à Florence on avait trouvé le médium sur le toit d'une maison, occupé à poser des fils de fer, au bout desquels se balançaient des éponges phosphorées. Il s'abstenait, cela va sans dire, d'indiquer la raison pour laquelle ces engins étaient mis à une telle distance, ni quel rôle les éponges phosphorées pouvaient bien y jouer[33].
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Il serait oiseux de s'étendre davantage sur ces inepties ; mais certaines aventures drôlatiques qui survinrent à Home, en plusieurs occasions, dans ses rencontres avec des personnes qui, ne le connaissant pas, se permettaient de raconter sur lui des histoires plus ou moins bien imaginées, trouveront ici leur place. Une des plus amusantes se passa en mai 1857.
Home avait reçu, peu après son retour d'Amérique, un télégramme, par lequel l'impératrice l'invitait à se rendre au château de Fontainebleau, où résidait alors la Cour. Partant le soir de Paris, il se trouva voyager en compagnie de trois inconnus, entre lesquels la conversation s'engagea sur les nouvelles du jour.
« - Home est de retour, à ce qu'il parait, » dit l'un des trois messieurs ; « on assure même qu'il n'est jamais parti. »
« - Et moi, je vous garantis, » reprend le second, « qu'il est bien loin à l'heure qu'il est et que quoi qu'en puissent dire les journaux, Paris ne le reverra jamais. »
« - Il serait donc vrai que l'empereur lui a signifié son congé ? »
« - Parfaitement vrai l'impératrice a été si épouvantée de ce qu'elle a vu dans certaine séance - je tiens mes renseignements de première main - que l'empereur s'est décidé à interdire ces scènes diaboliques ; aussi notre sorcier a-t-il dû quitter la France du jour au lendemain. »
« - On dit qu'il a reçu des sommes folles ! »
« - Il était payé à raison, d'un million par année ! »
Ici Home se joignit à la conversation, et bientôt il était au mieux avec ses compagnons de voyage. Il eut alors l'occasion d'apprendre sur son propre compte un certain nombre d'incidents intéressants, dont il ne se doutait en aucune façon. Sur ces entrefaites, le train arriva à Fontainebleau. Un laquais en livrée impériale se trouvait sur le quai. Home, s'adressant à lui :
« - Qui attendez-vous ? » dit-il.
« - M. Home, Monsieur. »
« - Je suis M. Home. »
Saluant poliment, il descend de wagon, laissant ces trois messieurs assez stupéfaits[34].
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Une autre fois, il voyageait avec un monsieur âgé et un jeune homme ; le premier ayant parlé de Home, le plus jeune prétendit immédiatement qu'il le connaissait aussi.
« - Je ne suis pas précisément lié avec lui, » dit-il, « mais il nous est arrivé de nous rencontrer chez mon amie, la princesse de Beauveau, qui aime à lui voir faire ses tours d'adresse. »
«- On affirme pourtant, » répartit Home, « que la princesse passe pour croire au concours qu'il dit lui être prêté par les Esprits. »
« - Il ne faut pas croire tout ce qu'on dit ! Elle n'y a pas plus foi que moi-même et tient Home pour ce qu'il est en réalité. »
« - Vous parlez là d'une personne que je connais fort bien, » reprend Home en sortant une lettre de son portefeuille, « car la princesse de Beauveau veut bien m'honorer de son amitié ; mais quand je l'ai entendue parler de Home, elle ne le traitait pas de charlatan. »
« - Je peux pourtant vous affirmer que telle est bien son opinion. »
« - Puisque vous vous êtes trouvé avec lui, vous le reconnaîtriez, sans doute, facilement. »
« - Assurément. »
« - Et cette lettre, » dit Home en la sortant de son enveloppe, « en connaissez-vous l'écriture. »
Le jeune homme ne la connaissait pas.
« - Eh bien ! » reprit Home, « cette lettre m'a été adressée par la princesse de Beauveau et, si vous voulez bien en prendre connaissance, vous verrez qu'elle croit fermement au pouvoir spirituel de M. Home. »
Mais le jeune homme, assez confus, ne voulut pas lire la lettre et affirma qu'il s'en rapportait à son interlocuteur.
« - Veuillez, au moins, » poursuivit le médium, « jeter un coup d'œil sur l'enveloppe, pour voir à qui elle est adressée. »
L'ayant regardée, il n'ouvrit plus la bouche et, au premier arrêt, s'empressa de quitter le wagon[35].
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Les journaux charivariques, pour lesquels ce thème était assez attrayant, n'ont pas manqué de s'en emparer aussi. Ici, une caricature représente l'Esprit de César, cirant les bottes du médium qui vient de l'évoquer dans ce but ; là - à l'aide de sa baguette magique, - il fait raser et coiffer l'honorable société par des mains isolées. Ailleurs, on voit le sorcier faire ses préparatifs de départ et emballer sa collection de démons ; mais, lorsque vient le tour du chef de la bande - un diable à la queue et aux cornes fort imposantes - celui-ci le supplie de le laisser à Paris, où il se trouve en si bonne compagnie[36].
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En voilà assez sur le côté burlesque d'une question trop sérieuse pour être traitée sur le ton de la plaisanterie. On comprendra, cependant, que l'opinion publique ait pu faire fausse route, lorsqu'on saura qu'il ne se publiait aucun compte rendu des séances tenues aux Tuileries. Les quelques faits réels dont pouvait avoir parlé l'un ou l'autre des sitters se transformaient, en conséquence, en passant de bouche en bouche, et s'exagéraient dans d'étonnantes proportions ; aussi, malgré les protestations de Home, qui affirmait, chaque fois que l'occasion s'en présentait, n'avoir, en réalité, aucun pouvoir sur les phénomènes et ne pouvoir jamais garantir, au début d'une séance, si, oui ou non, il s'en produirait, il n'en passait pas moins, auprès de bien des gens, pour un magicien, ayant à ses ordres un bon nombre d'Esprits familiers.
CHAPITRE IV
La crainte du « Qu'en dira-t-on ? »
Grâce à l'appui que lui ont prêté les amateurs de racontars et les journaux - ceux même qui passent pour les plus sérieux - la vie légendaire de Home a eu une rare notoriété, tandis qu'il en était tout autrement de sa vie réelle. La crainte de se compromettre fut, pour l'immense majorité de ceux qui auraient pu témoigner de l'authenticité des phénomènes, obtenus en présence de ce médium, la principale, sinon l'unique cause, du silence qu'ils gardèrent à son sujet.
On sait que William Crookes s'est plaint, en maintes occasions, de l'apathie de ses savants collègues ; il affirmait que la réalité des phénomènes psychiques serait bientôt admise, s'il se trouvait quelques hommes de science disposés à en faire, avec lui, un examen sérieux, poursuivi pendant un certain nombre de séances. Mais le mauvais vouloir et le scepticisme qu'il rencontra rendirent impossibles des constatations, appuyées de signatures en nombre suffisant.
Dans une des séances les plus intéressantes rapportées par le savant chimiste, il se trouvait en compagnie de son frère, M. Walter Crookes, de M. Cox, avocat très honorablement connu, qui a aussi été un ardent défenseur des faits et de leur authenticité, et du Dr Huggins, membre de la Société royale. Celui-ci était au nombre de ceux qui redoutent le « Qu'en dira-t-on ? » ce qui donnait à Crookes l'occasion de dire à Home, dans une lettre qu'il lui écrivait le 18 juillet 1871 : « Huggins, que j'ai vu hier, a bien travaillé de la langue ; il est poltron de la plume, mais, dans la conversation, il est, en revanche, brave comme un lion[37].
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Le monde scientifique ne veut tenir pour valables que les expériences faites par les savants eux-mêmes ; cette prétention n'est pas admissible, en présence de l'obstination dont a fait preuve jusqu'ici la grande majorité de ces mêmes savants, à ne pas vouloir contrôler les phénomènes psychiques ou spirites. On a vu, par exemple, les deux secrétaires de la Société royale - les professeurs Sharpey et Stokes – refuser de prendre part à des séances avec Home, auxquelles M. Crookes les invitait. La Société royale elle-même, ne voulut pas entrer en matière sur les rapports que lui présentait Crookes touchant ses expériences.
Le Dr William B. Carpenter, qui a été un des antagonistes les plus acharnés du spiritisme, mérite une mention spéciale : dans un grand nombre d'écrits, il a contesté, soit la réalité des phénomènes, soit la bonne foi des médiums ; le fait de lévitation attesté par le vicomte Adare, lord Lindsay et le capitaine Wynne, dont il est parlé pages 43 à 46, a été tout particulièrement de sa part l'objet d'une violente opposition. Comment ce même Dr Carpenter concilie-t-il ses démentis et ses accusations de fraude avec les déclarations suivantes, qu'il adressait, en date du 27 novembre 1877, à un jeune journaliste en relation avec Home :
« …Je n'ai jamais nié que les Esprits partis ne pussent continuer à exister ou à exercer leur influence sur les cerveaux des vivants. Rien ne m'empêche de croire à la possibilité, ni même à la probabilité de telles influences spirituelles ; c'est un domaine absolument distinct de celui concernant la réalité des manifestations physiques. Car, lors même que M. Home et beaucoup d'autres me croient matérialiste, ma philosophie est plutôt un spiritualisme universel... J'ai toujours considéré M. Home comme un honnête homme, ayant foi en lui-même ; si, d'un côté, ma confiance en lui a été ébranlée par le procès Lyon[38], son livre Ombres et Lumières m'a donné de lui une opinion plus favorable, et vous aurez remarqué que ce que j'ai pu dire de désagréable sur son compte n'avait trait qu'aux manifestations physiques…»
Venant, après les violentes attaques, publiées en octobre 1871 dans la Quarterly Review, contre Crookes et d'autres, cette lettre est assez originale. En public, le Dr Carpenter attribuait les phénomènes physiques du spiritisme à la fraude et expliquait par sa théorie favorite de la cérébration inconsciente les phénomènes mentaux, tandis que dans cette lettre privée, il ne voit rien d'impossible ou même d'improbable à l'exercice d'une influence des Esprits de ceux qui sont partis sur ceux qui restent ici-bas. Il se contredit, en outre, lui-même lorsqu'il dit, d'une part, qu'il croit le médium honnête et, d'autre part, que les manifestations physiques observées aux séances de Home sont le produit de la supercherie[39].
