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domingo, 20 de fevereiro de 2011

Les Phenomenes Dit de Matérialisation de la Villa Carmen-Charles Richet

 

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Les Phenomenes

Dit de Matérialisation de la Villa Carmen

Charles Richet

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Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec

http://spirite.free.fr


DE QUELQUES PHENOMENES DIT DE MATERIALISATION

Ce n’est pas sans grande hésitation que je me suis décidé à publier ces expériences car, encore qu’elles aient été précédées de quelques expériences analogues, dues à divers savants, et en particulier à Sir William Crookes, elles sont assez étranges pour provoquer l’incrédulité. Il me paraît toutefois que certains faits sont indéniables, et ce sont ces faits que je voudrais exposer, en m’abstenant de toute interprétation théorique et de toute discussion.

I

Grâce à la bienveillance de M. le général Noël et de Mme Noël, grâce à la bonne volonté et à l’abnégation de Mlle Marthe B., ces expériences ont pu être poursuivies par moi pendant tous le mois d’août 1905. J’avais eu déjà l’occasion en 1903 d’assister à quelques séances de la villa Carmen. Mais je n’avais pas cru devoir en conclure quelque conclusion ferme.

Il est inutile d’ajouter que M. et Mme Noël avaient déjà publié sur ces faits singuliers diverses notices qui ont paru dans la Revue scientifique et morale du spiritisme de G. Delanne, depuis plusieurs années. Mais je ne ferai aucune allusion à ces récits, et je m’occuperai exclusivement des faits dont j’ai été témoin.

Les personnes assistant à ces expériences étaient M. le Général Noël, Mme Noël, Mlle X…, M. Gabriel Delanne et les trois filles de M. B., officier retraité : Marthe (19 ans), Paulette (16 ans), Maia (14 ans). Marthe a été fiancée à Maurice Noël, le fils de M. et Mme Noël, qui est mort au Congo, il y a un an. Il est probable que la plupart des phénomènes qui se sont produits étaient dus à l’influence de Marthe comme médium. En effet, les diverses personnes étaient en dehors du rideau où se produisaient les matérialisations, tandis que Marthe restait assise dans le cabinet derrière le rideau. Deux fois à ces expériences, derrière le rideau, prit part une personne, nommée Ninon, chiromancienne de profession ; mais son rôle à été assez nul ; car elle ne fut là que deux fois. Une négresse au service de M. Noël, jeune fille de 22 ans, nommée Aischa, à pris part aussi, soi-disant comme médium, à ses séances, et elle restait derrière le rideau. Mais son rôle paraît avoir été assez médiocre ; car, dans plusieurs expériences où il y a eu des phénomènes importants, Marthe était seule, sans Aischa ni Ninon.

La salle où ont eu lieu ces expériences est un petit kiosque situé dans le jardin de la villa Carmen, où logent M. et Mme Noël. Ce kiosque est complètement séparé de toute habitation ; il n’est composé que d’une seule pièce et il est bâti sur une écurie remise. Cette salle à deux fenêtres et une porte d’entrée. Une des fenêtres donne sur la rue, à une très grande hauteur (de 5 mètres). L’autre fenêtre donne sur l’escalier qui conduit du jardin à la rue. (Le jardin est en pente très abrupte de la rue Fontaine Bleue à la rue Darwin). La porte donne sur le jardin. Chacune des deux fenêtres est condamnée et recouverte d’une toile clouée au mur. Par dessus cette toile clouée se trouve un rideau de tapisserie épais qui est aussi cloué au mur. Le plancher de la salle est formé d’un carrelage en petites dalles cimentées. Par dessus est cloué une sorte de tapis linoléum, qui, près du cabinet, est lui même recouvert d’un tapis de feutre peu épais.

Le cabinet n’est constitué que par un baldaquin formant un triangle dans un des angles de la salle. Ce triangle représente un triangle rectangle dont l’hypoténuse (AB) a environ 2m50. La hauteur du baldaquin est de 2m10. Celle de la pièce est de 2m60. Il y a donc 0m50 d’espace entre le dais du baldaquin et le plafond. Le triangle est fermé par un rideau de tapisserie très épaisse et sombre. Ce rideau court sur une tringle au moyen d’anneaux.

Au devant du rideau, en laissant à peine assez d’espace pour qu’on puisse passer, est une table circulaire en bois noir, autour de laquelle nous étions groupés dans l’ordre suivant (presque toujours).

En regardant le rideau comme au théâtre, et en prenant la droite du spectateur, on avait successivement autour de la table : Maia, Melle X…, moi même, Paulette, G. Delanne, Mme Noël, le général Noël.

Avant la séance, je faisais l’exploration minutieuse de toute la pièce, du baldaquin, des rideaux, des fauteuils (qui étaient soulevés), d’une baignoire et d’un vieux bahut rangés dans le fond, de sorte que je puis affirmer que nulle personne n’était cachée dans la pièce. En outre, comme les rideaux des fenêtres étaient cloués, qu’il n’y a pas de trappes dans le plancher, ni de fausse porte dans le mur, je puis en toute certitude affirmer que nulle personne étrangère ne pouvait pendant la séance pénétrer dans la salle.

La lumière était donnée par la lumière d’une bougie mise dans une lanterne photographique à verre rouge qu’on plaçait à une certaine hauteur (2m25) au dessus de la porte.

Par devant, le rideau avait une ouverture, de sorte qu’il était constitué en deux parties, une partie droite un peu plus longue que la partie gauche. Quand le rideau était largement ouvert, et que les yeux étaient bien habitués à l’obscurité, on pouvait distinguer les mains, les figures des médiums et leurs vêtements. Toutefois, il était assez difficile de les reconnaître, même avec l’ouverture maximum du rideau. Au contraire, dans la salle, à une distance de 1 mètre ou 1m50, on reconnaissait très facilement les diverses personnes qui étaient là.

Après diverses opérations préliminaires, sur lesquelles je n’insiste pas, Marthe et Aischa allaient s’asseoir dans le cabinet, et le rideau était tiré ; Marthe étant à gauche et Aischa à droite.

Les séances avaient lieu soit à 4 heures du soir, soit à 8 heures. Elles duraient deux ou trois heures. Après la séance, je faisais l’exploration minutieuse de la salle avec autant de soin qu’avant la séance.

II

Les expériences qui ont eu lieu devant moi à la villa Carmen ne seront pas décrites ici en détail, car le protocole de ces expériences, écrit par moi immédiatement après la séance, serait d’une lecture vraiment trop pénible et fastidieuse. Il me suffira de mettre en lumière méthodiquement quelques faits essentiels ; ceux qui me paraissent avoir le plus d’importance.

J’ai dit plus haut qu’on ne peut absolument pas supposer la présence d’un individu caché, ni d’un individu s’introduisant dans la pièce, pour expliquer la présence de personnage nouveau apparaissant à côté des médiums.

J’établirai d’abord que ce personnage n’est ni une image reflété sur un miroir, ni une poupée, ni un mannequin. En effet il possède tous les attributs de la vie. Je l’ai vu sortir du cabinet, marcher, aller et venir dans la pièce. J’ai entendu le bruit de ses pas, sa respiration et sa voix. J’ai touché sa main à diverses reprises. Cette main était articulée, chaude, mobile. J’ai pu, à travers la draperie dont cette main était recouverte, sentir le poignet, les os du carpe et du métacarpe qui pliaient sous la pression de ma poignée de main.

Ainsi la seule fraude possible – et il est absolument impossible d’en supposer une autre – c’est que soit disant fantôme est le médium déguisé ! Pour des raisons que je donnerai plus loin avec détail, je considère cette hypothèse comme extrêmement difficile, ou, pour mieux dire, comme impossible à admettre. Mais, avant d’établir cette discussion, je rapporterai tout au long l’expérience suivant qui prouve nettement que le fantôme, ou la forme qui était devant nous, possède quelques uns des attributs essentiels de la vie.

Le vendredi 1er septembre, Marthe et Aischa vont s’asseoir derrière le rideau ; devant le rideau se trouvent les assistants habituels : M. Noël, Mme Noël, G.D., Paulette, B., Ch. R., Melle X., Maia B. J’avais préparé un flacon contenant de l’eau de baryte, limpide, et disposé de telle sorte qu’en soufflant dans un tube de caoutchouc, on pouvait faire barboter l’air expiré dans l’eau de baryte. Après divers phénomènes, sur le desquels je n’insiste pas B.B. (c’est le nom par lequel se désigne lui même le fantôme) demande à faire l’expérience de la baryte. A ce moment il se penche en dehors du rideau, et je distingue nettement par la fente du rideau, et je distingue nettement par la fente du rideau Aischa, assise très loin de B.B., et Marthe, dont je ne vois pas bien la figure ; mais je reconnais sa robe, la chemisette de son corsage, et ses mains. G. Delanne, qui était plus près de moi, assure qu’il voit la figure.

Alors B.B. se penche en dehors du rideau. Le général prend de mes mains le tube de baryte et le donne à B.B. qui essaye de souffler, en se penchant un peu en avant du rideau, à gauche. Pendant ce temps, je vois très bien toute la forme de Marthe, qui est placée en arrière et à gauche de B.B. ; Aischa est toujours immobile et très loin. G. Delanne me faire remarquer à haute voix qu’on distingue Marthe tout entière, et, comme le point capital de l’expérience est précisément dans la vue complète de Marthe, toute mon attention est portée sur elle. Cependant j’entends B.B. qui essaye de souffler dans le tube ; mais il souffle mal, et sa respiration ne passant pas à travers le tube, mais passant au dehors, ne fait pas de barbotage.

B.B. fait de vains efforts, et on entend son souffle. Alors le général lui explique qu’il faut faire glouglou, ce qui n’arrive que si l’on fait passer l’air expiré par le tube. Alors enfin B.B. réussit à faire glouglou. Il souffle avec force, j’entends le barbotage qui dure environ une demi minute : puis B.B. fait signe de la tête qu’il est fatigué, et qu’il ne peut plus continuer. Alors il me passe le tube à baryte : je constate que le liquide est devenu tout blanc ».

Je tiens à faire remarquer : 1er que je n’ai pas quitté le tube des yeux, et qu’il est sorti de ma main pour aller entre les mains du général et de B.B. ; puis, que j’ai vu tout le temps le tube près de la bouche de B.B. pendant que les gaz de l’expiration barbotaient dans l’eau de baryte, et qu’aussitôt après il y avait du carbonate de baryte, comme je l’ai constaté à la suffisant lumière de la chambre, sans que le tube à baryte aient quitté mes yeux ; 2ème qu’à divers reprises j’ai pu voir derrière B.B. la forme de Marthe ; ses mains très certainement, sa figure par intervalles seulement, car, en se penchant en avant B.B. me la masquait. En tous cas, je ne pouvais voir que vaguement la forme de sa figure car l’obscurité était trop grande pour qu’on pût reconnaître ses traits.

A la suite de cette extraordinaire et émouvante expérience, il s’est passé un incident, plutôt comique ; car les choses comiques se mêlent imprudemment aux choses graves. Après que les personnes présentes eurent constaté qu’il y avait de l’acide carbonique, elles furent tellement enthousiasmées, qu’elles applaudirent en disant : Bravo. Alors B.B. qui avait aussitôt disparu derrière le rideau, reparut à trois reprises en montrant sa tête et saluant, ainsi qu’un acteur qui revient sur la scène, rappelé par l’applaudissement de l’assistance.

J’insiste sur ce fait que, pendant que B.B. soufflait dans le tube, M. Delanne me faisait remarque à haute voix qu’on distinguait parfaitement derrière B.B. la forme de Marthe, et il a fait cette remarque à trois reprise différentes, pendant tout le temps que B.B. soufflait.

Ainsi il est parfaitement évident que B.B. possède les essentiels attributs de la vie. Il marche, parle, se meut, respire comme un être humain. Son corps est résistant ; il a une certaine force musculaire. Ce n’est ni un mannequin, ni une poupée, ni une image réfléchie par un miroir : et il y a lieu de laisser résolument de côté toute supposition autre que l’une ou l’autre des ces deux hypothèses : ou un fantôme ayant les attributs de la vie, ou une personne vivante jouant le rôle de fantôme.

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Le phénomène suivant m’a paru d’une importance primordiale.

L’expérience fut faite dans les mêmes conditions que les autres, à cela près que Mlle X n’était pas présente. (Mardi 29 août. C’est ce jour là que le photographe I a été prise). Après la photographie prise, le rideau se referme. Soit ACB le triangle représentant le cabinet où sont assises Marthe en M et Aischa en N. Soit AB le rideau, avec une ouverture en O, par où peut sortir et rentrer la forme de B.B.