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On a prétendu que Home craignait d'inviter des savants à prendre part à ses séances ; cela est inexact, il ne les recherchait, ni ne les évitait ; il lui était indifférent que la science officielle s'occupât de ses facultés médiumniques ou qu'elle ne s'en occupât pas ; mais il lui répugnait de se trouver en face d'hommes qui le considéraient comme un charlatan ; c'est la raison pour laquelle les séances qu'il devait tenir avec Tyndall ne purent avoir lieu. Des amis de ce savant désiraient le voir étudier la question, mais Home ayant appris, par une lettre que lui adressait en 1868 M. Bertolacci, que Tyndall avait déclaré que « si ses propres sens venaient à le convaincre de la réalité du spiritisme, il renierait ses propres sens, » il se refusa à lui donner des séances, qui, en face d'un tel parti-pris, n'avaient aucune chance de succès[40].
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Le professeur Balfour Stewart émettait de son côté la théorie que la faculté de Home résidait simplement dans une force électro-biologique, qui lui permettait d'hypnotiser toutes les personnes réunies en séance. « Quelque susceptibles que puissent être les sitters de céder à cette influence » réplique, Crookes, « on fera difficilement admettre que la puissance du médium ait été jusqu'à hypnotiser les instruments dont je me suis servi pour mes expérimentations[41]. »
CHAPITRE V
Epreuves
Si la carrière de Home a été bénie sous bien des rapports, les tribulations ne lui ont pas non plus manqué, car, indépendamment de sa santé délicate, qui l'obligeait à de grands ménagements, sa position financière fut fréquemment pour lui une cause de sérieux embarras. Ayant dû renoncer, ainsi que nous l'avons vu, à la vocation de médecin, pour laquelle il se sentait des aptitudes si ce fut principalement par des conférences qu'il donna soit en Amérique, soit en Angleterre, qu'il put se créer des ressources. Il avait, comme récitateur, un talent fort remarquable et ses productions obtinrent beaucoup de succès devant le public.
Les deux mariages qu'il contracta améliorèrent bien sa position, mais il n'en eut pas moins des phases fort difficiles à traverser et dut montrer parfois une grande énergie pour se tirer d'affaire.
Les principales causes de ses soucis furent dues à deux procès qu'il eut à soutenir. L'un d'eux lui fut intenté par la comtesse Pouchkine, la riche héritière de son beau-frère, le comte Koucheleff-Besborodka, qui lui contestait ses droits à la petite fortune que lui avait laissée sa première femme ; ce procès se termina en 1871 par un verdict en sa faveur.
L'autre, bien plus important, fut très préjudiciable au médium, parce que le public, peu expérimenté en ces questions litigieuses, apprenant qu'il l'avait perdu, put croire à sa culpabilité ; aussi est-il nécessaire d'entrer à ce sujet dans quelques détails.
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Vers la fin de l'année 1866, pendant laquelle la santé de Home avait été, de plus en plus chancelante, on lui offrit le poste de secrétaire dans une association qui, sous le nom d'« Athenaeum, » venait d'être fondée par quelques spiritualistes anglais, désireux d'avoir un lieu de réunion pour les partisans de la cause. Le médium accepta cette proposition qui lui assurait une existence, plus tranquille et mieux en rapport avec sa constitution délabrée. Il n'occupait que depuis peu ce poste, lorsqu'il reçut un jour la visite d'une veuve, vieille et riche, Mrs. Lyon, qui désirait se faire recevoir membre de l' « Athenaeum. »
Au cours de la conversation, cette dame lui fit l'éloge de son ouvrage : Incidents of my Life et lui apprit qu'elle aussi avait cru aux manifestations spirites dès son enfance, qu'elle était médium et sujette à des visions. Ce qui, toutefois, paraissait l'intéresser avant tout, c'était de savoir jusqu'où allait l'intimité du médium avec certains membres de l'aristocratie et de la famille royale et elle posa à Home différentes questions à cet égard. Peu de jours après il apprenait, à sa grande surprise, que Mrs. Lyon s'était prise pour lui d'une telle affection, qu'elle avait résolu de l'adopter et de placer sur sa tête une somme importante. Elle n'avait pas d'enfants et détestait les parents de son mari ; ils pourraient donc, disait-elle, vivre comme mère et fils, il ajouterait à son nom celui de Lyon et cet arrangement ferait deux heureux, lui par la fortune qu'elle lui apporterait, elle par les entrées dans le grand monde qu'il lui faciliterait. « Que vous le vouliez ou non, » lui dit-elle un jour, « je vous léguerai ma fortune et il faudra bien que vous l'acceptiez. Vous êtes un gentleman et avez des amis dans la meilleure société. J'y serai reçue avec vous et vos amis seront reçus chez nous ; j'aurai ainsi devant moi des jours de bonheur pour ma vieillesse. » Il lui exprima ses craintes de ne devoir sa démarche qu'au pouvoir extraordinaire qu'il possédait, mais elle le nia et dit que lors même qu'elle devait à ce pouvoir d'être entrée en rapport avec lui, c'était bien pour sa personne même qu'elle avait de l'affection, maintenant qu'elle le connaissait. Malheureusement pour lui, il n'y avait pas de témoin à cet entretien et il n'eut plus tard que sa parole pour prouver sa bonne foi, ce qui était insuffisant devant la loi anglaise.
Quel but poursuivait, en réalité, Mrs. Lyon, en offrant ainsi à Home de partager sa fortune ? Il est difficile de le savoir ; cette dame était fantasque ; à ce qu'on apprit plus tard, elle avait déjà fait et révoqué cinq testaments au moins, en faveur de différentes personnes. On a pu supposer qu'elle désirait en venir au mariage avec son fils adoptif ; quoi qu'il en soit, ce fut lorsqu'elle vit que celui-ci était un valétudinaire, qui exigeait des soins plutôt qu'il n'en pouvait donner, qu'elle passa subitement de l'affection à la haine et qu'elle lui intenta une action en remboursement de la somme dont elle lui avait fait don, somme qui, de £ 24,000 qu'elle était primitivement, avait été portée d'abord à 30,000, puis à £ 60,000.
Home avait beaucoup hésité avant d'entrer dans les vues de Mrs. Lyon ; à plusieurs reprises déjà il avait refusé, dans le passé, des offres de même genre et il tenait toujours à ne rien sacrifier de son indépendance. Pressé, toutefois, par les amis qu'il avait consultés, il se décida à accepter ces propositions qui, de pauvre qu'il était, faisaient de lui un homme riche, mais il ne fut pas longtemps avant de s'en repentir.
En mai 1867, Mrs. Lyon consultait un avocat retiré des affaires sur le meilleur moyen de se faire rembourser la moitié de la somme cédée. Home se trouvait alors à Malvern, d'où il revint à Londres en juin ; son docteur lui ayant ordonné une cure de bains en Allemagne, il écrivit à Mrs. Lyon pour l'en aviser, lui disant qu'il serait bien aise qu'elle voulût l'y accompagner.
« Mon cher Daniel, » répondit-elle, « je viens d'apprendre par votre lettre votre détermination que j'approuve entièrement ; j'espère que la cure vous sera profitable et vous souhaite que vous y ayez du plaisir et surtout que vous y trouviez la santé. » Elle terminait sa lettre en le priant de venir la voir, ce qu'il fit immédiatement. Mais alors, loin de se montrer envers lui aussi affectueuse que les termes de sa lettre auraient pu le faire supposer, ce fut d'un ton grossier qu’elle lui réclama la restitution des £ 30,000 qu'elle lui avait données en dernier lieu. Cette demande le jeta dans une grande perplexité ; il se rendait bien compte, en effet, que s'il cédait et restituait le titre réclamé d'une manière si outrageante, on ne manquerait pas de dire qu'il n'agissait ainsi que par crainte d'un procès. Après avoir consulté ses amis de Londres, qui tous l'engagèrent à n'en rien faire, il se décida, malgré leurs avis, à satisfaire aux exigences de Mrs.Lyon, en posant toutefois pour condition que cette dame - qui avait attaqué sa loyauté et celle de ses amis - se rétracterait par écrit. Il ne se doutait pas qu'elle eût déjà déposé à la Chancellerie une plainte en règle. - Etant malade, il ne demandait qu'une chose, c'est qu'on le laissât tranquille ; il n'en voulait pas à Mrs. Lyon, à qui il avait écrit de son propre mouvement ; mais si, à ce moment, il avait eu connaissance du dépôt de sa plainte, il ne se fût certainement prêté à aucun compromis. Sur ces entrefaites, Mrs. Lyon ne tenant compte ni de ce que le départ de son fils adoptif était ordonné par le médecin, ni de ce qu'en la prévenant de ce départ il lui avait demandé de l'accompagner obtint contre lui un mandat d'arrêt qui fut mis à exécution le 18 juin 1867. Home était relâché le lendemain ; ce ne fut, toutefois, qu'après avoir livré les titres de donation des 60 000 livres ; ses amis, lord Adare et lord Lindsay, ne le quittèrent pas pendant ces vingt-quatre heures, témoignage de sympathie auquel il fut très sensible ; mais une telle secousse survenant dans un moment où il était déjà miné par la maladie, faillit lui porter le coup fatal ; il fut trois mois avant d'être suffisamment rétabli pour pouvoir s'occuper d'affaires et s'entendre avec ses avocats au sujet de ce malheureux procès.
La cause Lyon contre Home vint en avril 1868 devant le vice-chancelier Giffard, sans le concours du jury. Les prétentions de la plaignante étaient basées sur ce qu'elle avait été entraînée à adopter M Home par des communications qu'elle croyait émaner de son mari défunt. Elle affirmait que, lors de leur première entrevue, les paroles suivantes avaient été dictées par coups frappés sur la table : « Ma bien-aimée Jeanne, je suis Charles votre cher époux; je vis pour vous bénir. » Et cependant – d’après sa propre déposition – elle était, lors de cette première rencontre, absolument inconnue de Home, qui ne pouvait donc pas savoir que son mari s’appelait Charles. Elle prétendait que c’était par des communications successives qu’elle avait été poussée à adopter Home et à le doter, en différentes fois, des sommes qu'elle lui avait remises. Ces prétendues communications auraient été invariablement données dans des moments où Mrs. Lyon se trouvait en tête-à-tête avec le médium, ce qui rendait impossible toute preuve par témoins, en faveur de l'un ou de l'autre des plaideurs. Home affirma sur serment que la première de ces communications - ainsi que d'autres - était pure invention ; il produisit, en outre, témoin après témoin qui déclarèrent que Mrs. Lyon ne leur avait jamais parlé de ces communications comme ayant été la cause déterminante de sa manière d'agir vis-à-vis de lui et qu'elle avait toujours assuré que ce qu'elle en faisait était par pure affection. L'avocat de Home, surtout, M. Wilkinson, avoué d'une parfaite honorabilité, témoigna énergiquement de l'obstination que Mrs. Lyon avait mise dans ses décisions en faveur de Home, malgré les nombreux conseils qu'on lui avait donnés, de ne pas agir sans réflexion et sans avoir consulté d'autres hommes d'affaires. « Si c'est par des communications spirites qu'elle a été influencée, à l'époque où elle signa sa donation, » déclare-t-il entre autres dans sa déposition, « non seulement elle ne me le dit pas, mais bien au contraire, elle le nia péremptoirement, m'affirmant que son affection pour M. Home et son désir de le rendre indépendant étaient les uniques mobiles de sa conduite. »
Malheureusement pour le médium, la bonté de sa cause ne pouvait prévaloir, ni contre les préventions du juge, ni contre les subtilités de la loi anglaise qui, dans cette circonstance, contrairement aux maximes ordinaires de la jurisprudence, exigeait que le défendeur fût tenu pour coupable aussi longtemps qu'il n'avait pas fait la preuve absolue de son innocence. Or, les faits dont Mrs. Lyon l'accusait s'étant nécessairement passés sans témoins, Home n'avait que sa parole pour toute ressource et lors même que sa partie adverse s'était évidemment rendue coupable de faux serment, sur certains points de sa déposition, cela ne suffisait pas pour faire absoudre un médium, considéré comme le représentant du spiritisme, qui, à cette époque, était vu de fort mauvais œil, bien plus qu'il ne l'est encore de nos jours.
Malgré ces circonstances fâcheuses, cependant, tout en se croyant obligé de rendre un jugement défavorable à Home, le vice-chancelier Giffard prononçait ces paroles, qui montrent bien en quelle petite estime il tenait Mrs. Lyon : « Les frais (du procès) ont été notablement augmentés, d'abord par le fait de l'attaque inexcusable de la plaignante contre M. Wilkinson ; ensuite par les innombrables dépositions erronées sur plusieurs points importants - dépositions sous serment, si méchamment fausses, qu'elles ont mis la Cour dans un grand embarras et ont complètement discrédité le témoignage de la plaignante. »
« Je comprends votre chagrin, mon cher Daniel, » écrivait à Home Mrs. S. C. Hall, «de n'avoir pas eu du vice-chancelier quelques mots en votre faveur qui auraient écarté tout soupçon de fraude en votre qualité de Spiritualiste ; mais qu'auriez-vous dit, s'il eût flétri votre caractère comme il l'a fait pour Mrs. Lyon, qu'il a si carrément accusée de parjure ? »
La meilleure preuve, du reste, que Home n'avait nullement songé à abuser de la crédulité de cette dame, c'est qu'il aurait facilement pu - comme on le lui avait suggéré échanger les titres anglais qui lui avaient été donnés et mettre leur contre-valeur à l'abri à l'étranger. Mais il eut toujours en horreur tout ce qui avait la moindre apparence d'indélicatesse et il ne se permettait pas volontiers des soupçons injurieux envers qui que ce fût.
Peut-être dira-t-on qu'il aurait dû restituer immédiatement la somme qui lui était réclamée ; s'il ne l'a pas fait, c'est qu'il pensait qu'il y allait de sa dignité, dont il avait un sentiment très net et dont il était le meilleur juge.
En cédant, il aurait craint qu'on ne l'accusât d'avoir eu peur et de s'être servi de moyens peu délicats pour s'approprier cette fortune. Mais une fois condamné, il ne voulut pas en rappeler, malgré les conseils de quelques-uns de ses amis - pas tous, car plusieurs étaient persuadés qu'en sa qualité de spirite et de médium, il n'obtiendrait jamais d'un tribunal anglais un verdict conforme à l'équité.
Quiconque prendra la peine de lire les nombreux documents de ce procès, tels qu'ils sont consignés dans Life and Mission[42], pourra se convaincre que les attaques auxquelles ce médium a été en butte, étaient principalement dirigées contre les doctrines qu'il proclamait et dont la base fondamentale - les phénomènes - était combattue par tous ceux dont elles compromettaient les théories ou les intérêts.
CHAPITRE VI
Ce travail serait incomplet, si nous n'abordions pas ici la question de doctrine. Les idées philosophiques de Home, en effet, prêtent, à certains égards, le flanc à la critique.
Tout en reconnaissant ses facultés médianimiques supérieures, on peut trouver excessives les accusations qu'il porte contre les médiums en général. Ses appréciations sur la majeure partie de ses collègues en médiumnité, telles qu'on les lit dans Lumières et Ombres du Spiritualisme, ont été l'objet de critiques qui nous semblent justifiées. Bien qu'exceptionnellement doué, il ne parait pas s'être rendu compte de l'extrême diversité qui existe entre les différents médiums, ni des erreurs qui prennent leur cause dans la variété infinie des Esprits qui se communiquent. Il ne comprenait pas, semble-t-il, que les désincarnés avec lesquels il est permis aux médiums de se mettre en rapport, offrent une diversité de connaissances et d'élévation morale, semblable à celle que nous constatons chez les incarnés. Partant de là, il se montre trop enclin à dénigrer ceux qui professent d'autres opinions que les siennes ou dont les expériences présentent des résultats moins caractéristiques. Mais c'est surtout contre la réincarnation et contre ceux qui professaient cette croyance que ses critiques ont pris un caractère acerbe qui contraste avec sa bonhomie habituelle. À considérer ce qu'il a lui-même publié à ce sujet et ce qu'en dit de son côté Mme Dunglas Home, dont les opinions sont les siennes, ils ne semblent avoir, ni l'un, ni l'autre, examiné la question assez sérieusement pour pouvoir la juger en pleine connaissance de cause.
« Le Spiritualisme, » lit-on dans Life and Mission[43], n'existe pas en France, où il a été remplacé par le Spiritisme, qui est tout autre chose. La conception fondamentale du spiritualisme, c'est l'immortalité individuelle de l'âme et la réalité du monde invisible. Home a prouvé que la mort est une seconde naissance et que la vie de ceux qui quittent la terre ne subit pas d'interruption. Que peut-il y avoir de plus consolant qu'une telle croyance ? Il n'y a là aucun antagonisme avec la foi chrétienne, tandis que le spiritisme prétend être une religion anti-chrétienne enseignée par les Esprits - si on peut donner le nom de religion à une superstition aussi grossière. Ce n'est pas même une hérésie nouvelle ; c'est simplement l'application au XIXme siècle de l'antique superstition de la transmigration des Esprits .....Ceux qui acceptent cette doctrine s'appuient uniquement sur de prétendues révélations faites par des Esprits. La raison est mise de côté et les preuves d'identité sont remplacées par des écarts d'imagination dénotant plus d'incohérence que de grandeur. Si cette superstition fait des adeptes en France - et rien qu'en France - parmi la classe dépourvue d'intelligence ou d'éducation, elle ne compte pas une seule célébrité intellectuelle. »
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* *
Ces affirmations sont étranges. Les adhérents à la doctrine de la réincarnation se recrutent dans tous les pays et dans tous les rangs de la société ; il s'en trouve, en grand nombre, parmi les personnages les plus éminents ; nous nous bornerons à citer quelques-uns des auteurs qui ont traité, dans des ouvrages remarquables, la question des existences successives : Pezzani, La Pluralité des Existences ; Flammarion, La Pluralité des Mondes et tout particulièrement Allan Kardec, Le Livre des Esprits, l'Evangile selon le Spiritisme, le Ciel et l'Enfer, etc. Tous ceux qui ont pesé les arguments, si logiques et si concluants, qui témoignent en faveur d'un nombre indéterminé d'existences corporelles, plutôt qu'à une existence unique dans les liens de la chair, savent combien il est difficile d'admettre que l'Etre Suprême nous ait placés ici-bas pour quelques courts instants et nous ait pourvus d'organes corporels éphémères, s'ils n'étaient pas nécessaires au développement de notre être intellectuel et moral.
Que signifieraient ces existences matérielles si courtes, en regard d'une existence éternelle à l'état d'Esprit ? D'où viendraient ces aptitudes si diverses, des idiots d'une part, des génies d'autre part ? Pourquoi ces tendances au bien chez quelques-uns, au mal chez le grand nombre ? Des destinées si variées, la fortune et le bonheur pour les uns, toute une vie de misère et de souffrance pour les autres ?