B.B. commence par apparaître dans l’ouverture du rideau, puis il rentre. Mais à peine B.B. est-il rentré en O ; que je vois, sans que le rideau se déplace, une lueur blanche en X, sur le sol, en dehors du rideau, entre la table et le rideau. Je me lève à demi pour regarder par dessus la table. « Je vois comme une boule blanche, lumineuse, qui flotte sur le sol ; et dont les contours sont indécis. Puis, par transformation de cette luminosité blanchâtre, s’élevant tout droit, très rapidement, comme sortant d’une trappe, paraît B.B. de pas très grande taille, à ce qu’il me semble. Il a une draperie, et je coirs, comme un cafetan avec une ceinture à la taille. Il se trouve alors placé entre la table et le rideau, étant é, pour ainsi dire, du plancher, en dehors du rideau (qui n’a pas bougé). Le rideau tout le long de l’angle B est cloué au mur, de sorte qu’un individu vivant, pour sortir du cabinet par là, n’eût d’autre moyen que de ramper sur le sol et de passer sur le rideau. Mais l’issue a été subite, et la tâche lumineuse sur le plancher a précédé l’apparition de B.B. en dehors du rideau, et il s’est élevé tout droit (en développant rapidement sa forme d’une manière rectiligne). Alors B.B. cherche à venir, à ce qu’il me paraît, parmi nous, mais il a une démarche claudicante, hésitante. Je ne saurais dire s’il marche ou il glisse. A un moment il chancelle, comme s’il allait tomber, en claudiquant avec une jambe qu’il semble ne plus pouvoir soutenir (je donne mon impression). Puis il va vers la fente du rideau. Alors, sans ouvrir, à ce que je crois, le rideau, tout à coup il s’affaisse, disparaît à terre, et en même temps on entend un bruit de clac clac, comme le bruit d’un corps qui se jette par terre. Très peu de temps après (deux, trois ou quatre minutes), aux pieds mêmes du général, dans la fente du rideau, on voit encore la même boule blanche (sa tête ?) apparaître au ras du sol ; puis un corps se forme, qui remonte rapidement tout droit, se dresse, atteint une hauteur d’homme, puis soudain s’affaisse sur le sol, avec le même bruit clac clac d’un corps qui tombe sur le sol. Le général a senti le choc des membres, qui, se jetant sur le sol, ont heurté sa jambe avec violence[1]. »

Il me paraît bien que cette expérience est décisive ; car la formation d’une tâche lumineuse sur le sol, laquelle se change ensuite en un être marchant et vivant, ne peut être, semble t il, obtenue par aucun truc. Supposer que c’est en se glissant sous le rideau, puis en se relevant, que Marthe, déguisée en B.B., a pu donner l’apparence d’une tache blanche s’élevant en droite ligne, cela me semble impossible. D’autant plus que le lendemain, peut être pour me montrer la différence ( ?), B.B. a apparu encore devant le rideau. Mais il n’est pas venu par l’ouverture O du rideau ; il est arrivé en soulevant le rideau, derrière lequel il s’était formé et en se mettant, comme on dit, à quatre pattes, puis en se redressant. Il n’y avait aucune analogie possible entre ces deux modes de formation.

Plusieurs fois par exemple le 24 août trois fois, je l’ai vu s’enfoncer dans le sol tout droit : « il se rapetisse tout d’un coup, et sous nos yeux disparaît dans le sol ; puis se relève soudain en ligne verticale. C’est la tête avec le turban et la moustache noire, et comme l’indication des yeux, qui grandit, remonte, remonte jusqu’à atteindre plus haut même que le rebord du baldaquin. A certains moments, il est forcé de se pencher et de se courber, à cause de cette grande taille qu’il a prise. Alors soudain sa tête baisse, baisse jusques au sol, et disparaît. Il a fait cela trois fois de suite. En essayant de comparer ce phénomène à quelque chose, je ne peux mieux trouver pour la production rapide et rectiligne du personnage que les marionnettes qui sont dans les boites à surprise, et qui sortent tout d’un coup. Mais je connais rien qui ressemble à cet évanouissement dans le sol en ligne droite, de sorte qu’à un moment donné il semble que la tête soit seule sur le sol et qu’il n’y ait plus le corps ».

Quelque importante que soit cette dernière expérience, trois fois répétée, elle me paraît moins décisive que l’expérience précédente, la naissance par une table blanche sur le sol en dehors du rideau ; en effet, dans le cas du corps s’affaissant en ligne droite sur le sol, on peut supposer que par d’extraordinaire efforts de gymnastique habile, quelqu’un de très souple, en se disloquant, pourra se reculer en arrière, tout en laissant la tête se baisser en avant jusqu’à atteindre le sol, de manière à donner l’impression d’une tête qui descend en droite ligne jusqu’à terre. Mais comment faire disparaître l’apparence de la draperie ?

Il eut été pour moi d’une importance considérable de sentir la main, ou le corps, ou une portion quelconque de la draperie, fondre dans ma main. Je dois dire que j’ai vraiment à diverses reprises, demandé avec instance cette expérience. B.B. a bien promis de me la donner ; mais je n’ai rien, absolument rien de semblable. Cependant le fait de se former et de disparaître ainsi permet de supposer que cela n’est pas impossible. S’il en était ainsi, ce serait, à n’en pas douter, une expérience décisive ; car l’hypothèse d’une hallucination ou même d’une illusion tactile de ma part est bien vraiment ridicule.

En tout cas, il reste ceci, qui est d’une valeur considérable ; c’est qu’il s’est formé un corps vivant, en dehors du rideau, sous mes yeux, sortant du sol et rentrant dans le sol.

J’étais tellement persuadé que ce corps vivant ne pouvait provenir du rideau que j’ai d’abord supposé la possibilité (absurde d’ailleurs) d’une trappe. J’ai, le lendemain de cette expérience du 29 août, examiné minutieusement les dalles et la remise écurie qui est sous jacente à cette partie du kiosque. Le plafond très élevé de cette écurie est crépi à la chaux, tapissé de toile d’araignée, et hanté par des araignées qu’on n’avait pas dérangées depuis longtemps, lorsqu’à l’aide d’une échelle, j’ai exploré le plafond de l’écurie.

Maintenant je laisse de côté d’autres faits, sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir quand je discuterai la réalité de ces phénomènes, et j’arrive aux photographies.

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ETUDES DES PHOTOGRAPHIES PRISE A LA VILLA CARMEN

Ces photographies, obtenues à la lumière d’une conflagration soudaine d’un mélange de chlorate de potasse et de magnésium, ont été simultanément prises par Mlle X.., avec un Kodak, par M. Delanne avec un appareil stéréoscopique ; et par moi avec un stéréoscope vérascope Richard ; de sorte que, dans certains cas, il y a eu cinq clichés simultanés pour une seule déflagration du magnésium. Cela exclut toute possibilité de fraude photographique. D’ailleurs, les épreuves ont été développées par MM. R. et M., constructeurs d’appareils d’optique à Alger, qui ignoraient absolument la nature des négatifs que je leur avais soumis[2].

Sur la photographie I (Kodak) et Ia (stéréoscope Richard) on voit une grande forme entourée d’une draperie blanche, flottant dans l’ouverture du rideau. A gauche se dessine nettement le dos de la chaise sur laquelle est assise Aïcha, avec l’épaule gauche d’Aicha très bien éclairé. On distingue les moindres dessins de la cotonnade rayée dont elle est habillée. La photographie prise par le kodak est beaucoup plus nette que celle du vérascope. On peut voir que cette draperie est d’une étoffe assez fine et assez transparente pour que derrière transparaisse en une ligne noire verticale l’apparence sombre du rideau. Sous cette fine draperie apparaît la forme du coude, du bras et de la main ; une main très longue, à peine formée, dont les extrémités digitales, comme si elles n’étaient pas recouvertes d’une draperie, semblent se perdre en une sorte de nuage vaporeux, une lueur blanche, à contours indéterminés. En haut on ne voit pas toute la figure, mais seulement le bas de la figure ; une tête penchée en avant, dont ne se peut voir que le menton très court, caché par une barbe noire épaisse qui recouvre toute la bouche, et au dessus de laquelle ne se distingue que le bout du nez. Malheureusement la photographie s’arrête là, et elle est coupée transversalement par une raie qui ne laisse pas voir du tout les yeux et traverse la figure au ras de l’extrémité inférieure du nez. Le cou est nu, avec un court ruban ( ?) noir, et les ornements divers, indistincts, qui sont au dessous de la draperie blanche. En bas du fantôme et à sa gauche on distingue une manche qui paraît plus ou moins vide, et quelque chose comme une forme de corsage. L’éclat blanc du fantôme éclairé par le magnésium est tel que la table de bois noir en est illuminée, et on en voit le reflet comme une surface polie. L’ouverture du rideau en est aussi, à une certaine distance, rendue plus lumineuse. Le rideau est d’ailleurs légèrement repoussé et rejeté à gauche.

La stéréoscopie (Ia) ajoute quelques détails intéressants : tout s’y trouve confirmé, notamment la forme nuageuse, indistincte, de la main gauche du fantôme enveloppée de la draperie. Ces nuages qui terminent la main sont en avant du rideau. On remarquera aura la différence de précision entre cette draperie blanche dont on ne distingue pas les contours, et les contours si nets de l’épaule d’Aicha. La figure de B.B. est très profondément enfoncée dans cette draperie, qui semble former en avant, comme pour la propager ou la cacher, un long couloir, au fond duquel la figure se distingue à peine. Entre la figure et la draperie sont des ornements, des bandeaux, des étoffes, dont on ne distingue pas la nature, mais qui semblent vraiment assez compliqués. En bas à gauche, une toute petite saillie angulaire révèle la manche de Marthe, qu’on voit placée à un plan très postérieur. Si l’on ne voit que le bout de la manche, c’est parce que l’angle où j’ai pris la photographie vérascopique n’était pas le même angle où a été prise la photographie kodak. Ce qui est remarquable, c’est l’extrême minceur de cette draperie, contrastant avec l’épaisseur relative du voile de B.B. dans les autres photographies. La photographie II est seulement vérascopique. Elle a été prise le mardi 29, alors que Mlle X., qui prenait la photographie kodak, était absente. On distingue diverses choses intéressantes. Aischa d’abord apparaît, très nettement photographiée.

On voit sa figure noire, ses traits, sa peau à reflets métalliques. Sa tête est renversée en arrière ; et elle regarde, en faisant, sans remuer la tête, converger les yeux de droite, vers B.B. Quant au baldaquin, on le voit en entier car malheureusement la photographie a été prise un peu trop haute. En tout cas chacun pourra ainsi se rendre compte des conditions dans lesquelles l’expérience a eu lieu.

Quant à B.B., on le voit bien au côté droit du rideau. Il a la tête couverte d’une sorte de casque armet, à reflets métalliques : par-dessus ce casque est un turban. Il a, descendant sur les oreilles, une sorte de mentonnière qu’on ne voit bien qu’à droite, qui lui couvre la joue et l’oreille droites, et qui paraît être apposée à la joue au dessous du casque. Du turban la draperie descend en flottant et en formant une sorte de pendentif. Le bras gauche, dont on ne distingue rien, est enveloppé d’une épaisse draperie qui s’étend vers Marthe qu’il cache complètement. Du reste B.B. nous avait annoncé que, comme Marthe craignait la lumière du magnésium, il prendrait soin de lui cacher les yeux et la figure pendant la photographie.

La draperie qui recouvre le corps retombe droite, et il y a comme de petites bouffettes blanches en houppes à la partie supérieure. Au dessous de ces houppes, garnissant le cou, et formant come une pèlerine, une série d’ornements bizarres dont il est difficile de déterminer la nature.

La figure même de B.B. est assez peu distincte, flou, quand on la compare à la figure nette, accentuée d’Aischa. Le nez est long : les yeux sont peut être ouverts, mais cela est vague. Une très épaisse barbe noire, qui paraît comme collée sur la lèvre supérieure, barre la figure. Cette moustache est retombant masque le menton.

On remarque aussi que les contours de la draperie sont fous, nuageux, vaporeux, et que cette forme indécise contraste curieusement avec la limite précise et sèche des contours du mouchoir que nous avions ms autour de la tête d’Aischa pour la reconnaître facilement dans l’obscurité. De même la forme indécise de B.B. et de sa draperie contraste avec les contours nets du rideau, si nets qu’en un point on peut voir un fil noir qui se détache du rideau effiloché.

J’appellerai encore l’attention sur la forme étrange de la draperie qui est comme suspendue à la main gauche de B.B. C’est comme une sorte de nuage blanc descendant de sa main et recouvrant la tête et le corps de Marthe. En effet, grâce au relief donné par le double cliché, on voit bien le pendentif blanc qui descend du turban placé en avant bras. Le bras se détache nettement du corps, et à la place où serait la main il y a une draperie épaisse qui retombe. Rien ne ressemble moins à un vêtement ordinaire que ce vêtement composé de trois parties : une robe blanche, avec bouffettes en haut, qui retombe droit sur le corps ; un turban mis sur un casque avec un pendentif tout à fait détaché de la robe et dérivant du turban, et enfin cette masse de draperies blanches qui couvre le poignet et la main de B.B. (qu’on ne voit pas) et qui masque, en descendant sous forme de voile épais, la place où est (ou bien où devrait être) Marthe.

En avant et très en avant du rideau, sur la partie droite, se voit, comme le relief stéréoscopique l’indique, une tache blanche lumineuse ; sorte de tige blanche munie d’une efflorescence. Ce n’est pas une erreur photographique ; car elle se trouve sur les deux clichés. Il est possible que cette tache soit due à une parcelle de magnésium s’étant projetée, lors de l’explosion, en avant de l’objectif. Mais je ne le pense pas ; car dans les photographies antérieures que Mme Noel m’a montrées, j’ai vu ces tâches fluidiques (effluves ??) qui unissent d’un trait blanchâtre les deux médiums, et qui ont des apparences identiques à celle de nos photographies.

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Il est possible d’ailleurs que ces effluves aient impressionné la plaque avant l’éclair du magnésium ; car je prenais soin de laisser l’appareil photographique ouvert, longtemps avant l’éclair. La lumière rouge n’étant pas suffisante pour voiler la plaque, même après une longue exposition.

Les photographies III et III a, et III b sont certainement les meilleures (à part la photographie III a, kodak, qui a été prise alors que l’appareil n’était pas au point). Dans la photographie III, on voit un peu la personne d’Aischa (côté droit), le fauteuil où Aischa est assise, et la robe d’Aischa. Puis, à côté d’elle, Marthe, assise, dont on ne distingue ni la figure, ni les mains, mais dont on voit la robe, le corsage, la ceinture, et le bras gauche se dirigeant vers Aischa. B.B. du côté du rideau est debout.

La figure de B.B. est plus nette que dans la photographie II. Le nez est moins long. Il y a non seulement une moustache, mais peut être aussi une barbe. Le casque heaume est très grand. Il y a des reflets métalliques, de sorte qu’il est vraisemblablement en métal (il est assez intéressant de constater que dans les expériences antérieures, du moins celles auxquelles nous avons assisté, B.B. avait seulement un turban) ; le heaume casque descend presque jusqu’aux yeux, au niveau des sourcils qu’il dépasse, et il est assez élevé pour que sa hauteur dépasse de un tiers environ la distance qui va du sourcil au menton. On voit cette grande hauteur du casque surmonté à la partie supérieure d’une saillie ronde comme certains vieux casques du moyen âge, dans la photographie IIIa mieux que dans la figure III. Les oreilles sont complètement cachées et invisibles. La draperie revêt le casque et tombe ensuite sur les épaules, et au devant de la poitrine. Cette draperie est en arrière du rideau dont les franges se dessinent sur elle. Au dessous de la tête est la mentonnière qui paraît tombée, et qui pend au devant de la poitrine ; et il y a peut être encore quelques vagues ornements sous le cou. La draperie à la partie supérieure, au côté gauche de la tête, a des franges qui se détachent.

Ces franges se voient bien mieux sur la stéréoscopie III bis. Là aussi on distingue bien l’aspect métallique du heaume, qui fait fortement saillie en avant des yeux. Mais ce qui apparaît en pleine évidence dans cette stéréoscopie, c’est la superposition des plans. Au premier plan la frange du rideau ; au second plan, un peu en arrière, la tête de B.B. et la draperie qui recouvre son turban et tombe droit de la tête, puis à un troisième plan Marthe, séparée très certainement de B.B. par un assez long espace vide. La draperie dont est couverte B.B. ne retombe pas jusqu’au sol. Elle s’arrête en s’amincissant (comme la pointe d’un châle dont on recouvrirait les épaules). Au bas, entre le rideau et la robe noire de Marthe, on voit deux sortes de bâtons droits blanchâtres servant de sustentation à cet étrange personnage. La draperie est blanche, et paraît évidemment d’un autre tissu, beaucoup plus dense que la draperie de la figure I.

Sur la figure III b on peut voir une singulière apparence de la draperie au point où elle recouvre la tête de Marthe. La elle est tout à fait nuageuse, à un plan postérieur, qui est le même que la tête de Marthe ; de sorte que l’apparence est d’une sorte de colonne nuageuse lumineuse sortant de la tête de Marthe, et la masquant pour former une draperie qui remonte et se confond avec le côté gauche de B.B.

Quant au rideau, c’est à peine s’il tombe, un peu repoussé pas le dos de B.B. Peu de chose à dire des autres personnages. Aïscha est à sa place ordinaire, avec sa peau noire à reflets métalliques, et le mouchoir noué sur sa tête. On reconnaître ses deux mains noires croisées ; on peut constater aussi qu’elle regarde du côté de B.B. Autour de la table on voit près du rideau, de profil perdu, le général Noël, puis Mme Noël, qui se cache les yeux pour ne pas être éblouie par le magnésium, puis M. Delanne prenant une photographie.

Quand à Marthe, dont la présence est si importante à constater, on ne voit d’elle ni la tête, ni les mains, ni les pieds. On voit seulement ses vêtements ; mais on les distingue très bien. D’abord le bras gauche, du côté d’Aïscha. Il semble que Marthe ait alors pris Aïscha par le cou, en passant la main, plus ou moins maigre, de Marthe, qui est au devant du cou d’Aïscha. Mais ce serait une erreur ; car ce qu’on voit au cou d’Aïscha, c’est une sorte de mouchoir qu’elle portait autour de son cou. De sorte que la main de Marthe ne se voit pas. Toutefois la manche paraît vide. Elle a de bizarres flexions, comme si elle avait été accrochée par une épingle au fauteuil d’Aïscha. Pourtant, en regardant de plus près on peut s’assurer que la vacuité n’est pas complète. A part cela, le reste du corps de Marthe est, sous les vêtements qui la couvrent parfaitement normal. La robe est pleine. On peut deviner qu’en avant il y a des genoux ; et qu’il y a une taille dans la ceinture qui se voit très bien. Le corsage chemisette, avec la guipure en forme de col, n’est évidemment pas très ample ; mais Marthe est assez mince de corsage et de taille pour que cela ne soit pas surprenant et on connaît la mode des chemisettes avec pendentifs qui descendent en avant de la poitrine. Au dessus de la ceinture se voit encore une petite bordure noire qui est la partie supérieure de la robe. On ne voit pas du tout le bras droit de Marthe.

Enfin, si l’on compare entre elles les photographies I, II et III, on constate que la taille de B.B. est bien différente en I d’une part, et en II et III de l’autre. En I, elle est beaucoup plus grande ; la comparaison peut se faire en prenant pour point de repère le haut du fauteuil sur lequel Aïscha était assise.


DISCUSSION ET CONCLUSIONS

Tout d’abord ; comme on s’y attend sans doute, je ne présenterai ni théorie, ni essai de théorie sur ces singuliers phénomènes. C’est déjà une assez lourde tâche que d’analyser leur réalité. Il s’agit donc uniquement de savoir s’il y a ou non quelque supercherie[3]. S’il faillait juger par des raisons d’ordre psychologique et non par des raisons d’ordre matériel, il ne saurait être question de supercherie. L’honorabilité absolue, irréprochable, certaine, de Marthe B…, fiancé à Maurice Noël, le fils du général, ne saurait être mise en doute.

De plus, avant qu’on eut découvert les facultés médiumniques de Marthe, il y avait déjà eu à la villa Carmen de nombreux phénomènes de matérialisation, dus à trois ou quatre médiums différents, et la forme de B.B. s’était, par ces médiums, également manifestée.

Enfin, comme les matérialisations ont eu lieu dans le cabinet, tantôt avec Ninon à côté de Marthe, tantôt avec Aïcha à côté de Marthe, il faudrait encore admettre la complicité de Marthe, Ninon, Aïcha, lesquelles ont toutes trois, l’une envers l’autre, à ce qu’il m’a semblé, des sentiments, sinon de suspicion, au moins de médiocre bienveillance.

Supposez que Marthe, fille d’officier, fiancée au fils du général, s’entend avec une négresse et une chiromancienne pour tromper odieusement M. et Mm Noël depuis six mois, c’est parfaitement absurde. Car nous insistons sur ce point, il ne peut être question de fraude inconsciente. Il faudrait pour apporter ce casque, ces draperies, ce turban, tout un attirail très compliqué que Marthe ne pourrait dissimuler à ses deux sœurs, dans la petite villa où elles habitent, et la complicité voulue et prolongée de Paulette et de Mai viendrait s’ajouter à celle de Marthe, de Ninon et d’Aïcha. Une pareille trahison, si habilement menée, serait impossible, et la loyauté, la pureté et simplicité d’âme de Marthe ne peuvent être jouées avec une telle astuce que les plus incrédules sont amenés à croire sa sincérité.

Mais ce n’est pas sur ce terrain que nous placerons la discussion. Nous supposerons au contraire, ce qui est l’inverse du bon sens, et de la vérité, et de la vraisemblance, que Marthe trompe, qu’elle est une perfide et habile prestigitatrice, adroite et délurée. Il s’agit de savoir si cette souplesse et cette agilité peuvent ainsi nous donner le change.

Si j’insiste sur le personnage de Marthe, c’est que par le fait toute tromperie venant d’autres personnes doit être écartée.

1° Il n’y a pas de trappes dans la pièce ;

2° La pièce est visitée à chaque séance avec grand soin, et nul personnage étranger ne peut s’y cacher ;

3° Nulle personne ne peut s’y introduire à notre insu ;

4° Les personnes qui sont dans la pièce, et que nous pouvons voir et entendre pendant tout le temps des expériences, ne peuvent intervenir directement pour la production mécanique des phénomènes qui se passent derrière le rideau et loin d’elles ;

5° Aïcha, que l’on peut voir d’ailleurs très distinctement dans presque toutes les expériences, n’est pas en cause ; car elle est toujours loin de la forme de B.B. ; et ensuite dans plusieurs expériences, B.B. s’est montré sans qu’Aïcha fût soit dans le cabinet, soit même dans la salle.

De fait, je le répète, toute autre hypothèse de supercherie doit être écartée, qui n’est pas la supercherie machinée avec art, de Marthe B. Même cette supercherie ne peut consister qu’en ceci : c’est qu’elle se déguise en B.B. ; apporte sous sa robe un casque, des draperies diverses, un turban, une fausse barbe, des ornements compliqués, et que, dans le petit cabinet où elle est assise à côté de Aïcha, elle se déshabille pour revêtir la draperie qu’elle tenait cachée sous sa robe, et disposer, sur la chaise où elle était assise, une sorte de mannequin, avec des gants qui simulent des mains ; des appareils (lesquels ?) qui simulent son corps, ses genoux, ses bras ; il faut qu’elle habille ce mannequin avec sa robe, sa chemisette, qu’elle place au dessus du masque ( ?) qui simule sa figure avec une parfaite vraisemblance, puis qu’elle reprenne tous ses objets, casque, moustache, draperie et mannequin, pour en dévêtir le mannequin et les cacher de nouveau sous sa robe, tout cela en présence et à côté d’Aïcha.

Or manifestement cette dissimulation de tant d’appareils compliqués est impossible : car, comme nous l’avons tous constaté, Marthe n’a pour corsage qu’une petite chemisette très mince. Elle est frêle, avec de petit bras, une taille très fine. Après la séance cette chemisette est toute trempée de sueur. D’ailleurs elle se ferme par derrière au moyen d’agrafes, difficiles à détacher, autant qu’à attacher. Ce n’est donc pas dans le corsage qu’elle peut dissimuler toutes ces draperies et ces ustensiles qui apparaissent avec B.B. Serait ce dans sa robe ? Mais elle porte des robes assez courtes, très collantes, dessinant absolument son corps. Elle va, vient, court, monte et descend rapidement les escaliers, aussi bien avant la séance, qu’immédiatement après la séance. Les volumineuses draperies qui entourent B.B. ne pourraient être cachées par elle sous cette mince tunique.

Même si elle pouvait réussir à cela, rien ne serait expliqué encore. Car outre les draperies, il lui faudrait encore dissimuler le mannequin sur lequel elle disposerait ses vêtements pour donner l’apparence d’une Marthe assise sur un fauteuil apparence tellement saisissante que c’est par un excès de scrupule seulement que je ne la reconnaissais pas distinctement dans la personne assise à côté de Aïcha, derrière B.B. qu’on voyait se mouvoir. En effet, je le répète encore, B.B. est comme un être vivant ; ce n’est ni un mannequin, ni une poupée : c’est une personne identique à une personne vivante, et, si ce n’est pas un fantôme, ce n’est peut être que Marthe.

Mais, contrairement encore à tous bon sens, admettons même cela. Supposons que Marthe, que nous n’avons jamais fouillée, ni attachée, puisse apporter sur elle tous les engins qui servent à son déguisement, lui est il possible de s’en servir ? Il me paraît évident que non.

1° Dans certains cas la draperie apparaît, s’agite et se meut presque en même temps que Mme Noël est dans le cabinet. Le 31 aout, une demi-minute à peine après que Mme Noël a quitté le cabinet, on voit dans la fente du rideau apparaître le diadème casque de B.B. et une draperie flotte. Le 29 aout, le rideau est tiré brusquement, je distingue très nettement, sans contestation possible, Marthe et Aïcha assises l’une à côté de l’autre. Il n’y a pas à douter que ce soit elles, et je les ai vues se mouvoir. En même temps je vois une grande draperie blanche, comme enveloppant un bras, placée très haut, qui achève de tirer le rideau et disparaît avec la rapidité de l’éclair.

2° Il ne suffit pas de faire apparaître la draperie ; il faut aussi la faire disparaître. Or, le plus souvent, d’autres personnes, par exemple Mlle X, quelquefois aussi Mme Noël, entraient, presque à l’improviste, dans le cabinet, et ne constataient jamais rien. Les draperies et B.B. disparaissent aussi rapidement qu’ils sont venus.

3° Je ne vois pas comment il serait possible de produire le phénomène de la tache lumineuse, naissant du sol et donnant naissance à un être vivant. Nulle agilité, même celle d’un gymnaste professionnel, ne peut produire cette impression, qui m’a frappé comme une preuve catégorique.

4° Sur les photographies on voit nettement trois personnages, alors qu’Aïcha et Marthe étaient seules dans le cabinet. Il est impossible de prétendre que Marthe se soit déguisée en B.B. pour laisser à sa place un mannequin, et revêtir, toute nue, la draperie et le casque. Car alors où seraient ses jambes et son corps ? La tête est droite, et le buste vertical.

5° Certains détails photographiques sont caractéristiques : la grande taille de la figure I, le flou et le nuageux des contours, la grande main et la draperie à peine matérialisées de la figure I ; le nuage couvrant la figure de Marthe dans les figures II et III a, l’aspect différent des draperies dans les diverses photographies : tantôt un turban avec pendentifs, tantôt des franges, etc.

Telles sont les raisons, extrêmement puissantes, qui militent en faveur de la réalité de ces phénomènes ; mais je ne me dissimule pas la force des objections, et il y aurait quelque enfantillage à ne pas les présenter dans toute leur force. D’autant plus que toutes les invraisemblances d’une fraude ne sont guère moins invraisemblables que celle d’une matérialisation.

Pourquoi le corps et la manche de Marthe dans la figure 3 semblent-ils vident ? Pourquoi ne voit on pas la main droite de Marthe ? Pourquoi, dans toutes ces photographies, ne voit on jamais distinctement la figure de Marthe, aussi nettement qu’on voit la figure d’Aïcha, par exemple. Pourquoi l’obscurité est elle à ce point nécessaire ? Pourquoi la figure de B.B. est elle si ressemblante à la figure que pourrait avoir Marthe, si elle avait collé une grosse barbe noire à sa lèvre supérieure ? Pourquoi, après que B.B. m’eut promis que sa main fondrait dans la mienne, n’ai-je pu rien obtenir d’analogue, alors que j’avais cependant déclaré que cette expérience était vraiment l’expérimentum crucis fondamental ? Pourquoi lorsque B.B. se promène, sortant du cabinet, autour de nous, dans la salle, n’est-il pas permis de le toucher ?