Si on admet que nous avons déjà vécu, - car la préexistence est en corrélation intime avec la réincarnation - on comprend que les uns naissent supérieurs et les autres inférieurs. On ne comprend pas moins que tel, qui a failli plus ou moins gravement dans une vie antérieure, doit, pour se réhabiliter, expier dans une vie ultérieure, au lieu que d'autres, moins coupables ou plus avancés, bénéficient aujourd'hui des acquits précédents. Les problème troublants du passé et de l'avenir trouvent ainsi leur explication dans cette antique, mais sublime doctrine des existences successives, qui nous fait comprendre les inégalités choquantes qui - avec une vie unique - feraient, non sans raison, douter de la justice divine. Elle remplace désormais, à notre entière satisfaction, les dogmes surannés de la prédestination, du péché originel et de la grâce.
On peut juger, par cette courte analyse des ouvrages mentionnés, si les spirites font bon marché de la raison. Tous ces arguments - et bien d'autres - sont développés avec une logique irréfutable par Allan Kardec. Ceux qui s'intéressent a ces problèmes feront bien de les approfondir en lisant les nombreux livres publiés par cet éminent penseur.
Deux objections principales sont faites à cette théorie par les adversaires de la réincarnation :
1° « Si nous avions préexisté, » disent-ils, « nous devrions avoir conservé le souvenir de nos vies antérieures ; comment réparer nos torts, si nous ne savons en quoi nous avons failli ? »
2° « Les Esprits ne s'accordent pas entre eux sur cette importante question ; comment expliquer que leurs communications à cet égard soient contradictoires ? »
Quant à la première objection, nous ferons observer que les états de veille et de sommeil, par lesquels nous passons alternativement, nous fournissent chaque jour la preuve que nous pouvons oublier momentanément notre existence normale, sans perdre pour cela notre personnalité. N'avons-nous pas aussi, dans le somnambulisme et l'hypnotisme, de fréquents exemples d'une perte de mémoire plus ou moins prolongée ? Qu'y aurait-il d'extraordinaire dans le fait d'un oubli analogue, mais de plus longue durée, dans chaque vie terrestre, par rapport à celles qui l'ont précédée ?
Pouvons-nous, au reste, affirmer que cette perte de mémoire soit absolue ? Si nous n'avons pas, pendant la vie corporelle, le souvenir précis de ce que nous avons été et de ce que nous avons fait de bien et de mal dans nos existences antérieures, n'en avons-nous pas conservé une certaine intuition ? Ne serait-ce pas le désir que nous avons conçu de ne plus commettre les mêmes fautes, qui se manifeste dans la conscience et nous engage à y résister ?
En y réfléchissant, nous reconnaîtrons, en outre, que l'ignorance de notre passé est, en réalité, une nécessité absolue et un véritable bienfait. Dans certains cas, en effet, le souvenir incessant de nos anciennes fautes pourrait nous humilier étrangement, tandis que d'autres circonstances pourraient exalter notre orgueil et entraver notre libre arbitre.
Il est, toutefois, une considération plus péremptoire : si nous nous souvenions de notre passé, nous nous souviendrions, vraisemblablement aussi, du passé d'autrui, et cette connaissance risquerait d'avoir les plus fâcheux effets sur les relations sociales, dans le cas où nous serions mis en contact avec des individus, dont nous saurions avoir eu à nous plaindre ou qui sauraient avoir eu à se plaindre de nous. Si nous ressentons de l'antipathie pour telle ou telle personne fait qui se présente fréquemment, sans cause apparente, et qui peut provenir de dissentiments qui nous ont divisés dans une existence antérieure - au moins n'ayant pas de griefs précis à énoncer, pourrons-nous lutter efficacement contre un sentiment malveillant, qui ne repose sur aucun motif plausible. Des rapports affectueux peuvent ainsi se rétablir entre d'anciens ennemis, sans que leurs susceptibilités, plus ou moins justifiées, viennent se mettre à la traverse d'une réconciliation. Plus tard, l'Esprit rendu à la liberté, se rendra compte du chemin parcouru et bénira Dieu de lui avoir fourni l'occasion de surmonter sa haine. C'est un pas de plus fait dans la bonne voie.
Pour ce qui est des théories diverses des Esprits, nous convenons qu'il y a là une difficulté sérieuse, mais cette difficulté est une preuve de plus de l'erreur dans laquelle on tombe généralement, lorsqu'on s'imagine que l'âme humaine acquiert instantanément des connaissances exceptionnelles, par le fait seul de son passage à travers la mort. Tout semble prouver, au contraire, qu'elle n'en sait pas davantage dans l'au delà, que dans l'en deçà, ce n'est que par le travail que le progrès se réalise dans les deux mondes - terrestre et spirituel.
Une autre erreur consiste à représenter cette doctrine comme anti-chrétienne ; il n'en est rien. M. Daniel Metzger l'a fort bien démontré dans ses belles conférences[44] ; c'est bien plutôt le christianisme traditionnel qui a fait fausse route, en se refusant à suivre la voie tracée par les premiers chrétiens et à croire aux phénomènes médianimiques - tant à ceux des siècles passés qu'à ceux de notre époque - qui sont pourtant identiques à ceux racontés dans les Evangiles.
La doctrine de la réincarnation elle-même ne peut-elle pas se déduire de quelques-unes des paroles de Christ, et en particulier de celles-ci :
« Il est vrai qu'Elie doit premièrement venir et rétablir toutes choses ; mais je vous déclare qu'Elie est déjà venu et ils ne l'ont point connu, mais ils l'ont traité comme il leur a plu. C'est ainsi qu'ils feront souffrir le Fils de l'Homme. Alors ses disciples comprirent que c'était de Jean-Baptiste qu'il leur avait parlé[45]. »
« En vérité, en vérité, je vous le dis : Personne ne peut voir le royaume de Dieu, s'il ne naît de nouveau[46]. »
Si les conciles soi-disant infaillibles de Chalcédoine, de Constantinople et de Nicée n'eussent pas condamné, avec Origène, sa croyance à la préexistence et aux vies successives, peut-être le monde chrétien, dans son ensemble, admettrait-il aujourd'hui cette doctrine, et la foi des masses ne serait-elle pas si profondément ébranlée par les théories inacceptables qu'on leur présente, car, ne l'oublions pas, s'il reste des points obscurs dans la doctrine que nous défendons, au moins ne s'y trouve-t-il rien d'illogique, rien qui soit en opposition avec l'idée que nous nous faisons de la bonté de Dieu et de sa justice. Pourrait-on en dire autant des théories touchant le péché originel, la grâce, le paradis ou l'enfer, qui ont fait verser des flots de sang dans le passé et qui, aujourd'hui encore, font le sujet de discussions interminables entre théologiens ?
N'abdiquons jamais le droit, qui appartient à tout être humain, d'user de l'intelligence qui nous a été départie. Donnons, entre des systèmes opposés, la préférence à celui qui nous parait le plus conforme à la saine raison. Le problème subsiste sans doute ; mais il y a lieu d'espérer que la science spirite - toute jeune encore - parviendra, avec le temps, à le résoudre, comme elle a déjà résolu celui de la persistance de l'être au delà de la tombe.
En ce qui concerne le médium qui fait l'objet de ce travail, il est à remarquer que si les Esprits qui le dirigeaient lui ont fourni des preuves incontestables de leur intervention et ont, en mainte occasion, démontré l'identité des désincarnés qui venaient se manifester à leurs parents ou amis, ils ne paraissent pas, néanmoins, avoir été fort avancés en matière religieuse ou philosophique. Si Home s’est laissé guider par leurs conseils, ainsi qu'on est en droit de l'admettre, ses tergiversations ne dénotent pas des convictions fortement assises. Né protestant nous le voyons en effet, passer au catholicisme, à l'âge de 23 ans, et manifester des velléités d'entrer au couvent, velléités auxquelles, heureusement, il renonce à temps, « doutant de trouver dans la cellule du moine la paix à laquelle il aspire. » Il ne cède plus, dès lors, aux sollicitations des prêtres qui, à plusieurs reprises, cherchent à le détourner de sa mission et à lui persuader que l’œuvre qu'il poursuit est une œuvre diabolique. A sa mort, il est enterré, selon le rite grec, dans le cimetière russe, aux environs de Paris, dans le caveau qui avait déjà reçu la dépouille de la fille qu'il avait perdue bien des années auparavant, et auprès de laquelle il avait désiré reposer. « Notre Seigneur ne s'attache pas à la forme, mais aux œuvres, » dit Mme Home, et son mari avait, sous ce rapport, la même largeur d'idées.
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Il est donc permis de croire qu’il ne sentait pas le besoin d'approfondir la question ardue des destinées ultérieures des âmes, et qu’il se contentait, à cet égard, de sa foi en l’immortalité, sans chercher à en scruter les détails. S'il eût désiré s'éclairer à cet égard, il lui eût été facile d’interroger ses guides spirituels. Une communication reçue d'un de ses amis américains, M. Ward Cheney[47], peu après la mort de celui-ci, aurait dû tout au moins attirer son attention sur cette question de l’au-delà. Cet ami d'outre-tombe faisait les réflexions suivantes : « Eh bien ! Dan, c'est encore la vieille histoire ; que nous la répétions sur la terre ou dans le séjour éternel, on en est toujours au même point ; le même mystère nous enveloppe. J'avais espéré en savoir davantage et je vois que la vérité est toujours insaisissable… J'ai vu ceux que j'aimais, nous nous sommes reconnus mutuellement ; à cet égard, il n’y a pas l'ombre d'un doute. Je n'ai pas vu de Dieu personnel et ne sais ce qu’il me sera donné de voir. J'élève mes pensées vers un Créateur grand et bon, car je suis convaincu qu'il existe un pouvoir qui crée et dirige tout avec intelligence ; je ne suis cependant pas au clair sur ce qu'il est. J'attends d'être renseigné ; il me reste à apprendre pourquoi l'imperfection se trouve côte à côte avec la perfection, le Bien avec le Mal. Le même pouvoir les a-t-il créés tous deux ? Voilà, avec bien d'autres, les questions que je me pose ; ce sont les mêmes que je me posais déjà auparavant ; j'espère pourtant que la réponse ne se fera pas trop attendre… Il y a une chose dont je suis sûr dès à présent, c'est que je suis toujours le même Ward Cheney[48]. »
Cette communication, qui contenait, en outre, certains renseignements, donnant à sa famille des preuves de l'identité de celui qui l'envoyait, est en parfaite concordance avec bien d'autres, qui toutes démontrent péremptoirement, que le passage de l'existence corporelle à la vie spirituelle n'est pas accompagné d'un progrès anormal immédiat, mais que les connaissances des Esprits restent ce qu'elles étaient et qu'il n'y a pas lieu, de leur accorder, sur bien des questions, plus d'autorité que nous n'en accordons aux incarnés. Qu'il y ait, pour parvenir à la connaissance, des difficultés inhérentes à toute créature, difficultés que notre passage à un autre genre d'existence laisse subsister, en tout ou en partie, c'est ce qui résulte des expériences faites dans ce domaine.