Ce sont là assurément de très sérieuses objections. Mais il est permis de supposer que le phénomène, si mystérieux, si miraculeux presque, qu’on nome la matérialisation, s’accompagne d’une sorte de désagrégation ( ?) de la matière préexistante, de sorte que la matière nouvellement formée se forme aux dépens de l’ancienne matière, celle du médium et que le médium se vide, pour ainsi dire, afin de constituer le nouvel être, lequel émane de lui, et auquel on ne peut toucher sans nuire au médium.

Si réellement Marthe était un clown habile, si elle avait cette astuce prodigieuse, elle eut certainement compris qu’une manche vide coulée au fauteuil d’Aïcha donnerait l’impression d’une manche vide. D’autant plus que rien n’eut été plus facile que de dissimuler cette manche, comme le reste du corps, derrière la draperie. Je ne crains pas de dire que cette vacuité de la manche, loin de prouver la fraude, établit au contraire qu’il n’y a pas de fraude, et semble parler en faveur d’une sorte de désagrégation matérielle du médium que le médium était incapable de soupçonner.

Mais je ne peux pas aller plus loin dans la théorie. Il est trop tôt encore, et de nouvelles expériences sont nécessaires. Je ne peux même pas me hasarder une affirmation définitive du phénomène. Car, malgré toutes les preuves que je donne, malgré tout ce que j’ai vu et touché, malgré les photographies, si probantes cependant, je ne puis me résoudre encore à admettre dans toute sa plénitude, et avec toutes les conséquences prodigieuses que cela entraine, le fait de la matérialisation. C’est trop demander à un physiologiste que de lui faire accepter ainsi un fait aussi extraordinaire et invraisemblable ; et je ne me rendrai pas si facilement, même à l’évidence.

Toutefois j’ai cru devoir mentionner ces faits, de même que Sir William Crookes a cru devoir, dans des temps plus difficiles, rapporter l’histoire de Katie King. Après tout il se peut que j’aie été trompé. Mais l’explication d’une telle erreur aurait une importance considérable.

Et puis, faut-il le dire ? Je ne coirs pas que j’ai été trompé. Je suis convaincu que j’ai assisté à des réalités, non à des mensonges. Certes je ne saurai dire en quoi consiste la matérialisation. La solution de ce phénomène est peut être toute différente de celle que lui donnent naïvement les spirites. Je suis tellement prêt à soutenir qu’il y a là quelque chose de profondément mystérieux, qui changera de fond en comble nos idées sur la matière et sur la vie.

CHARLES RICHET


SUR LES PHOTOGRAPHIES ALGERIENNES

DE M. CHARLES RICHET

Monsieur Charles Richet vient de m’entretenir de certains phénomènes remarquables auxquels il a dernièrement assisté à Alger ; il m’a montré quelques photographies qui s’y rapportent et qui ont été prises, par lui et par d’autres, à l’éclair du magnésium.

Il paraît que la lumière à laquelle on a assisté aux phénomènes était produite par une lampe rouge de photographe, de telle façon que la chambre noire pouvait être exposée à l’objectif pendant quelque temps, même pendant une demi heure, jusqu’à ce que le signal fût donné de produire l’éclair.

Les photographies prises par M. Richet lui-même ont le grand avantage d’être stéréoscopiques, et de donner ainsi une vision de trois dimensions de l’espace ; en outre, elles écartent ainsi toutes les images dues à quelque lumière accidentelle qui pouvait impressionner le cliché puisque cette lumière ne pouvait pas coïncider avec les deux vues de la plaque stéréoscopique.

Les photographies représentent une figure drapée, qui paraît être celle d’un homme, dont ont que le visage, et même pas en entier, puisque le front et les oreilles sont cachés, et la bouche est plus ou moins masquée, soit par une moustache, soit par une moustache et une barbe. La partie supérieure de la tête est cachée par une sorte de casque dans la plupart des photographies – dans l’une d’elles par une espèce de turban ; le cou est couvert comme par une mentonnière ; le restant du corps est complètement enveloppé d’une draperie.

La figure est, soit penchée en avant dans une attitude assez malaisée, soit manquant de jambes, puisque la draperie diminue et semble se terminer dans la direction des membres inférieurs. Mais la figure se tient debout, ou s’appuie près d’un rideau, ce qui fait que le manque de jambes n’est pas bien démontré.

L’une des photographies montre les contours extérieurs d’une main, d’un poignet et d’un avant bras, en partie couverts par l’étoffe : l’aspect est bien celui d’une main et d’un bras d’homme, en de telles conditions. Le « Fantôme » soutient une partie de l’étoffe dont il est couvert et qui, dans la photographie dont il s’agit, apparaît plus spécialement fine et transparente, mais il ne semble pas être précisément derrière l’étoffe ; ont dirait plutôt qu’il est lui-même d’un tissus transparent, ou vaporeux, ou imparfaitement formé. Dans cette photographie, le visage est au dessus du cadre ; on aperçoit donc que la pointe du nez, l’épaisse moustache et le menton. Le corps se présente comme s’il était plus haut et placé dans un plan plus élevé que dans les autres photographies.

Dans quelques-uns de ces instantanés, qui ont été pris évidemment par un seul et même éclair, la mentonnière semble être tombée accidentellement de six ou huit pouces sur la draperie, de sorte qu’on a l’illusion de devoir discerner le cou ; mais dans cette figure le menton se trouve un peu baissé, ce qui fait qu’on ne voit pas une plus grande partie du visage que dans les autres cas.

En comparant le visage à ceux des expérimentateurs ou des médiums, qui sont visibles dans quelques une des photographies, on trouve qu’il semble moins complètement et fortement marqué que les autres ; dans certaines, on peut même le considérer plutôt comme l’ébauche d’un visage – pour employer les mots de Dickens dans sa description de Chevy Slyme, Esq. ; mais il est incontestable qu’il s’agit bien d’un visage, qu’il soit naturel ou artificiel, et non pas d’une combinaison accidentelle de lumières et d’ombres. Dans certaines photographies, il semble bien un masque, mais dans la plus claire de toutes, cette supposition paraît invraisemblable, en d’autres encore, on est plutôt porté à y voir un vrai visage d’un aspect cadavérique et exsangue.

Les yeux sont fermés, je crois, dans toutes les photographies, quoique dans une cela puisse paraître douteux ; les joues sont contractées, ou légèrement grimaçantes, comme il arrive parfois aux personnes qui sont, ou qui s’attendent à être exposées à l’éblouissement de l’éclair du magnésium. Le nez est fortement marqué et proéminent, et les pommettes sont aussi un peu saillantes.

Dans une des photographies stéréoscopiques, prise évidemment à un moment différent que les autres, quoique l’aspect général de la figure soit à peu près la même, on voit à la place du « casque » rudimentaire, ou bien au dessus de lui, un turban ; les poils du visage, qui ont distinctement une apparence artificielle, sont sans doute une moustache abondante et tombante, alors que dans d’autres photographies il y a peut être aussi une barbe. Dans cette photographie l’on peut voir une plus grande partie de front, sur les yeux, que dans les autres. Mais la draperie qui tombe des deux côtés de la tête est ici en position et cache presque complètement les joues.

Quant à la possibilité de faire pénétrer des masques et des étoffes dans une chambre qui doit être perquisitionnée, ou bien de les y cacher jusqu’au bon moment, de les arranger dans l’obscurité avec une habilité suffisante pour produire une apparence humaine, et de pouvoir ensuite s’en débarrasser quelque temps avant la fin de la séance ; alors que le médium et la pièce doivent être de nouveau fouillés, je demanderai aux expérimentateurs, et surtout à M. Richet, la permission d’en dire deux mots, et cela surtout pour la figure principale, qui devrait être une apparition anormale, ou un « fantôme » qui se montrerait momentanément pour disparaître ensuite.

Ici, comme d’habitude, les photographies à elles seules n’auraient aucune valeur, et si on les considère absolument en elles mêmes, elles peuvent que faire songer à l’un des nombreux trucs que les photographes peuvent facilement arranger lorsqu’on n’exerce pas sur eux le contrôle nécessaire. Les photographies ne peuvent servir que comme un supplément au témoignage humain, mais elles sont de la plus grande importance comme une confirmation des observations visuelles ou autres et des faits que M. Richet m’a rapportés avec soin.

L’une des photographies stéréoscopiques, qui se trouve avoir un champ de vue plus étendu que les autres, nous montre cinq des individus présents : le nombre total des assistants (sans compter le fantôme) était de neuf, mais trois ou quatre d’entre eux dont quelques uns occupés à photographier – sont naturellement hors du champ visuel.

On peut présumer que les plus importantes des personnes présentes sont les deux qui se trouvent au-delà du rideau, dans le voisinage immédiat de l’apparition, dans un coin de la chambre qui avait été précédemment fouillée et qui l’a été de nouveau à la fin de la séance. L’une d’elles est une négresse que quelques uns des expérimentateurs jugeaient devoir aider à la production des phénomènes, mais elle-même ne s’y intéressait pas beaucoup et était bien aise quand on la dispensait d’être présente. Son visage, ses mains et ses habits sont tous facilement et solidement visibles. Elle porte une bande blanche autour de la tête pour qu’on puisse suivre ses mouvements lorsque la chambre n’est pas éclairée que par la lumière rouge, en attendant l’éclair du magnésium. Son importance apparente est contredite par ceci : que M. Richet m’a catégoriquement affirmé, que les phénomènes identiques ou analogues se produisaient lorsqu’elle n’était pas présente, et que sa place était occupée par quelqu’un d’autre, quoiqu’il soit arrivé que, dans ces occasions, on n’ait pas pris de photographies. L’autre personne derrière le rideau est une jeune fille de 19 ans, qui est le médium du titre ; et que, pour nous entendre, nous appellerons « le médium ».

Les photographies ne montrent aucune partie du corps du médium – ni le visage ni les mains, mais elles montrent les vêtements, qui paraissent portés comme d’habitude. Le visage est caché par le drap dont le fantôme est habillé ; cela a été fait pour protéger la jeune fille de l’éblouissement produit par la lumière du magnésium. La raison pour laquelle les mains se trouvent à leur tour cachées est moins claire ; mais dans une des photographies le bras gauche est tendu vers la négresse, et la main est apparemment cachée derrière son dos. La main droite n’est pas visible du tout ; à cause de la position de la figure, de ce côté. Si le fantôme n’est qu’un mannequin habillé, c’est cette main qui doit le soutenir.

On peut aussi supposer que le médium est debout et personnifie le fantôme ; mais dans ce cas, il est bien difficile de comprendre comment la robe du médium peut rester dans la position qu’elle aurait si elle couvrait une personne assise sur la chaise ; toutefois il y a un truc bien connu par lequel, à l’aide d’un siège préparé et d’un opérateur habile, on peut obtenir une disparition de cette sorte.

Le corsage et la jupe du médium sont visibles dans plusieurs photographies ; le premier semble être une blouse blanche, avec quelques dentelles qui tombent du col ; la taille est prise dans une ceinture ; la jupe semble d’une couleur noire ou foncée et elle est visible dans certaines photographies, non pas jusqu’aux pieds, mais jusqu’à un point également distant des pieds et des genoux.

La jupe blanche de la négresse se trouve à côté de la jupe noire du médium, et dans quelques unes des photographies elle semble la toucher ; un bout du pantalon blanc de l’un des assistants est visible de l’autre côté de la jupe sombre, mais à une certaine distance. Dans l’image stéréoscopique, on peut voir que ces deux objets blancs se trouvent plus vers le premier plan de l’image que la jupe foncée, et que selon toute probabilité, ils ne touchent pas à elle ; la jupe blanche est donc seulement projetée optiquement sur l’autre.

La jupe du médium, dans toutes les photographies, paraît arrondie et modelée, comme si elle était réellement protée par quelqu’un, dans une photographie, la saillie arrondie des deux genoux est même assez perceptible. Sans doute, la jupe foncée est soutenue par quelque corps solide, apparemment par les jambes du médium, d’une manière absolument naturelle et ordinaire. Si elle était vide, elle aurait dû être supportée par quelque carcasse solide arrondie, pour lui donner une apparence parfaitement naturelle. La ceinture, elle aussi, semble entourer une taille solide.

Mais on ne peut pas en dire autant pour le corsage et la manche, qui retombent dans une forme assez gauche et fable, non pas comme s’ils étaient vides, mais comme si ce qu’ils contiennent était contracté. La manche étendue vers la négresse peut contenir un bras, mais alors ce membre doit être bien maigre ; toutefois, il ne semble pas contenir uniquement une baguette ; on la dirait plutôt soutenue par une épingle piquée dans le dossier du siège sur lequel est assise la négresse. Cette apparence n’est pourtant pas bien marquée, et il est improbable qu’il en soit réellement ainsi ; il n’y a en effet rien d’incompatible avec la présence d’un bras mince à l’intérieur de la manche ; d’ailleurs, on aperçoit la place du coude. J’ai constaté la possibilité qu’un bras maigre, étendu ainsi, et couvert d’une manche semblable, présente un aspect analogue à celui que l’on voit sur la photographie. Malgré tout, à première vue, on ne peut que rester sous l’impression que la manche a comme une apparence vide. Mais si elle avait été réellement vide, il n’y aurait eu aucune nécessité de l’étendre et de l’exposer ainsi ; s’il y a une tromperie, elle est bien niaise, alors que tous les autres arrangements paraissent habiles. Le corsage retombe sans formes, mais on ne peut pas affirmer qu’il paraisse vide dans toutes les photographies. Sans doute, il ne semble pas très plein, mais il ne peut que retomber de la sorte sur une personne mince, et il paraît plus arrondi ou modelé dans la photographie stéréoscopique que dans les autres.

Je suis en outre porté à croire que la position du visage est faiblement visible à travers la draperie qui couvre le « fantôme » et qui semble légèrement modelé par le menton du médium, si ce dernier se trouve réellement dans sa position ostensible, c'est-à-dire assis sur une chaise, à la même hauteur que la négresse. Dans ce cas, la seule manière frauduleuse de produire le fantôme, si l’on n’a pas recours à l’hypothèse d’un compère, est de supposer que le médium s’est servi d’un masque qu’il avait d’abord caché, et puis habillé adroitement, et qu’il tient dans sa main droite au moyen d’une canne. Mais, sans parler des témoignages d’après lesquels la figure bougeait, sa bouche parlait, respirait régulièrement et la figure s’avançait dans la chambre, cette hypothèse est bien risquée, même en négligeant la question des fouilles auxquelles la pièce et les médiums avaient été soumis[4]. Néanmoins, les photographies, à elles seules, n’excluent pas la chose. Il est à remarquer – et cela ne manque pas d’intérêt – que la figure de l’apparition ressemble, à ce que l’on affirme, à celle du médium. C’est là un détail qui a été observé en de pareils cas par d’autres expérimentateurs, notamment par Sir William Crookes. Je n’ai pas vu moi-même de photographie du médium.

Dans les photographies stéréoscopiques, ont voit au premier plan une trace lumineuse. Elle est certainement objective et on dirait la trace du passage étroit d’un point de lumière. On affirme que quelques « lumières fluidiques » étaient visibles, mais il n’est pas dit qu’une de ces lumières fut visible à ce moment, pendant que la chambre noire était exposée. On peut se demander si elle n’est pas due simplement à un fragment de magnésium ardent qui s’est échappé : mais, quoiqu’il ne soit pas difficile que cette parcelle ait été lancée de derrière dans le champ visuel, qu’elle ait brillé pour une fraction de seconde, et qu’elle soit ensuite tombée, il n’est pas possible de concilier la trajectoire dessinée avec cette simple hypothèse. Elle est certainement due à une lumière quelconque qui se mouvait, mais je ne saurais pas dire quelle peut être cette lumière. Elle semble, ou surgir, ou disparaître près du rideau, et venir bien en avant, de manière que la partie la plus considérable de la trainée se trouve près de la chambre noire.

Passons maintenant aux déductions générales auxquelles peut donné leur l’examen des photographies, combiné avec les observations de M. Richet. Il est à la rigueur possible, quoique certainement peu facile, d’arranger un masque et un habillement dans la demi obscurité avec l’intention de produire des effets photographiques. Il est clair, en ce cas, que la seconde personne qui se trouve derrière le rideau doit être une alliée ; cependant, même alors, l’hypothèse n’expliquerait pas d’autres faits : le parler, la respiration, l’action de s’avancer dans la chambre. Je préfèrerai supposer qu’un deuxième compère a été introduit, ce que le témoin déclare être absolument impossible, ou bien encore que le médium personnifie le fantôme, en quittant ses propres vêtements, et en les plaçant, par quelque étrange stratagème, de manière à faire croire qu’il continue à rester assis sur la chaise, alors qu’en réalité, il serait debout, et en mouvement. Le professeur Richet est d’avis qu’il est impossible, dans les conditions de surveillance auxquelles était soumis le médium, que ce dernier quittât ses vêtements et changeât de place ; néanmoins, cette hypothèse est, avec celle d’un deuxième compère, la seule à laquelle on puisse avoir recours ; si on ne veut pas expliquer les faits, par une supposition, également impossible, c'est-à-dire l’utilisation super normale de quelque portion de matière pour la construction inconsciente ou automatique d’un fantôme ressemblant au médium par les traits du visage.

Si ce n’était que la constitution, ou la reconstitution d’un vrai fantôme objectif, c'est-à-dire une matérialisation, sont des faits si extraordinairement graves, leur explication ne laisserait que peu de doute dans mon esprit ; mais en considérant les conséquences qu’il y a à admettre la réalité d’une apparition si anormale – la production inconsciente de la part d’un médium honnête – je ne puis que réserver mon opinion, d’autant plus que je n’en ai pas une bien arrêté. Je sais bien que des phénomènes analogues ont été observés et déclarés authentiques par des savants éminents. Ceux-ci ont été forcés, par l’expérience personnelle, à admettre que ces faits peuvent se produire. Mais le témoignage actuel ne doit pas être influencé par le passé : il doit être lui-même absolu et substantiel, s’il veut pouvoir donner un appui utile et valide aux affirmations que d’autres avaient faites jadis.

Ce que prouvent définitivement les photographies, c’est que l’apparition d’une troisième personne derrière le rideau n’était pas due à une hallucination ou à une suggestion, mais que la même apparition qui se manifestait aux yeux (et parfois même aux oreilles et au toucher) – la même apparition qui était visible à la lumière rouge d’une lampe – a impressionné exactement et plus clairement encore, avec plus de détails, la plaque photographique, à l’éclair de la lumière du magnésium.

Quelle que soit l’explication réelle de ces photographies, elles sont les meilleures de cette espèces qu’il m’ai été donné de voir depuis quelque temps ; et tandis que les prétendues photographies spirites m’ont laissé jusqu’ici sous l’impression d’un arrangement artificiel de quelque truc photographique – dont il y en a tant de possibles – celles dont nous nous occupons, quand je les considère avec les témoignages qui se rapportent à la manière dont elles ont été prises et développées, me font l’effet d’être d’une nature photographique absolument authentique. En outre, les photographies prises par les observateurs divers et indépendants l’un de l’autre se confirment mutuellement, et s’il y a quelque truc ou quelque fraude dans cette affaire, elle n’est pas d’une nature photographique. Je désire donc saisir cette occasion pour appeler l’attention publique sur le récit détaillé de M. Richet et de ses collaborateurs, relativement aux circonstances dans lesquelles ces photographies ont été obtenues, et aux autres observations, spécialement les conditions variées dans lesquelles le fantôme a fait son apparition.

Selon le témoignage des membres du cercle, non seulement la présence de la négresse n’était absolument pas nécessaire, mais on n’aurait même pu se passer de la jeune fille que nous désignons sous le terme de médium, d’autant plus que les mêmes personnifications, accompagnées des mêmes phénomènes visibles et auditifs, avaient déjà été obtenues avec d’autres médiums, en présence de la même famille, et dans la même maison d’Alger[5].

De l’ensemble des dépositions et des faits, je comprends qu’il ne serait pas raisonnable de supposer que la figure fantomatique était due, d’une manière normale, à la jeune fille auprès de laquelle elle apparaissait. Les photographies me permettent de croire qu’elle se trouvait réellement dans sa position ostensible et qu’elle n’a participé à aucune personnification consciente ; d’ailleurs, elle ne peut pas être considérée capable de disposer une figure artificielle, qui se déplacerait, parlerait et respirerait ; comme les témoignages affirment que faisait l’apparition. Quant à dire si une partie de son organisme n’était pas utilisée dans ce but, pendant sa trance, par des moyens anormaux, c’est là une tout autre question, que je m’abstiens de discuter ; si on ne veut pas admettre quelque chose d’anormal, on ne peut que supposer l’introduction d’un compère payé par la famille ; mais le professeur Richet déclare nettement qu’il était matériellement impossible qu’un homme se tint caché dans la chambre ou qu’il y pénétrât par quelque placard dissimulé ou par une porte, après le commencement de la séance, et qu’il s’en allât avant que la séance fût terminée.

On conçoit aisément la niaiserie d’un pareil procédé de la part d’une famille privée ; - l’absurdité de supposer qu’au cours d’une période d’années ces personnes aient pu s’amuser, dans leur cercle domestique, à exécuter de ces sortes de tromperies ; mais les témoignages sont tels, qu’ils nous mettent dans l’alternative, ou d’avoir recours à quelque hypothèse extrême, ou de refuser d’accepter les témoignages eux-mêmes.

30 septembre 1905

OLIVIER LODGE


A PROPOS DES RECENTES EXPERIENCES D’ALGER

par Mademoiselle X …

Après avoir lu le compte rendu du docteur Charles Richet sur les séances d’Alger, je dois constater que les autres expérimentateurs n’ont plus grand-chose à ajouter. Il peut y avoir, toutefois, un certain intérêt dans quelques détails au sujet desquels, par suite de circonstances différentes, je suis à même d’apporter mon témoignage personnel. Ces circonstances consistent surtout en ce que :

1° je me suis trouvée à Alger longtemps avant l’arrivée du professeur Richet ; Mme Noel et Mlle Marthe B… m’ont alors offert obligeamment l’opportunité d’assister à diverses séances. ;

2° dans presque toutes les séances j’ai été autorisée à pénétrer dans le cabinet médianique : une voix venant de cet endroit m’ordonna souvent d’y entrer au commencement de la séance, et parfois pendant. Il m’est ainsi arrivé de pénétrer dans le cabinet presqu’à la suite de la forme matérialisée. Une fois (le 8 septembre), avant que j’aie eu le temps de reprendre ma place dans le cercle, une forme enveloppée d’une volumineuse draperie blanche ouvrit le rideau et se montra à côté, et légèrement plus en avant, de Marthe, que je venais à peine de quitter.

Si promptement qu’il me soit arrivé de pénétrer dans le cabinet, jamais il ne m’a été donné d’y voir des draperies d’aucune sorte ; une fois ou deux il m’a paru discerner vaguement les contours d’une forme, mais comme j’y portais ma main, je ne sentais rien – ce qui me fait supposer que mon impression avait été purement subjective. Je trouve même dans mes notes qu’une fois, surprise par la disparition soudaine d’une forme que j’avais suivie dans le cabinet, je demandai si B.B. se trouvait encore là, quoique caché à ma vue et à mon toucher. Je crus entendre une voix répondre affirmativement ; alors, en saisissant fermement les mains de Marthe et Aischa, je demandai à être touchée. Pour toute réponse je sentis alors une main se poser sur ma tête en agitant les doigts comme en s’efforçant de dénouer un ruban que je portais sur mes cheveux. Chaque fois que j’entrais dans le cabinet, je sentais généralement ces attouchements, parfois comme si une main toute entière se posait sur ma tête, d’autres fois comme si des doigts tâchaient de me dénouer les cheveux. Une fois pendant que je tenais étroitement les mains de Marthe et d’Aischa, les mots : Sois bénie ! Furent prononcés à mon oreille gauche – trop loin de Marthe pour qu’il lui fut possible de placer sa tête à l’endroit d’où venaient les paroles, sans que je m’en fusse aperçue ; en même temps, une main se posait sur mon front.

La complexité des phénomènes et leur connexion intime avec l’organisme du médium m’apparurent en plusieurs occasions. Par exemple, j’ai dit tout à l’heure avoir entendu une voix et avoir senti les attouchements d’une main pendant que je me sentais sure d’avoir les mains de Marthe et d’Aischa dans les miennes. Mais je n’ai pas tardé à m’apercevoir qu’on profitait immédiatement du moindre relâchement de contrôle de ma part, et que Marthe endormie simulait alors les phénomènes de parole et d’attouchement. On aurait dit qu’un effort constant était fait pour éviter toute fatigue ; qu’il y avait quelque être, restant constamment éveillé et désirant économiser autant que possible la force inconnue qui produisait les résultats anormaux auxquels j’assistais. Par exemple, j’étais généralement appelée dans le cabinet, soi disant pour recevoir les instructions murmurées par B.B. au sujet des différentes expériences que nous désirions faire. D’ordinaire, la voix semblait venir de l’angle A (voir le diagramme dans l’article de M. Richet, numéro de novembre) à 70 centimètres environ de Marthe ; mais en observant attentivement, je remarquais que Marthe elle-même, en penchant son corps et sa tête d’un côté, imitait à la perfection la voix « directe ». Aussitôt que je m’apercevais de ce simulacre, j’approchais ma tête de celle de Marthe où je plaçais ma main sur ses lèvres, et je demandais alors à B.B. de me donner lui-même les instructions, sans l’intermédiaire de Marthe. Je recevais alors presque toujours la réponse telle que je la désirais, quoique assez souvent après avoir attendu pendant un laps de temps assez prolongé.

D’habitude, aucun phénomène ne se produisait dans la salle de séances tant que je restais dans le cabinet, quoique, comme je l’ai dit plus haut, les phénomènes eussent parfois suivi ma sortie de si près qu’il était, à mon avis, absolument impossible de Marthe, quelque agile qu’elle fût, soutint le rôle de B.B. en laissant un mannequin assis à sa place. Je dis que d’habitude, aucun phénomène ne se produisait tant que je restais dans le cabinet. Il y eut toutefois à cela une exception remarquable. Au cours de la séance du 3 septembre, je fus appelée dans le cabinet par B.B., qui me demanda d’y rester. Je m’assis sur le siège d’Aischa, qui était, selon toute apparence, profondément endormie, et gisait sans mouvement sur le parquet, à l’angle B, elle ne bougea pas pendant tout le temps que je restai dans le cabinet. Maintenant, j’affirme avoir tenu la main de Marthe aussi longtemps que je suis restée dans le cabinet ; aussitôt assise, je pris sa main dans la mienne, et je posai ma tête su son épaule gauche ; je n’ai jamais senti aucun mouvement suspect de ses pieds, ni aucun effort tenté pour libérer ses mains. Excepté sa respiration douce, presque imperceptible, elle était immobile. Dans ces conditions, quoique je ne pusse rien voir, j’entendis les assistants s’écrier qu’une main blanche de femme agitait les rideaux, et faisait des signes aux expérimentateurs. La main, à ce qu’il paraît, indiquait que le professeur Richet pouvait s’approcher du rideau. Je trouve dans mes notes que le professeur Richet me dit, à l’issue de la séance, qu’il put toucher et examiner cette main, qui était la main droite d’une femme. Il ne remarqua pas que cette main, qui était potelée ; ressemblât à la main de Marthe, qui est mince et osseuse. Le professeur Richet me dit aussi que sa main fut entrainée dans le cabinet et baisée ; il sentit distinctement des lèvres humaines. On lui fit aussi sentir quelque chose, qu’une voix partant du cabinet lui dit être une chevelure, et qu’il trouva pareille à la crinière d’un cheval.