Il y a, dans la manière de voir de Home, une lacune qui mérite aussi d'être signalée. Quand il parle d'un Esprit qui a quitté notre terre, il l'envisage invariablement comme étant dans des conditions relativement favorables, et il semble tenir fort peu compte de ceux qui, ayant gravement contrevenu aux lois divines pendant leur existence terrestre, doivent avoir, par conséquent, à expier leurs méfaits dans l'au delà. Que fait-il de ces âmes et quelles sont leurs destinées ? Cette question, qu'il laisse dans l'ombre, a cependant une importance majeure, et on peut se demander de nouveau, si la théorie réincarnationniste, qui permet aux âmes déchues de se réhabiliter dans les existences ultérieures, n'offre pas, sous ce rapport, une solution des plus satisfaisantes.
CHAPITRE VII
Un beau caractère
Quelles qu'aient été les idées du médium en matière philosophique, elles ne peuvent, toutefois, porter aucune atteinte à l'honorabilité de son caractère, et il nous reste, pour terminer cette biographie, à parler de ses remarquables qualités morales et à montrer en quelle estime il était tenu par tous ceux qui avaient été à même de l'apprécier.
Le lecteur comprendra aisément, que les contes ridicules et les attaques auxquelles il était constamment en butte, avaient pour principal objet de saper le spiritisme, en dénaturant les phénomènes qui sont à sa base et en représentant comme un personnage ne méritant aucune confiance un des principaux apôtres de cette doctrine.
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A la suite des expériences citées p. 70 à 74, le Dr Hawksley faisait la déclaration suivante, par laquelle on verra que, tout en différant de Home, pour l'explication des phénomènes, il n'en rend pas moins témoignage à sa parfaite loyauté :
« En consentant à faire ce rapport, je me suis réservé la latitude d'exprimer mon opinion sur la cause de ces phénomènes ; ce n'est pas celle qui a cours généralement. Après un sérieux examen, j'en suis venu à la conclusion, que ces manifestations étaient provoquées par un Esprit intelligent, qui s'emparait du corps de mon ami et pouvait le quitter pour opérer, à distance, certains actes, jouer d'un instrument, par exemple, soulever et projeter des objets matériels, lire dans la pensée ou répondre d'une manière intelligente, par des raps, aux questions qui lui étaient posées. Les cas de possession dont il est parlé dans les Ecritures donnent lieu de croire que ces phénomènes sont identiques à ceux qui se passaient au temps du Sauveur ; ces possessions, suivant l'Evangile, ne prouvaient pas qu'elles fussent, ni une preuve de la culpabilité de ceux qui en étaient victimes, ni une punition ; il fallait plutôt y voir une épreuve ou un malheur, qui doit avoir sa raison d'être, mais nous est resté jusqu'ici tout à fait incompréhensible. En ce qui concerne M. Home, quoique je sois porté à croire qu'il était possédé, ce que j'ai connu de sa vie et de ses qualités me laisse absolument convaincu de sa véracité, de son honnêteté, de sa bienveillance et de la noblesse de son caractère.
« Thomas HAWKSLEY[49] »
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Les déclarations de Crookes sont tout aussi catégoriques :
« De même que tant d'autres hommes, qui s'occupaient peu de ces questions, » écrivait-il dans le Spiritualisme vu à la lumière de la science moderne, « je pensais que toute cette affaire n'était que superstition, ou tout au moins truc inexplicable. » Mais, après avoir commencé avec Home ses expériences, dans l'intention de prouver aux spiritualistes la folie de leur foi, il lui écrit, le 12 avril 1871 : « Ne vous gênez pas pour me citer comme un de vos plus fermes adhérents. Une demi-douzaine de séances dans le genre de celle de hier soir, avec quelques hommes de science bien qualifiés, suffiraient pour faire admettre scientifiquement ces vérités, qui deviendraient alors aussi incontestables que les faits de l'électricité [50]. »
Ce qui, en 1870, était superstition ou truc, était devenu vérité en 1871.
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En 1853, Home avait fait la connaissance d'un théologien, prédicateur distingué, le Dr Thomas Clark, qui fut plus tard évêque de Rhode-Island. C'était un ami de la famille Cheney ; il habitait Hartford, non loin de South-Manchester, ce qui lui avait permis de faire des expériences et d'arriver à se convaincre de la réalité des rapports entre incarnés et désincarnés. Resté en relation avec Home, auquel il écrivait fréquemment, le passage suivant d'une de ses lettres, en date du 2 juin 1854, prouve le cas qu'il faisait du médium et de son œuvre : « Vous pouvez vous flatter d'avoir été pour bien des gens l'instrument d'un bonheur et d'une paix inestimables ; il en est dont vous avez complètement transformé l'existence, et vous avez porté la lumière dans des demeures, auparavant plongées dans les ténèbres[51] . »
Que répondre de plus concluant à ceux qui demandent à quoi sert le spiritisme ?
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A côté de ces attestations, dont le dossier de Mme Home fournit bien d'autres exemples, la vie même du médium le présente sous un jour singulièrement sympathique. On rencontre dans sa biographie plus d'un trait à son honneur, qui n'a vu le jour que grâce aux accusations calomnieuses dont il était fréquemment l'objet et qui appelaient une réfutation.
Un de ces faits - assez curieux par son point de départ - avait trouvé créance dans les journaux américains, sans qu'on ait pu savoir de qui il provenait - on prétendait, qu'en reconnaissance des bienfaits de la famille Rymer, dans laquelle il avait été reçu à Ealing, en 1855 Home s'était permis de commander, au nom de M. Rymer, une fourrure du prix de 50 livres sterling et de se l'approprier. Or, il y avait bien un fond de vérité dans ce racontar, mais, au lieu de s'être approprié indûment un objet de la valeur de 50 livres, c'était lui qui avait fait don de cette somme. Voici comment :
Quelques années, après son séjour à Ealing, M. Rymer avait perdu tout ce qu'il possédait ; désespérant, en sa qualité de spirite, de se relever en Angleterre, il partit pour l'Australie dans le but d'y refaire fortune, si possible. Sa femme et ses enfants désiraient l'y aller rejoindre, mais n'en ayant pas les moyens, Mrs. Rymer s'adressa à Home, qui lui avança ces 50 livres. Le ler novembre 1859, elle lui écrivait une lettre dans laquelle se trouve ce passage, qui prouve l'inanité de l'accusation portée contre le médium :
« Mon cher Dan. Je ne trouve pas de paroles pour exprimer ma reconnaissance de l'affectueuse libéralité qui me permet de suivre mon cher mari dans son nouveau pays. Je vous remercie cordialement et sincèrement de votre don et aussi de vos prières et de vos vœux. Croyez à mon affection et à mes prières pour vous, et soyez sûr, mon cher Dan, que toujours, dans les pays lointains comme dans celui-ci, je resterai votre sincère amie. - Emma RYMER »
C'est là une des mille calomnies par lesquelles on a cherché à ternir sa réputation[52].
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Malgré toutes les difficultés auxquelles il se heurta au cours de son existence, son cœur, ni sa main ne restaient jamais fermés, lorsqu'il s'agissait de soulager les souffrances de plus malheureux que lui. Ici, il trouve de l'emploi pour la palette d'un jeune artiste ignoré ; là, ses soins et ses subsides sauvent la femme malade d'un pauvre ouvrier ; ailleurs, c'est une mère qui le remercie de ce qu'il a fourni à son fils les moyens de se faire une place au soleil. Ce sont là des circonstances, dans les détails desquels il n'est pas convenable d'entrer, soit, comme le dit Mme Home, parce qu'ils pourraient faire de la peine aux personnes qu'ils concernent, soit parce qu'il aurait répugné à la modestie du médium lui-même, de les voir livrer à une trop grande publicité. Citons-en cependant quelques traits, pour bien faire connaître le caractère de l'homme dont nous nous occupons ici.
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En 1870, Home recevait d'une personne malade à la campagne et qui, probablement, mourut sans avoir eu l'occasion de faire sa connaissance, une lettre, dont voici quelques lignes :
« Monsieur,
« J'ai appris journellement de Londres, par mon fils, de quelle bonté paternelle vous avez fait preuve à notre égard et comment vous avez été un sauveur pour mon pauvre fils dans sa lamentable situation. Je ne saurais assez vous témoigner la reconnaissance que j'éprouve pour vos bontés ; vous avez fait voir en cela combien votre cœur est compatissant. Mon pauvre fils s'efforcera de vous en récompenser, et j'ai la conviction qu'il se montrera, avec le temps, digne de ce que vous avez fait pour lui. Recevez de nouveau, je vous prie, l'assurance de la gratitude d'un père éprouvé, qui n'oubliera jamais vos bienfaits vis-à-vis de son pauvre garçon ; sans votre aide, il ne se serait jamais tiré d'affaire[53]. »
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L'empereur Alexandre II, qui avait Home en grande affection, lui avait demandé plus d'une fois en quoi il pourrait lui être agréable ; le seul usage qu'il fit des offres de Sa Majesté fut d'intercéder, un jour, en faveur d'un individu, dont 1e pardon lui fut accordé sur le champ ; un des parents du coupable, connaissant l'intérêt que l'empereur portait à Home, l'avait prié de présenter cette requête[54].