Maintenant, je dois déclarer catégoriquement que je tins les mains de Marthe pendant tous ce temps, que je me rendais parfaitement compte de la valeur de cette expérience, et que je me sentais doublement sure que je tenais bine les mains d’une personne vivante, de Marthe elle-même et non pas celles d’un mannequin. Quoique je n’aie rien vu, ni main, ni chevelure, ni forme humaine, j’entendis une voix et quelques uns, mais non pas tous, des mots prononcés par cette voix ; je puis affirmer que ce n’était pas la voix de Marthe ; car, tenant mon visage contre le sine, le plus léger mouvement de ses lèvres ne m’aurait pas échappé.

A côté de ce dernier épisode il me sera permis d’en citer un autre pour montrer ce que l’on peut considérer comme épuisement de la force du médium ; ou un effort pour l’économiser, plutôt que comme une tromperie volontaire.

Le 9 septembre, nous étions restés en séance pendant trois heures sans obtenir aucun phénomène remarquable. Les rideaux étaient ouverts, laissant Marthe et Aischa exposées à notre vue. Le seul phénomène qui se produisit fut celui d’une main couverte d’un drap léger comme de la mousseline, qui se montra de temps en temps à la gauche de Marthe (à la droite des expérimentateurs) ; il était loisible de supposer qu’une forme se trouvait à l’angle A du rideau puisque le rideau présentait parfois les contours d’une forme se penchant vers lui, quoique les assistants assis dans un position favorable – moi-même et Maia – fussent à même de voir, de temps à autre, une forme humaine de haute taille drapée de blanc, qui semblait se tenir derrière le rideau, au coin A. Enfin, en réponse aux instances des expérimentateurs pour que la forme se montrât, une voix provenant de ce coin répondit : « Je ne parviens pas à matérialiser mes cheveux », d’où nous arguâmes que l’apparition ne désirait pas se montrer sans chevelure. Etant donné que Marthe avait été visible pendant presque tout ce temps, surtout lorsque la main enveloppée d’un drap se montrait, l’authenticité de ce phénomène peut paraître indéniable[6]. Enfin, une voix venant du cabinet me dit de m’approcher du rideau. J’obéis et je m’agenouillai, tenant dans mes mains le rideau, qu’en attendant on avait fermé. Alors, par une ouverture du rideau, je pus voir Marthe assise sur une chaise. Nous renouvelâmes nos instances pour obtenir des phénomènes, mais sans succès. Pourtant, à la suite des demandes incessantes et réitérées au supposé « esprit » pour qu’il montrât « au moins une main » s’il ne pouvait pas faire davantage, nous vîmes en effet apparaître une main. Mais je suis parfaitement sûre que c’était la main de Marthe, parce que je la vis nettement se lever de sa chaise, passer sa main à travers l’ouverture des rideaux, et l’agiter d’une manière pareille à celle employée par la main « matérialisée » quelques instants auparavant – et cela à un moment où j’avais vu les deux mains de Marthe sur ses genoux. Cet « automatisme » est aisément explicable, à ce qu’il paraît, par les circonstances : nous nous trouvions à la fin d’une séance relativement négative ; qui avait déjà duré plus de trois heures.

L’admission de l’incapacité dans laquelle l’Intelligence se trouvait de matérialiser ses cheveux, le refus constant de sortir du coin du rideau – d’où néanmoins, de temps en temps sortait une main couverte de drap, comme pour encourager les assistants à la patience – avec l’aveu final de ne pas pouvoir faire davantage, tout ceci semble indiquer un manque de forces ; et le médium épuisé a été très probablement suggestionné à simuler la réalité des demandes, réitérées d’une manière fatigante. Ce fut là du pur automatisme, et même du plus naïf.

Le jeudi 3 août, quelques jours avant l’arrivée du professeur Richet, un phénomène très intéressant se produisit. Marthe se trouvait toute seule dans le cabinet. Après avoir attendu pendant vingt cinq minutes environ, elle ouvrit elle-même le rideau dans toute son ampleur, et s’assit sur sa chaise. Presque immédiatement, pendant que Marthe se trouvait complètement en vue des assistants, et que ses mains, sa tête et son corps étaient distinctement visibles ; nous vîmes quelque chose d’un blanc diaphane se former graduellement à côté du médium. Il parut d’abord comme un petit nuage près du coude droit de Marthe ; on l’aurait dit attaché à son corps ; il était très mobile et se développa rapidement en prenant enfin l’apparence un peu amorphe d’une pilier vaporeux s’étendant de 65 centimètres environ sur la tête de Marthe jusqu’à ses pieds. Je ne pus distinguer ni mains ni tête : ce que j’aperçus ressemblait à des flocons de vapeur blanche, d’un éclat varié par endroits, qui se condensaient graduellement, en ce concentrant autour de quelque corps pour moi invisible. Ce phénomène eut la durée de cinq à dix minutes, au cours desquelles je ne perdis pas de vue les mains de Marthe, qu’elle tenait croisées sur ses genoux. Les rideaux furent ensuite fermés de nouveau – cette fois par une force qui n’était certainement pas normale, puisque Marthe n’avait pas bougé, et que personne, parmi les assistants, n’avait touché aux rideaux.

M. Charles Richet n’a parlé que des phénomènes qui se rapportaient à la figure centrale de B.B. Mais je crois devoir relater un incident curieux qui s’est produit le 5 septembre :

Une petite chatte, sans être remarquée, avait suivi les expérimentateurs dans la pièce des séances. Elle sauta sur mes genoux, et s’y arrêta pendant une demi-heure environ. Pendant ce temps, se produisirent quelques phénomènes : une main enveloppée de drap ouvrit les rideaux, laissant Marte et Aischa exposées à la vue des assistants ; cette main, toujours plus ou moins drapée, se montra fréquemment. Voilà que tout à coup la chatte descend de mes genoux, court vers le cabinet, et saute sur les genoux de Marthe. Toutefois, son attention semblait attirée par quelque chose qui se trouvait à l’angle A du cabinet. Les assistants demandèrent « Qu’est-ce qu’elle regarde ? ». Une voix venant de ce coin répondit :  « elle me voit. ». Ces mots furent accompagnés par l’action, c'est-à-dire qu’une main couverte de draperies apparut et commença à jouer avec la chatte ; celle-ci se prêta au jeu en saisissant ferme la draperie. Mais tout à coup, la chatte laissa l’étoffe, se tourna vers l’angle B du cabinet en se comportant absolument comme si elle se trouvait en présence de quelque chose d’hostile : elle fit le gros dos et souffla. « Elle voir un autre chat », dit la voix à l’angle A, et en même temps un long miaou partie de l’angle B. La chatte sauta des genoux de Marthe, et revint dans le cercle se fixer sur les genoux de Paulette. Nous entendîmes deux fois encore le son miaou-miaou à l’angle B ; après quoi, tout à coup, une masse noire et sans forme apparut sur les genoux de Marthe. Elle y resta pendant deux minutes à peu près, puis elle disparut. Sa disparition fut remarquable, car elle sembla s’évanouir peu à peu, ce qui fait que je me demande si le phénomène a été une réalité ou une hallucination. Naturellement, le miaulement peut avoir été imité par Aischa, mais on peut se demander si une chatte, en ce cas, pouvait être trompée de façon à se mettre en colère. Il reste toujours à expliquer cette étrange masse sombre qui se montra sur les genoux de Marthe, avait justement les dimensions d’un gros chat noir, et qui apparut et disparut de nouveau d’une manière si étrange, sans aucun mouvement apparent de la part de Marthe et d’Aischa.

Les phénomènes dont parle le professeur Richet aux pages 655-656 se produisirent à trois reprises différentes avant son arrivée à Alger : Une masse lumineuse sembla se former sur le parquet (devant le rideau), se développa rapidement en une ligne verticale ; jusqu’à prendre les proportions d’une haute figure drapée ; qui semblait avoir plaisir à descendre et à disparaître aussi rapidement qu’elle avait apparu. Mais la descente et la disparition furent absolument silencieuses, alors que, dans la circonstance dont le professeur Richet s’est occupé, elles furent accompagnées par du bruit.

J’ai vu plusieurs fois B.B. saisir une des mains de Marthe et la serrer ; il me parut généralement dans ces occasions, que sa main était comme sans vie ; et que la manche de son vêtement était presque vide ; tellement la main semblait tomber inerte. A ce propos, l’épisode suivant peut avoir un certain intérêt à cause de l’intelligence qu’il prouve de la part du fantôme : durant l’expérimentation photographique du 31 août, avant qu’on allumât la première déflagration du magnésium, B.B. se tint un peu devant Marthe, B.B. demanda si sa position nous convenait, expliquant qu’il devait cacher les yeux de Marthe, laquelle pouvait souffrir de l’éblouissement de l’éclair.

On fit remarquer à B.B. qu’il était essentiel que Marthe fût reproduite sur le même négatif que lui ; alors, il quitta le bras gauche de Marthe, et plaçant la main de celle-ci autour du cou d’Aischa, il demanda si cela pouvait suffire, en répétant qu’il fallait cacher les yeux de Marthe – et on peut voir sur la photographie que cela a été fait réellement (fig. III). Quand il quitta le bras de Marthe, je fus frappée par l’apparence vide de la manche, et j’avoue qu’une crainte nerveuse et inaccoutumée me saisit tout à coup en me demandant si cette manche paraissant vide n’allait pas être mise en avant par quelqu’un comme une preuve de fraude. Je reconnais là que c’était un sentiment très anti-scientifique, mais je l’ai rappelé pour montrer combien j’avais été impressionnée par cette apparence de vide.

La photographie dont il s’agit (fig. III) ne montre pas le bras et la main droite de Marthe, mais, quelques instants avant l’éclair, je vis parfaitement Marthe tenir la main en question sur son visage, comme pour protéger ses yeux. En effet, l’une des positions favorites de Marthe était de rester assise ainsi, avec sa main droite sur sa tête.

Je ne parviens pas à comprendre comment Marthe et B.B. pourraient être une seule ou même personne, malgré la forte ressemblance qu’il y a entre les deux, ressemblance qui augmentait chaque fois que Marthe se trouvait seule dans le cabinet, sans Aischa ou Ninon. Je me suis rarement éloignée des côtés de Marthe, pendant au moins une heure avant ou après la séance. Si elle cachait un mannequin sur sa personne avec les autres objets nécessaires, il est difficile, sinon impossible, de comprendre comment elle s’y prenait. Elle m’a accompagnée en de longues promenades, parfois immédiatement après la séance, en gravissant des collines avec agilité ; j’ai toujours, dans le cabinet, senti des vêtements saturés de sueur ; son jupon, de mousseline légère ou de cachemire ; s’attachant derrière la taille et adhérant strictement au corps ; n’était jamais en désordre ; par une agrafe n’était décrochée, etc., comme il serait arrivé si elle se fût arrangée pour mettre un mannequin à sa place.

Enfin, pour ce qui est de mon expérience et de ma conviction personnelle, il était matériellement impossible qu’elle ait joué le rôle de B.B., en laissant à sa place un mannequin habillé de ses vêtements, puisqu’il est arrivé, non pas une, mais plusieurs fois, qu’on pouvait voir B.B. ou bien une main couverte de draperies, immédiatement avant mon entrée dans le cabinet, ou immédiatement après ma sortie ; par exemple, lorsque le 3 septembre, le rideau s’ouvrit ; Marthe et Aischa se trouvèrent entièrement visibles pour les assistants et de la draperie blanche a été vue des deux côtés du rideau ; en même temps. Dans cette circonstance, j’ai été appelée dans le cabinet pendant que cette draperie était visible. Pourtant, lorsque j’y entrai, on n’y voyait personne, et Marthe et Aischa n’avaient pas bougé ; l’apparition devait donc s’être évanouie d’une manière anormale, à ce que l’on peut en juger.


LES SEANCES DE MATERIALISATION DE LA VILLA CARMEN

Les comptes rendus de deux autres expérimentateurs[7]

Récit de M. X…

Monsieur le Directeur,

Je vous envoie mes observations sur les phénomènes de matérialisation qui se sont produits pendant plusieurs séances auxquelles il m’a été donné d’assister à diverse époques, au cours des quatre dernières années, chez le général et Mme Noël, villa Carmen, à Alger.

Je ne parlerai que des faits qui, par certaines particularités, ou à cause des conditions dans lesquelles ils se sont produits, tendent à donner la preuve de la réalité ; de l’objectivité du phénomène, la preuve que : 1° le fantôme (complet ou non) est un objet distinct du médium ; 2° qu’il présente certains des signes et des attributs de la vie, bien que n’étant pas un être vivant normal.

Les premières séances auxquelles j’ai pris part ont eu lieu en avril 1902. A cette époque, l’unique médium, était Mme Vincente G…, qui venait régulièrement comme couturière à la villa Carmen ; elle n’était nullement médium professionnel et n’exerçait qu’auprès de Mme Noël les facultés que cette dame avait découvertes et très probablement développées en elle. Les dispositions de la salle des séances et du « cabinet », fermé par un double rideau dans un angle de la pièce, étaient exactement les mêmes que celles que M. Ch. Richet a indiquées pour les séances d’août 1905. Les assistants, au nombre de cinq ou six, en moyenne, et qui n’ont pas toujours été les mêmes, s’asseyaient aussi autour de la table placée à un mètre à peine des rideaux, en laissant libre la région située devant le cabinet.