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Une phase bien douloureuse pour Home fut celle qu'il eut à traverser pendant la guerre franco-allemande. Il était arrivé au quartier-général allemand, en qualité de correspondant d'un journal anglais, quelques heures avant la bataille de Sedan. Le lendemain, il en parcourait le théâtre. Les scènes de souffrances dont il fut alors témoin étaient plus que n'en pouvait supporter sa nature sensitive et compatissante ; muni d'un sauf-conduit qui lui permettait de suivre les opérations des armées allemandes, il eut souvent l'occasion de venir en aide aux victimes de la guerre, et les mois de septembre, octobre et novembre 1870 portèrent à sa santé un coup irréparable. Il faut au spectateur d'une grande guerre un cœur et des nerfs d'acier, qui faisaient absolument défaut chez Home.
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Le correspondant du Daily Telegraph, présent un jour à une rencontre du médium avec le roi Guillaume, écrivait à son journal. Le roi eut bientôt reconnu M. Home ; il s'adressa à lui avec bonté, lui rappela les miracles auxquels il lui avait été donné d'assister par son moyen et s'informa des « Esprits » sur un ton qui n'avait rien de sceptique. « Il y avait, » ajoute Mme Home, « quelque chose de dramatique dans cet entretien de quelques minutes entre le représentant couronné de la force triomphante et l'homme qui avait été pour ses contemporains l'instrument de conviction à l'existence, tout autour d'eux, de forces dont ils ne s'étaient fait jusque-là aucune idée »[55].
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Une lettre d'un lieutenant de réserve westphalien, R. Sauer, adressée de Beyrouth (Syrie) à Home, en date du 21 novembre 1871, renferme des témoignages de reconnaissance fort touchants ; son auteur s'y excuse du retard qu'il a mis à donner de ses nouvelles au bienfaiteur, sans les soins duquel la mort aurait fait une victime de plus[56].
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Plusieurs autres épisodes de l'année terrible témoignent du dévouement déployé par notre médium en diverses circonstances ; ne pouvant tout citer, je renvoie aux ouvrages, publiés par sa veuve, le lecteur désireux de connaître d'une manière plus complète cette vie si intéressante.
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Tel fut l'homme que, dans des conférences faites à Genève en décembre 1895 et janvier 1896, M. Aloïs Berthoud, professeur en théologie, n'a pas craint de représenter comme ayant renié, sur la fin de sa vie, sa croyance aux Esprits et à leur influence sur toute son existence. Le conférencier s'appuyait, il est vrai, sur un ouvrage publié sous le pseudonyme du Dr Philip Davis, ouvrage qui n'avait qu'un but - à part la question financière - le dénigrement et l'anéantissement du spiritisme[57].
Mais cette admirable doctrine est aujourd'hui trop solidement assise, pour pouvoir être ébranlée par les arguties de ses détracteurs, et il est difficile de comprendre comment le savant professeur a pu prendre au sérieux des affirmations aussi manifestement contraires à la vérité ; comment surtout il a osé publiquement s'en prévaloir. Faisant, à ce qu'il a dit, depuis deux ans, des recherches dans ce domaine, M. Berthoud aurait dû avoir connaissance de la polémique, engagée en janvier 1893, dans la Semaine religieuse[58] et la Feuille d'avis[59], touchant l'identité de ce prétendu docteur. Il y était affirme, que l'auteur de ce pamphlet était Louis Jacolliot, déjà connu par ses ouvrages anti-chrétiens : La Bible dans l'Inde, Christ et Chrishna, Histoire des Vierges et Les Fils de Dieu, que la presse chrétienne s'est bien gardée de porter aux nues, comme elle l'a fait de La Fin du Monde des Esprits.
En ce qui concerne Home il eût été facile à M. Berthoud d'être renseigné de première main, la veuve du célèbre médium étant domiciliée à Genève à l'époque où il faisait ses conférences. Mais il est des personnes - même des professeurs en théologie - qui se garderaient bien de pousser trop loin leurs investigations, dans la crainte de se heurter à des découvertes pouvant les mettre dans la nécessité de modifier des conceptions qui leur sont chères. Fermer les yeux à la lumière leur parait préférable.
L'accusation portée contre Home était trop grave pour rester sans réplique. J'avais pensé que le plus simple était d'en demander une réfutation à sa veuve.
« Les absurdités et les calomnies répandues sur le compte de mon mari, » me répondit Mme Dunglas Home, « ont été tellement nombreuses et variées, que j'aurais eu trop à faire, si j'avais voulu entreprendre de les démentir chaque fois que le cas s'est présenté. J'ai publié deux ouvrages, dans lesquels sa vie est racontée avec des détails circonstanciés, et où le lecteur impartial peut juger de son caractère et de ses mérites. »
Après m'avoir montré le portefeuille dans lequel sont renfermés les précieux documents qui lui ont permis la publication de la biographie analysée dans ces pages – « Sa vie, » m'a-t-elle dit, « a été celle d'un saint ; il est mort comme un saint et, jusqu'à ses derniers instants, il n'a cessé d'affirmer la réalité de ses relations avec le monde des Esprits. »
Tout en admettant qu'il puisse y avoir quelque exagération dans l'enthousiasme des souvenirs d'une épouse qui portait à son mari une affection profonde, j'ai lieu de croire, après avoir pris connaissance des ouvrages mentionnés, que l'espèce de culte qu'elle rend à sa mémoire se justifie par toute une vie de dévouement à sa mission et à ses semblables.
Ses derniers moments, tels qu'ils sont racontés dans Life and Mission[60], sont le digne couronnement d'une si belle carrière.
« En juin 1886, » y est-il dit, « survint la complication dont il avait prédit le danger ; les deux poumons étant attaqués, le mal fut bientôt irrémédiable[61]. Nous savions tous deux, pendant les trois derniers jours, que tout était fini pour nous sur la terre. Conservant jusqu'au bout pleine conscience de lui-même, la résignation - une résignation ineffable - illuminait ses traits, tandis que le lien fragile qui reliait l'âme au corps s'en détachait lentement. Son unique pensée tendait à m'inspirer la force de lui survivre et de me faire comprendre qu'il ne partait que peu avant moi. Il me parlait surtout de la grande bonté de Dieu envers nous et de nos amis dans les cieux. Ceux-ci l'entouraient ; il les voyait, les nommait ; ses traits étaient rayonnants et il tendait ses mains vers eux. Il ne souffrait plus ; la mort vint sans nulle agonie, comme il l'avait prédit. Durant ces dernières heures, il semblait ne plus être de notre monde ; l'âme, dégagée de la matière, anticipait déjà sur son union avec l'Etre Suprême et la vie éternelle - cette vie qui, pour lui, n'était ni un songe, ni une simple espérance, mais à laquelle il s'était préparé par toute sa vie terrestre - en cet instant, au moment d’une mort glorieuse et paisible, il la voyait s'ouvrir lumineuse devant ses yeux, tandis que peu à peu, sans souffrance, les derniers liens entre l'Esprit et le corps se relâchaient doucement. En abandonnant sa dépouille terrestre, l'Esprit y avait déposé l'empreinte de la félicité des cieux, une paix qui semblait répéter, avec l'apôtre : « 0 mort ! Où est ton aiguillon? 0 sépulcre ! Où est ta victoire ? »
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Il fut déposé dans le caveau qui avait déjà reçu la fille qu'il avait perdue ; ses funérailles furent, selon le désir exprimé dans son testament, aussi simples que possible, et tout signe de deuil en fut supprimé. Les prêtres qui officièrent à l'église russe avaient revêtu leur chasuble de fête, blanche et or, au lieu de la tunique noire conventionnelle, et le cercueil, tout couvert de fleurs, placé sur un dais brillamment éclairé, n'avait absolument rien de lugubre. Ayant toujours considéré la mort comme une délivrance et non comme une malédiction, il avait tenu à manifester sa foi jusque dans cette cérémonie suprême.
Son tombeau est à Saint-Germain. Une croix de marbre blanc se dresse au-dessus d'un calvaire. On y lit ces mots : « Daniel Dunglas Home. Né à la vie terrestre, près d'Edimbourg (Ecosse), le 20 mars 1833. Né à la vie spirituelle : « A un autre de discerner les Esprits » (I Corinthiens, ch. 12, v. 10) : le 21 juin 1886. »
CHAPITRE VIII
Conclusion
Si j'ai réussi à démontrer, dans cette notice, l'entière bonne foi du médium dont je viens de raconter la vie, on devra reconnaître que le spiritisme, dont il fut un des principaux propagateurs, a droit à un examen sérieux de la part de tous ceux que préoccupe le problème de l'au delà.
En présence des nombreux faits cités et des témoignages irrécusables et désintéressés qui se pressent dans les ouvrages dont j'ai fait mention - et dont, je le répète, je n'ai donné que quelques exemples - que devient cette affirmation de M. le prof. Aloïs Berthoud, que Home aurait avoué, à la fin de sa carrière, n'avoir jamais cru à l'intervention des Esprits, dans les étonnantes manifestations constatées en sa présence ? Les faits sont là, et une déclaration du médium lui-même, l'eût-il réellement faite - ce qui n'est pas - ne pourrait nullement infirmer les attestations des centaines de témoins dont les lettres sont entre les mains de sa veuve.
L'argumentation du savant professeur reposait principalement sur deux points :
1° William Crookes, le célèbre chimiste - quelque incontestables que soient sa loyauté et ses mérites comme savant - s'est laissé mystifier par une jeune fille, qui lui avait été envoyée d'Amérique avec cette mission spéciale. Le spiritisme était alors agonisant et ses adeptes avaient pensé qu'ils lui donneraient une vie nouvelle, s'ils parvenaient à entraîner dans leurs rangs un homme de si haute valeur. Cette histoire serait, selon le conférencier, la plus colossale mystification du siècle.
2° Home était un vrai médium - affirmation de M. Berthoud, précieuse pour ses adversaires - mais les Esprits ne sont pour rien dans les phénomènes ; la cause en est ailleurs.
On a vu ce qu'il en est de ce second point. Quant à la prétention de faire passer pour un naïf un savant qui a étonné le monde par ses admirables découvertes, il suffira de dire qu'elle est, comme celle concernant Home, tirée de La Fin du Monde des Esprits, ouvrage ne méritant, ainsi qu'on l'a vu plus haut, aucune confiance. Ceux qui savent que Miss Florence Cook était anglaise - n'ayant vraisemblablement jamais vu l'Amérique - qu'elle est actuellement mère de famille et habite le pays de Galles ; qu'elle n'avait que quinze ans lorsque Crookes, ayant entendu parler de ses facultés exceptionnelles, désira faire sa connaissance ; que les manifestations se prolongèrent pendant trois années consécutives et que c'est chez lui que se tenaient les séances, ceux-là diront de quel côté se trouve la naïveté ; du côté de ceux qui examinent et se rendent compte par eux-mêmes, ou du côté de ces directeurs des âmes et de ces soi-disant savants qui refusent de se rendre à l'évidence, admettant sans hésitation les faits les plus étonnants, à condition seulement qu'ils se soient passés il y a deux mille ans, mais fermant obstinément les yeux pour ne pas voir les faits contemporains similaires, de crainte d'être obligés de reconnaître les erreurs dont leur enseignement est entaché et d'avoir à modifier leurs croyances en conséquence.
Mais en quelle médiocre estime ne faut-il pas tenir l'intelligence de ses auditeurs pour oser, après des assertions si peu fondées, conclure de la façon étonnante que voici - « Du moment qu'un homme aussi éminent que M. Crookes s'est laissé mystifier, nous pouvons nous dispenser d'examiner les autres preuves fournies par les spirites ! »
Et M. Berthoud s'est étonné de la verte réplique qui a été faite à ses sophismes !
Si le spiritisme n'eût pas reposé sur des bases plus solides que celles indiquées par M. Berthoud, il n'eût certes pas recruté les millions d'adeptes qu'il compte aujourd'hui dans ses rangs. Ce ne sont pas quelques personnages, fussent-ils des plus hauts placés, qui auraient pu provoquer un mouvement de cette importance ; les constatations d'innombrables témoins ont été nécessaires pour produire un tel résultat. C'est chez des centaines et des milliers d'individus que la médiumnité s'est manifestée, depuis le jour où les coups étranges frappés à Hydesville dans la famille Fox ont mis sur la voie de la possibilité des communications entre incarnés et désincarnés. Dès lors - en moins de cinquante ans - des millions de personnes ont obtenu, par le moyen de ces manifestations, la preuve de la réalité de l'existence au delà de la tombe et y ont trouvé des consolations que la foi chrétienne était impuissante à leur donner.
L'immense majorité de ces médiums se rencontrant dans les familles, les communications qu'ils obtiennent sont, le plus souvent, trop intimes pour être divulguées. On a remarqué que les expériences faites en petit comité, à l'abri des sceptiques et des farceurs, étaient les plus propices au succès, et ce sont celles aussi qui ont entraîné le plus grand nombre d'adhésions. Elles inspirent nécessairement plus de confiance, car il serait puéril de croire à la tromperie, et surtout à la tromperie pratiquée jour après jour, des années durant, dans des milieux où aucun intérêt n'est en jeu.
Les médiums qui se sont faits comme tels une réputation sont néanmoins fort nombreux. Le Light, de Londres, a publié, depuis deux ou trois ans, une série de récits de son représentant, M. Heywood, concernant des médiums qu'il a interviewés et sur lesquels il donne des détails extrêmement intéressants, avec de nombreuses preuves à l'appui. Voici les noms de ces médiums :
Mmes Everitt, Ellen Green, Florence Cook, Russell Davies, Titford, Stansfield, Vincent Bliss, Mlle Rowan Vincent, MM. Morse, Duguid, Anderson, Slater, Spriggs, Wallis, Champernowne et général Lorrison.
Le Messager[62], de Liège, a donné, de 1894 à 1896, la traduction de quelques-uns de ces articles ; ils concernent Morse, Brown et Clarke, et Mmes Everitt, Stansfield et Titford. Ce journal avait aussi publié antérieurement des articles sur les médiums Armitage et Melchers (tirés du Light et des Spiritualistische Blaetter, de Berlin).
En parcourant ces différents rapports, on est frappé de l'étonnante variété des manifestations qui y sont mentionnées et, en même temps, de la similitude des phénomènes, dans lesquels on est souvent obligé de reconnaître une même origine.
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Qu'on veuille bien se reporter aux difficultés que présente l'étude de l'histoire, tant profane que religieuse, des mystères bibliques ou de certains faits affirmés dans les temps anciens, tels que le démon de Socrate ou la mission de Jeanne d'Arc. Qu'on les compare aux manifestations de nos jours : maisons hantées qui semblent se multiplier, sans que les efforts de la police parviennent - le plus souvent - à découvrir les causes des perturbations ; apparitions entraînant l'effarement de populations nombreuses ; désarroi des corps scientifiques et religieux, provoqué par la clairvoyance d'une jeune fille - Mlle Couësdon - au sujet de laquelle surgissent autant d'opinions que d'examinateurs. En présence de toutes ces étrangetés, on se convaincra, sans doute, qu'il y a - comme dit Hamlet - sous la voûte du firmament, plus de choses que notre philosophie n'en peut concevoir.
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Il est, heureusement, des hommes qui ne pensent pas que le meilleur moyen de parvenir à la connaissance de la vérité, soit de travestir les faits ou de les ignorer. Aussi, à côté des matérialistes et des chrétiens, ou soi-disant tels, qui depuis près de cinquante ans ont rivalisé de violence vis-à-vis du spiritisme - lequel ne s'en est pas plus mal porté, au contraire - s'est-il trouvé une phalange de plus en plus nombreuse de savants pour se vouer à l'étude de ces problèmes mystérieux. La science ne peut décidément plus se dérober au devoir de les approfondir.
Nous nous bornerons à mentionner le remarquable ouvrage d'Alfred Russell Wallace, l'éminent naturaliste : Les Miracles et le Spiritualisme moderne ; celui d'Aksakow, conseiller d'Etat à la cour de Russie : Animisme et Spiritisme, et ceux du colonel de Rochas : L'Extériorisation de la Sensibilité et l'Extériorisation de la Motricité.
Dans ce dernier volume, le colonel de Rochas s'applique à démontrer la réalité des facultés médianimiques d'Eusapia Paladino, le célèbre médium napolitain, en présence de qui César Lombroso a constaté des phénomènes si évidents, qu'il n'a pu s'empêcher de déclarer « être tout confus et au regret d'avoir combattu avec tant de persistance la possibilité des faits dits spirites[63]. »
Quoique l'éminent aliéniste fasse des réserves quant à la cause de ces faits, il est permis d'espérer que ce premier pas l'amènera un jour ou l'autre à passer du matérialisme au spiritualisme. Bien d'autres, qui ont étudié la question, ont trouvé leur voie par ces communications d'outre-tombe, alors qu'ils n'avaient cru qu'à des trucs et à des illusions.
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Dans un précédent ouvrage, publié en 1890[64] l'auteur de cet opuscule a cherché à prouver, par de nombreux exemples, appuyés sur les témoignages les plus irrécusables, l'évidence du phénomène spirite ; dès lors, les faits se sont multipliés et les différentes écoles qui, sous les noms d'occultistes, de théosophes, de swedenborgiens, etc., travaillent à percer ces mystères, y jetteront de jour en jour une plus vive lumière.
Aucune science n'est parfaite ; celles même qu'on croit les plus sûres sont sujettes à d'incessantes modifications. S'il en est ainsi dans le domaine de la matière, s'étonnera-t-on des difficultés que présente l'étude des choses de l'Esprit ?
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Puissent ces pages contribuer à lever quelques préventions et à réaliser quelque progrès !
APPENDICE
M. le prof. Aloys Berthoud
Ses concessions et ses réticences
Ce livre était sous presse, lorsque nous avons appris que M. le prof. Berthoud avait publié ses trois conférences[65], qu'il fait suivre de réponses aux critiques qui leur avaient été faites. Laissant à des plumes plus compétentes le soin de réfuter - si elles le jugent bon - les théories théologiques de M. Berthoud, nous ne pensons pas pouvoir nous dispenser de présenter quelques observations sur les points en rapport avec notre sujet spécial.
Le savant professeur se demande s'il n'aurait pas, été trop large et trop généreux vis-à-vis de sa partie adverse[66]. Nous ne partageons pas ce scrupule ; mais nous aurions mauvaise grâce à nous plaindre d'une polémique qui ne peut être que favorable à notre cause.
Voilà bientôt cinquante ans, en effet, que les spirites luttent pour faire admettre les phénomènes qui sont à la base de leurs convictions. M. Berthoud leur a apporté l'appui de témoignages dont la valeur est considérable ; il y aurait ingratitude de notre part à ne pas le reconnaître.
Nous sommes convaincus que beaucoup de ceux dont le scepticisme aura été ébranlé par ses affirmations, voudront en savoir davantage. Il en résultera des séances, dont les unes ou les autres ne pourront manquer d'apporter leur part de preuves et d'attirer à nous ceux qui se seront trouvés en face de manifestations qui ne s'expliquent logiquement que par l'intervention des désincarnés. M. Samuel Guppy - un Anglais, à ce que nous croyons, et non un Américain, comme le dit M. Berthoud[67] - dont la femme est un médium hors ligne, est un de ces exemples, plus nombreux qu'on ne croit, des conversions opérées par les inattendus qui viennent, parfois, ouvrir les yeux des plus prévenus.