Les séances débutaient régulièrement par une « préparation » du médium, qui, assis dans le cabinet, était mis en état de sommeil hypnotique par Mme Noël. Les rideaux étaient ensuite fermés sur le médium, et l’on attendait la production des phénomènes.

L’éclairage était toujours donné par une lanterne à bougie fermée devant par un verre rouge. Enfin, je me suis toujours assuré avant le début de chaque séance que personne n’était caché dans la pièce (cabinet compris). D’ailleurs, l’éclairage étant suffisant et constant, une personne n’aurait pu pénétrer, sans être vue, dans le cabinet, par la face avant, constituée par les rideaux, ou par la face supérieure, tendue d’étoffe de façon permanente et distante du plafond d’environ un mère ; d’autre part, nulle trappe, nulle ouverture ne pouvaient permettre l’accès du cabinet par le bas, (écurie-remise) ou par les deux murs du pavillon.

Séance du 5 avril 1902. – Une forme est sortie complètement du cabinet, par l’ouverture des rideaux, et y est rentrée, à plusieurs reprises. A aucun moment je n’ai vu le médium depuis l’instant où l’on a fermé les rideaux sur lui jusqu’à la fin de la séance, lorsqu’on les a ouverts pour le « réveiller ». Tel est l’aspect général de la séance, qui semble ainsi n’avoir aucune signification ; mais, comme j’ai pu, dans les séances ultérieures dont je parlerai plus loin, voir le fantôme à côté du même médium, les observations que j’ai pu faire dans cette première séance et dans la suivante prennent de ce fait une réelle importance.

L’aspect du fantôme est le suivant : Apparence d’un être humain de haute taille (1m80 environ, mais la hauteur semble parfois diminuer d’une dizaine de centimètres pour revenir ensuite à sa valeur primitive), revêtu d’un vêtement complètement blanc, qui semble à certains moments légèrement lumineux par lui-même ; ce vêtement à la forme d’une ample robe tombant droit des épaules jusqu’au sol ; les manches ne se détachent pas sur la masse blanche de la robe ; on ne distingue ni bras, ni main ; le visage seul est découvert et se détache bien sur le fond de l’étoffe qui entoure le haut de la tête comme un turban et retombe de chaque côté de la figure de façon à l’encadrer complètement comme on le voit sur la photographie qui a été prise le mois précédent : les yeux et le nez sont bien visibles, mais la bouche et le bas du visage sont cachés par une moustache et une barbe noires : la barbe est épaisse et très longue dès sa naissance, à la hauteur des yeux.

Voici maintenant les faits présentant un intérêt spécial :

1° Le déplacement horizontal du fantôme est excessivement lent et sans saccade ; il donne l’impression du glissement et non de la marche ; à certains moments ce déplacement semble s’effectuer avec difficulté, le fantôme paraît vaciller, chanceler, et même être rappelé en arrière comme s’il devait, pour avancer, vaincre une force l’attirant dans la direction de l’endroit où doit se trouver le médium, si celui-ci n’a pas bougé de son siège.

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2° A un moment donné, le bras gauche du fantôme se détache lentement de la masse blanche des draperies ; il s’élève et s’arrête à la position horizontale (fig. 1). Le bras est sensiblement plus court qu’il ne devait être, en se rapportant à la stature du fantôme ; il s’arrête à peu près là ou devrait être le poignet. Comme l’étoffe de la manche recouvre complètement l’extrémité du bras et pend sur une longueur de 20 à 30 centimètres, il est permis de supposer que, s’il y a sous l’étoffe une main au bout du bras, cette main est repliée à angle droit sur l’avant bras, les doigts dirigés vers le sol ; mais, en rapprochant cette observation des impressions à la fois visuelles et tactiles que j’ai ressenties à la séance du surlendemain, l’existence de la main au bout du bras devient beaucoup plus douteuse. Quoi qu’il en soit, on ne voit rien de cette main, alors que le bras est presque entièrement visible par transparence sous l’étoffe de la manche, qui paraît très légère ; de plus, ce bras est d’une couleur très sombre, brun noirâtre, et il a, à peu près, la grosseur de sa charpente osseuse.

J’ajouterai que le fantôme rentre toujours dans le cabinet « à reculons », se tenant toujours face aux assistants.

La séance est levée, lorsque le médium, jusque là silencieux, commence à gémir et à prononcer des paroles incohérentes.

Séance du 7 avril 1902 – Très bon éclairage de la salle.

Je n’ai pas encore vu le médium au cours de cette séance. Le fantôme ne sort du cabinet qu’après 20 ou 25 minutes d’attente ; il a le même aspect qu’à la première séance.

Faits intéressants à noter :

1° Une fois avant de disparaître dans le cabinet, le fantôme se tourne vers la droite et écarte le rideau de droite en le repoussant avec son bras et en s’effaçant, comme pour permettre de voir le médium ou pour laisser sortir quelqu’un du cabinet (fig. 2). De l’endroit où je suis placé, je ne vois que le fond obscur du cabinet, le médium devant se trouver dans le coin de droite et, par la suite, caché par le rideau. Mais ce fait me permet de constater que, du haut en bas, les dimensions du fantôme dans le ses antéropostérieurs sont normales.

2° Mme Noël, près de qui se tient le fantôme, tend la main à celui-ci, qui la prend lentement en inclinant le buste. Je puis alors, en me penchant en avant, bien observer le bras du fantôme qui se trouve à 80 centimètres environ de moi : la main est toujours invisible sous l’extrémité de la manche qui affecte la forme dite pagode ; la partie pendante du tissu ( ?) se termine en pointe, comme une stalactite, mais sa longueur varie continuellement, comme si, étant faite d’une substance élastique, une traction verticale intermittente était exercée sur elle par une cause invisible. La réalité de ce changement d’aspect de l’étoffe pendant librement est confirmée pour moi par le toucher quelques instants plus tard, car on me permet d’essayer de toucher la main du fantôme qui tend alors le bras (gauche) vers moi. Je me lève, j’avance la main droite et je saisis l’extrémité de la partie tombante de la manche que je regarde attentivement de très prés ; c’est un tissu parfaitement blanc, ressemblant à de la mousseline ; je le garde serré dans ma main pendant une demi minute environ, et je sens que sa consistance, ou, plus exactement, l’épaisseur, le nombre de replis que je tiens semble varier à chaque instant, ce qui corrobore l’impression visuelle mentionnée plus haut ; de plus, j’éprouve à la surface des doigts une sensation de frôlement léger comparable à celle qu’on ressent en enfonçant la main dans une toile d’araignée un peu épaisse, et je perçois aussi des picotements semblables à ceux que donne le contact d’un corps traversé par un faible courant électrique. Cet ensemble de sensations me donne l’impression que ce que je tines n’est pas une draperie ordinaire, de la matière normalement ou complètement constituée, à un état stable ; je ne puis m’empêcher de penser que la cohésion est bouleversée ou combattue par une cause inconnue au sein de cette substance ; les sensations tactiles qu’elle produit ne sont pas celles que donnerait un tissu ordinaire quelconque, mousseline ou autre.

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Je cherche maintenant à toucher la main ou le bras du fantôme. Pour ce faire, je vais monter ma main le long de l’étoffe en gardant son contact, puis je l’avance dans l’intérieur de la manche aussi loin que je peux en me penchant au dessus de la table qui me sépare du fantôme. A en juger par la distance que la main a ainsi parcourue, je devrais toucher le bras ou la main, ou, tout au moins, le bout des doigts du fantôme ; mais mes doigts ne rencontrent aucun corps dur. J’abandonne alors la manche et je reprends ma place.

3° Le fantôme étant encore hors du cabinet, et quelqu’un ayant manifesté le regret qu’il ne parlât pas, j’entends presque aussitôt le bruit d’un souffle régulier et puissant produit par le fantôme ; ce souffle se continue d’un seul jet, d’une seule expiration (plutôt qu’aspiration), pendant une durée que j’évalue à 30 secondes au moins, sans arrêt pour « reprendre haleine », comme si la quantité d’air emmagasinée était énorme ou se renouvelait constamment. Un tel phénomène me semble tout à fait inimitable par un être humain ordinaire, surtout par le médium dont la constitution n’est pas très forte. Le bruit produit est comparable à celui d’une puissante soufflerie. Ensuite le fantôme apparemment avec effort, émet trois petits cris inarticulés semblables à ceux d’une enfant au berceau.

Jusqu’à présent, rien ne saurait prouver de façon absolue que le fantôme n’est pas le médium transformé, masqué, etc…, et jouant un rôle bien difficile, il est vrai, si l’on réfléchit à certains détails des faits rapportés plus haut. Mais la séance suivant (qui eut lieu un an après les deux premières), change totalement d’aspect et va donner plus de force aux faits précédents, car le fantôme et le médium sont alors vus simultanément.

Séance du 16 avril 1903. – Une première fois le fantôme se montre sur le seuil du cabinet, les rideaux étant suffisamment écartés pour laisser voir le médium, toujours endormi sur son siège. Les rideaux se referment, et l’on augmente l’éclairage en mettant à la lanterne un verre rouge plus clair. Dans ces excellentes conditions d’éclairage, le fantôme ouvre de nouveau les rideaux ou plus exactement, les rideaux s’écartent cette fois presque complètement, en courant sur les tringles du haut, de façon à laisser voir tout l’intérieur du cabinet. Je vois de façon parfaite : à droite, le médium assis, la tête légèrement inclinée, les deux bras reposant naturellement sur son corps, les deux mains se détachant nettement sur sa robe ; et, à gauche, le fantôme debout, complètement séparé du médium par un espace de 20 centimètres au moins. L’aspect du vêtement du fantôme est toujours le même, mais le visage est recouvert par les voiles qui le cachent complètement. Au bout de quelques instants, le médium, sans ouvrir les yeux, se lève, en gémissant et en toussant de temps à autre, reste 10 ou 15 secondes debout à côté du fantôme, puis retombe subitement sur son siège, comme une masse inerte et avec bruit. D’autre part, à un moment où le médium était immobile, je vois sortir de la draperie du fantôme, à la hauteur de la ceinture, remuer pendant quelques secondes, puis rentrer de nouveau dans la draperie quelque chose comme un bout de bras, une sorte de moignon, recouvert de tissu blanc et long d’une vingtaine de centimètre. Ce fait vient à point pour montrer que le fantôme, qui est absolument distinct du médium, n’est pas une simple charpente inanimée recouverte d’étoffe et de voiles.

J’ai assisté à de nouvelles séances en mai, juin et juillet 1905. Mme Vincente G…n’était plus là : le ou les médiums étaient les personnes grâce à qui M. Charles Richet a pu voir et enregistrer photographiquement les phénomènes d’août 1905. J’ai vu, au cours de ces dernières séances, des faits probants, à côté d’autres qui l’étaient moins. J’ai, en particulier, entendu parler le fantôme (que je voyais bien) d’une voix non timbrée, il est vrai, mais assez forte (l’articulation des syllabes et des mots s’ajoute ici à l’émission du souffle entendu en 1902, c’est un acheminement vers la parole claire et timbrée). Mais ces séances ont été certainement moins bonnes que celles au cours desquelles M. Richet a expérimenté, et je ne trouve pas, dans les faits que j’y ai notés, de particularités nouvelles ayant beaucoup de force en vue de la démonstration des deux points qu’il s’agit de mettre en lumière. Je préfère revenir sur les faits saillants pris dans les trois séances que j’ai décrites en partie, et examiner un peu leur valeur au point de vue critique.

L’hypothèse de la fraude exercée par des personnes autres que le médium est la première à envisager (il ne saurait s’agir, bien entendu, d’une complicité quelconque de la part de quelqu’un des assistants). Cette hypothèse était aussi inadmissible, il y a trois et quatre ans, que l’année dernière : j’ai toujours retrouvé la salle des séances et le cabinet identiques ; lorsque la porte est fermée à clef, il n’existe aucun moyen de pénétrer dans la pièce dont les deux fenêtres sont condamnées d’une façon parfaite ; d’autre part, j’ai la certitude absolue que personne n’était caché dans la salle et le cabinet au début de chaque séance ; qu’il n’y avait aucune autre personne que les assistants et le médium.

Reste l’hypothèse de la fraude exercée par le médium. Je puis dire de Mme Vincente G… qu’elle était d’un tempérament très calme ; qu’elle n’éprouvait pour les séances auxquelles elle prenait part comme médium, qu’un attrait médiocre, qu’elle ne retirait aucun avantage, mais une fatigue évidente, du rôle qu’elle remplissait par pure complaisance. Mais tout cela n’a qu’un intérêt documentaire. La question est la suivante : Le médium a t il pu jouer lui même le rôle de fantôme ou le faire jouer par un mannequin ?

Prenons d’abord la dernière séance, où le fantôme et le médium sont vus à côté l’un de l’autre. Le médium étant parfaitement reconnu, on ne peut supposer qu’une chose, c’est que le fantôme est un mannequin, et que le médium avait apporté, en les cachant sur lui, tous les matériaux nécessaires à la confection de ce mannequin : d’abord une assez grande quantité de draperies, puis l’appareil destiné à faire la charpente, soit, en le réduisant à sa plus simple expression : une tige de la hauteur du fantôme portant à une extrémité un épanouissement pour dessiner la tête, et à l’autre un socle ou des pieds par lesquels l’ensemble reposera sur le sol (car l’appareil ne pouvait être tenu par le médium dont tout le corps, la tête et les mains étaient bien visibles et nettement séparés du fantôme). On peut facilement imaginer un tel appareil dont l’encombrement serait réduit en supposant la tige composée de plusieurs tronçons pouvant se télescoper, et le reste de l’appareil repliable sur cette tige (certains pieds d’appareils photographiques pourraient encore assez bien remplir ce rôle). Le fantôme, draperie comprise, pourrait ainsi tenir dans une poche de dimensions moyennes. Mais, pendant quelques instants, une sorte de bras s’est détachée de la masse fantômale, et a bien remué, puis a disparu, et cela à un moment où le médium était immobile, les deux mains bien en vue. Ce petit fait complique étrangement la solution du problème avec un appareil apporté et disposé par le médium ; il faudrait alors ajouter à l’appareil fantôme un système de leviers mus par un mouvement d’horlogerie, etc. ; l’appareil devient alors compliqué, encombrant, coûteux : c’est parfaitement invraisemblable dans le cas qui nous occupe. Le visage et la bouche du médium étant bien vus pendant cette apparition du bras, on ne peut songer non plus à l’expliquer par un petit ballon en baudruche en forme allongée fixé à la draperie, gonflé au moment voulu par le médium au moyen d’une tube de caoutchouc, et se dégonflant ensuite.