Passant à la critique, nous féliciterions M. Berthoud de s'être effacé, autant que possible, devant les hommes les plus compétents en ces matières[68], s'il s'était vraiment adressé à ceux qui pouvaient le plus sûrement le renseigner. Mais comment n'a-t-il pas compris qu'il faisait fausse route, en prenant pour guide le prétendu Dr Philip Davis ? Comment expliquer que le savant professeur, si méticuleux lorsqu'il contrôle les affirmations des Wallace, des Crookes, des Zöllner, des Aksakof, des de Rochas ou des Metzger, accepte, avec une si incroyable légèreté, les dires d'un homme qui n'a pas osé appuyer de son vrai nom les mensonges et les calomnies qu'il publiait ? On affirme - et M. Berthoud parait l'admettre[69] - que c'est Louis Jacolliot, bien connu par ses écrits contre le christianisme, qui est l'auteur de La Fin du Monde des Esprits. Sont-ce ses ouvrages antérieurs, La Bible dans l'Inde, ou Christ et Chrishna, qui ont inspiré à M. Berthoud tant de confiance en Louis Jacolliot, qu'il ait puisé chez ce pamphlétaire la majeure partie de ses arguments ?
M. Berthoud en puise aussi, il est vrai, chez ses adversaires ; il cherche à donner le change, en citant certaines phrases soigneusement triées, qui - séparées de leur contexte – sembleraient lui donner raison. Elles démontrent simplement, toutefois, aux lecteurs impartiaux, que les auteurs cités ont poursuivi leurs recherches sans parti pris et avec la ferme volonté de parvenir à la découverte de la vérité.
En résumé, le prétendu Dr Philip Davis, en écrivant son livre de mauvaise foi, s'est heurté à une difficulté - la médiumnité incontestable de Home. En faisant renier au célèbre médium sa croyance aux Esprits, la difficulté était tournée, et l'auteur de La Fin du Monde des Esprits n'a pas hésité à lancer cette calomnie, après avoir attendu, pour plus de sûreté, que celui qu'il attaquait ne fût plus là pour le démentir.
Les pages qui précèdent font justice de cette infamie, impardonnable de la part d'un homme qui se dit l'ami de celui qui en est l'objet. Mais cette prétendue amitié est un mensonge de plus ; peut-être l'auteur du pamphlet en question ne connaissait-il pas même le médium.
La fausseté de l'assertion concernant Home donne la mesure du degré de confiance que mérite son livre.
Nous ne comprendrions pas l'importance que M. Berthoud prête à un écrivain si peu recommandable, si nous ne savions combien est vraie la théorie chère à notre contradicteur : celle de la suggestion et de l'auto-suggestion, dont il nous paraît inconsciemment subir l'influence.
Expliquons-nous :
Nous savons, par expérience, combien il est difficile de renoncer à des croyances qui nous ont été inculquées dès notre bas âge. Ce qui a pénétré dans le cerveau de l'enfant et de l'adolescent ne s'en extirpe qu'à grande peine. Là est l'explication du petit nombre des conversions ; là, les efforts faits, par ceux appartenant à des confessions différentes, pour se convaincre mutuellement, sans, d'ailleurs, y parvenir, si ce n'est en des cas très rares. Tous demeurent dans leurs croyances respectives, sincèrement persuadés d'être dans le vrai, à l'exclusion de tous les autres.
Elevé dans les principes orthodoxes, appelé par sa vocation à les affermir de plus en plus, M. le prof. Berthoud s'imagine très loyalement avoir des convictions personnelles, et ne se doute pas qu'elles sont le fruit de son éducation première, dans laquelle la suggestion joue un rôle des plus importants.
Aussi affirme-t-il, sans ambages, que « sa foi reste absolument réfractaire à ce système d'exploitation régulière des morts, qui fait le fond du spiritisme, et que, toutes les séances auxquelles il pourrait assister, n'y changeraient rien[70]. »
Fondé sur l'excellence de sa cause, il s'assimile aisément tous les arguments qui sont en faveur de ses idées, tandis que ceux qui les contredisent rencontrent une barrière infranchissable.
C'est une ténacité semblable qu'on a pu observer chez M. le pasteur Huet, qui, malgré les preuves les plus concluantes de la réalité des manifestations, après avoir été, pendant cinq ans, un ardent propagateur du spiritisme, a fait misérablement défection à la suite d'un entretien de deux ou trois heures avec quelques collègues orthodoxes. La brochure qu'il a publiée à cette occasion est des plus curieuses[71].
Ah ! C’est que la crainte de Satan et de ses anges subsiste encore dans bien des esprits - sans que cela paraisse - et, lorsqu'on a été élevé dans la persuasion, qu'il n'y a que la foi qui sauve, on craint de perdre cet unique moyen de salut. C'est pourquoi les conversions in extremis, plus ostensibles chez les catholiques que chez les protestants, sont encore relativement fréquentes.
Signalons, en passant, les cas de folie, si souvent causés par l'état d'exaltation et les terreurs religieuses, et dont nos adversaires n'ont pas l'air de se douter, lorsqu'ils prétendent que les spirites peuplent les maisons de santé, affirmation qui est loin d'être démontrée.
Nous n'en dirons pas davantage.
Après les déclarations de M. le prof. Berthoud, il serait plus que présomptueux de penser qu’il ne puisse jamais renoncer aux croyances qu'il estime être seules légitimes. Qui sait, pourtant ? On voit des choses si extraordinaires ! C'est donc moins pour lui, que nous présentons les observations ci-dessus, que pour les lecteurs sérieux, auxquels les mystères de la vie donnent parfois à réfléchir.
À ceux-là, nous disons :
« Examinez toutes choses et retenez ce qui est bon. » Voyez si, dans les phénomènes cités, ou dans ceux qui viendront à votre connaissance, soit que vous les éprouviez vous-mêmes, soit que vous les rencontriez dans des écrits spéciaux, il n'en est pas qui, absolument avérés, ne trouvent aucune explication logique et vraie - de nos jours comme dans tous les temps - sinon dans le fait de l'intervention des soi-disant morts.
Choisissez entre les affirmations loyales de ceux qui ont examiné, et dont beaucoup sont des savants de premier ordre, et celles du prétendu Dr Philip Davis.
TABLE DES MATIERES
La crainte du « Qu'en dira-t-on ? ». 33
M. le prof. Aloys Berthoud. 53
Ses concessions et ses réticences. 53
[1] Librairie Galignani, Paris.
[2] Librairie Galignani, Paris.
[3] Librairie Galignani, Paris.
[4] The Gift of D. D. Home, p. 375-376.
[5] D. D. Home : His Life and Mission, p. 2.
[6] Life and Mission, p. 4.
[7] Life and Mission, p. 7.
[8] Révélations sur ma vie surnaturelle, p. 20-22
[9] Pages 14 et 15.
[10] Life and Mission, p. 81.
[11] Life and Mission, p. 36.
[12] Pages 37 à 43.
[13] Peut-être le phénomène d'écriture sur ardoise fait-il exception
[14] Pages 162 et 163
[15] Life and Mission, p. 363
[16] Life and Mission, p. 368 à 370
[17] Life and Mission, p. 298 à 307
[18] Life and Mission, p. 380 à 385
[19] P. 80 à 82
[20] Life and Mission, p. 345 et 346
[21] Life and Mission, p. 347
[22] Life and Mission p. 348
[23] Pages 374 à 378
[24] The Gift of D. D. Home, p. 251
[25] P. 266
[26] The Gift of D. D. Home, p. 255
[27] Life and Mission, p. 186 à 188
[28] Life and Mission p. 171 à 174
[29] P. 318 à 381
[30] Life and Mission, p. 19 à 22
[31] Life and Mission, p. 107
[32] Révélations sur ma vie surnaturelle, p. 166 à 162
[33] The Gift, p. 202.
[34] Life and Mission, p. 110 et 120
[35] Life and Mission, p. 120 et 121
[36] P. 7 1
[37] Life and Mission, p. 365 et 356
[38] Voir P. 102 à 111
[39] Life and Mission, P. 3o8 et 309
[40] Life and Mission p. 336
[41] Life and Mission P- 339 et 340
[42] P. 252 à 274
[43] P. 112 et 113
[44] Conférences qui ont été données à Genève, à l'Aula de l'Université, les 22 et 29 novembre 1895
[45] Saint-Marc IX v. 10 à 12
[46] Saint-Jean III, 3
[47] Ward Cheney, chez qui avait été obtenue la preuve d'identité si intéressante, mentionnée p 78 à 84
[48] Life and Mission, p. 403 et 404
[49] Life and Mission, p. 189
[50] The Gift, p. 96
[51] The Gift, p. 39
[52] Life and Mission, p. 48 et 49
[53] Life and Mission p. 325
[54] D., p. 363 et 364
[55] Life and Mission, p. 327 et 328
[56] Life and Mission, p. 328 et 329
[57] Le prétendu Dr Philip Davis affirmait - et M. le professeur s'autorisait de cette affirmation - avoir obtenu de Home la confidence en question, sous la condition de ne pas la divulguer avant sa mort. Moyen commode, sinon honnête, de ne pas s'attirer un démenti de la personne calomniée
[58] 14 et 21 janvier
[59] Pages 1021 à 1024
[60] p 416
[61] Il n'est donc pas mort d'une maladie nerveuse, comme l'ont prétendu ses détracteurs
[62] Le Messager, Liège, bi-mensuel, à fr. par an
[63] Lettre à M. Ernesto Ciolfi, à Naples, du 25 juin 1891
[64] Cherchons !
[65] Le Surnaturel chrétien en regard de l'hypnotisme et du spiritisme
[66] Le Surnaturel, p. 71
[67] Le Surnaturel, p. 98
[68] Le Surnaturel, p. 72
[69] D°, p. 49
[70] Le Surnaturel, p. 73
[71] Après cinq ans de Spiritisme