Prenons maintenant les deux premières séances où le fantôme seul est vu, à l’extérieur du cabinet dont il s’éloigne quelquefois jusqu’à plus de 2 mètres. La seule supposition que l’on puisse faire est que le fantôme est tout simplement le médium déguisé, avec une fausse barbe. J’ai relaté plus haut certains détails, certaines particularités de l’aspect du fantôme, de ses faits et gestes, qui rendent cette hypothèse bien peu probable, sinon inacceptable.

Il n’y a pas lieu d’insister sur la difficulté que le fantôme semble éprouver pour s’éloigner du cabinet (lenteur, vacillation, rappels en arrière) , ; tout cela peut être imité facilement. Mais comment expliquer ce bras sensiblement trop court, beaucoup trop mince, d’une couleur si sombre, vu par transparence à travers le tissu très fin de la manche ? Si ce bras s’était trouvé entre moi et la lanterne éclairant la salle, il eut été normal qu’il se détachât en noir sur un fond éclairé ; mais, en regardant le fantôme, j’avais la lanterne à gauche et derrière moi ; dès lors, puisque le tissu était assez fin pour laisser voir le bras par transparence, celui ci, éclairé directement, devait paraître avec la couleur de l’épiderme, comme le visage et même plus clair à cause de la mince couche de tissu blanc qui le recouvrait ?

Pourquoi n’ai je pas vu la main au bout du bras étendu, à la première séance, et pourquoi n’ai je pas pu la toucher à la seconde, le surlendemain ?

Pourquoi ces impression bizarres données par le contact du tissu de la manche, lorsque je l’ai tenu dans ma main, et pourquoi la partie tombante de cette manche subissait elle ces allongements et ces raccourcissements successifs ? Comment le médium arriverait il, s’il était vraiment là, jouant le fantôme, à produire toutes ces choses sous mes yeux, jusque dans ma main ?

Et comment Mme Vincente G…, telle que je la connais, arriverait elle à soutenir pendant plus d’une demi minute ce souffle puissant, alors que moi même je ne pourrais produire le même phénomène d’expiration, à peine aussi for que pendant 4 ou 5 secondes ?

Tout cela me semble bien difficilement imitable surtout par les moyens sommaires dont pourrait disposer le médium, en supposant un moment qu’il voulût employer la supercherie. Tout cela me semble bien anormal, ou plutôt supra normal.

Je sais bien que sur une scène, en utilisant tous les trucs de la prestidigitation et toutes les ressources scientifiques et industrielles, avec de l’habileté et des appareils perfectionnés, une personne jouant le rôle de fantôme pourrait sans doute imiter assez fidèlement tout ce dont il a été question. Mais il n’y a pas à songer à cela ici : pas plus qu’à un fantôme mécanique autonome ou « commandé à distance ».

Comme conclusion, je vous dirai que, m’appuyant sur l’ensemble des observations faites au cours des trois séances dont je me suis occupé dans cette lettre, et au cours de plusieurs autres, observations auxquelles viennent s’ajouter d’autres éléments de preuve et surtout les photographies du fantôme, d’abord seul (mars 1902), puis à côté du médium (août 1905), je suis absolument convaincu que le fantôme est un être distinct et indépendant (jusqu’à un certain point) du médium, un être qui possède les apparences et certains des attributs de la vie.

Récit de M. Y.

Séance du 11 septembre 1902. - Je m’établis dans le cabinet une heure avant la séance pour disposer un appareil photographique (qui ne devait d’ailleurs pas servir) et ses accessoires, aidé de Vincente, qui va dans la maison[8] chercher ce dont j’ai besoin. Je vérifie pendant ce temps soigneusement le cabinet et les meubles : rien d’anormal. J’ai l’assurance que personne ne peut y être caché. Je cause avec Vincente qui est gaie, de très bonne humeur ; elle a un caractère doux et serviable. Elle me parle de la Générale qui est très bonne pour elle, mais elle trouve qu’elle s’occupe trop de spiritisme ; qu’elle ne parle que de cela, et qu’elle a tort de ne pas penser à autre chose. Je lui parle alors de son extraordinaire pouvoir : elle me répond simplement, sans avoir l’air de se douter de l’importance d’un pareil fait, disant qu’elle ne sait que ce qu’on lui raconte, qu’elle n’a conscience de rien pendant les séances ; qu’elle s’endort rapidement quand la générale la magnétise, et qu’au réveil elle est tout étonné de se trouver là.

Elle me confirme qu’une fois, à Cherchell, elle a vu B.B. qui lui a soufflé sa bougie trois fois, et lui a dit que sa fille alors à Alger, était malade (elle avait, en effet, souffert d’une légère indigestion) ; en outre, à Alger, en état de veille, elle l’a vu plusieurs fois.

Ce fait ne semble pas occuper autrement son esprit ; elle est active et désire continuellement s’occuper, pensant constamment à son ménager, à ses petites affaires.

Je la photographie au magnésium dans le cabinet, en attendant l’heure de la séance. Je relève ensuite devant elle, elle est impatiente de voir son image qui vient rapidement ; mais la tête a bougé. Je lui promets de recommencer au grand jour.

Sur ces entrefaites arrivent Mme K… et Mme S.P… Vincente va dans la villa trouver Mme Noël qui l’appelle, et je rentre dans le pavillon avec ces deux dames.

Bientôt arrivent le général, Mme Noël, Luisa et Vincente[9] .

Cette dernière, assise dans le cabinet, est endormie rapidement ; on note l’heure, 4.h11 minutes, la durée de la magnétisation devant être d’une demi heure. On allume le gaz ; la porte reste ouverte. On voit le moindre recoin de la pièce que je visite de nouveau minutieusement.

L’armoire ouverte devant moi est pleine de drap et de linge. Une auge (qui occupe un coin et où un homme ne pourrait se loger) est recouverte d’une lourde planche sur laquelle sont mes clichés et bains photographiques. La baignoire, dans un autre angle, est recouverte d’une toile verte (je vérifie qu’il n’y a personne dedans). Les fenêtres sont condamnées et masquées par des tentures derrière lesquelles un homme pourrait se dissimuler. Je vérifie que personne ne s’y cache.

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Dans le cabinet, les murailles sont lisses et unies (peintes en vert sombre). Vues au grand jour, il est impossible d’y supposer une cachette. Le plancher recouvert d’un tapis ne résonne pas quand je saute ; c’est d’ailleurs un parquet dallé qui donne en dessous sur une remise dont le plafond en petites voûtes (briques et traverses en fer) est soigneusement peint à la chaux, et immaculé. Il est à 3 m 50 au moins du sol de la remise. L’angle du pavillon qui sert de cabinet est donc parfaitement isolé. A 2 mètres du sol du cabinet, on a installé un plafond constitué par des planches et une toile verte. Le plafond du pavillon ne présente rien d’anormal. Le toit est disposé en terrasse, mais on ne peut s’y rendre par aucun escalier, et à 50 centimètres du toit, est disposé un treillis de bois vert pour préserver à l’intérieur des grandes chaleurs. – Le cabinet est fermé par d’épais rideaux qui peuvent glisser sur tringle.

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Sous l’influence des passes, Vincente s’endort de plus en plus profondément ; sa tête s’incline peu à peu, et bientôt touche ses genoux ; elle reste ainsi quelque temps, puis se redresse et prend la position primitive : assiste dans le fauteuil le dos contre le dossier ; raide. La demi heure passée, on tire les rideaux, on ferme la porte à clé, le général dispose la lanterne rouge au dessus de la porte. Nous prenons place autour de la table comme l’indique le schéma. Mon appareil photographique est braqué, avec sa bonnette de 2 mètres, sur Mme Noël qui est juste à distance (il ne servira d’ailleurs pas). Le général éteint le gaz et vient prendre place.

Je constate qu’on y voit très mal. J’ai peine à distinguer les traits de ma voisine Luisa, dont la tête me cache en partie les rideaux du cabinet. La lumière de la lanterne est surtout projetée sur la partie de la muraille entre la fenêtre A et le cabinet. On s’habitue à l’obscurité au bout de quelques temps ; mais néanmoins l’éclairage me semble bien faible.

Au bout d’un quart d’heure, nous voyons dans le carré formé par les rideaux, carré de couleur homogène jusqu’alors, une fente noire due à l’ouverture des rideaux. En même temps, j’entends un froissement caractéristique d’étoffe de soir partant du cabinet : Vincente ne porte naturellement point de soie ; elle était vêtue d’une robe de coton rayée gris et blanc, et portait un grand col blanc empesé, rabattu sur une cravate en satin bleu clair formant un grand nœud.

Au même instant, la générale déclare qu’elle voit B.B. J’aperçois dans la fente noire un raie blanche qui va jusqu’au haut des rideaux, et bientôt cette raie augmente, les rideaux s’écartent davantage, sans bruit, et je me trouve en présence d’un grand personnage drapé dont je ne puis distinguer que vaguement les contours ; le haut du corps, la tête en particulier est invisible ; c’est une masse drapée, je vois les plis de l’étoffe, mais je ne puis distinguer davantage. L’étoffe est très blanche, mais ne paraît pas plus éclairée que ne le comporte la faible lanterne. En comparant avec la robe de la générale, on constate le même degré d’éclairement.

A cette apparition, la générale et Mme S. P. encouragent B.B. à s’approcher ; il fait de faibles mouvements en avant et en arrière, sort un peu plus, puis finalement disparaît de nouveau derrière les rideaux qui se referment sans bruit. Trois fois, le même phénomène se produit avant que je puisse distinguer davantage.

Il m’est impossible d’assurer que ce n’est pas Vincente drapée, que je vois là, à part l’impossibilité de supposer cachée sur elle ou dans le cabinet une pareille quantité d’étoffe.

A chaque apparition, B.B. est salué par des cris d’encouragement de ces dames, la générale surtout qui lui crie en badinant : « approchez, cher guide, n’ayez pas peur, soyez sans aucune crainte ! » Et, se rappelant une particularité de la dernière séance, elle s’écrie : »Mais par exemple, ne venez pas comme la dernière fois avec nos pieds de bouc, vous m’avez fait trop peur ! » Ceci se rapporte à ce fait que cette dernière fois, B.B., dont on voit rarement (jamais même) les pieds, qui sont cachés par la draperie, était venu avec la robe non entièrement descendue jusqu’en bas, ce qui avait permis de voir deux bâtons noirâtres lui tenant lieu de jambes, et sans pieds, ou presque sans pieds.

Nous restons ensuite un bon moment sans rien voir, puis le rideau est ouvert brusquement, on entend le bruit des anneaux sur les tringles, et l’on voit Vincente endormie sur le fauteuil. On attend encore un instant, puis soudain le médium se lève, se rassied, se relève, semble mécontent, et, par mouvements saccadés en avant et en arrière, véritable automate raidi qu’on s’attend à voir tomber, elle réussit à prendre une chaise et à la porter sous la lanterne rouge. De même, après des efforts nombreux, elle réussit à monter sur la chaise et à orienter la lanterne de façon à éclairer beaucoup mieux la table et le cabinet ; elle soulève légèrement la mèche, et mes yeux qui ne la quittent pas voient sa main agitée d’un fort tremblement réussir néanmoins à manier la clé de la lampe pour donner plus de lumière (cette lanterne est à pétrole et à trois faces en verre rouge).

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Elle descend ensuite, et revient toujours par mouvements saccadés au cabinet. Elle ressort bientôt, comme à contre cœur, va prendre la chaise qu’elle avait déplacée et la remet à son ancienne place. Elle reprend ensuite sa position assise, et nous voyons le rideau, Vincente ne faisant aucun mouvement, se refermer lentement de façon à la cacher à nos yeux d’une quantité C D.

On entend alors une voix, différente de celle de Vincente, qui semble lui chuchoter à l’oreille ; elle répond quelques mots, et on la voit sortir et venir à la table où elle s’efforce en vain de parler. Elle paraît chercher ; puis, faisant le geste de quelqu’un qui a oublié ce qu’elle allait dire, elle retourne derrière le pan du rideau. Là, on entend de nouveau une voix qui lui parle, en la grondant : cette voix dit fortement le mot : sens, ou séance. Vincente se précipite hors du cabinet et joyeuse nous dit : « séance ! » puis elle repart : Nouvelle conversation : elle revient un moment après « Séance samedi 4 heures ».

Elle va alors se rasseoir, on n’attend plus grand chose ; peu après, en effet, on entend la vraie voix du médium s’écriant « Madame ! Madame ! Il y a le feu ! » C’est souvent ainsi que se terminent les séances, le générale dit de faire la lumière. Je craque une allumette, et me précipite vers le cabinet, pendant que le général ouvre la porte. J’ouvre le rideaux en grand, et je trouve le médium à demi réveillé, disant : « Mes cheveux brûlent ». On la rassure, elle reste hébétée pendant cinq minutes. Le teint est rose, la figure reposée. Tout le monde évacue la salle, sauf moi. La porte est ouverte à 5h45.

Séance du samedi 13 septembre. - En attendant l’heure de la séance, comme la porte du pavillon est fermée, je dispose mon appareil pour la photographie d’un groupe dans le jardin ; c’est Vincente qui est chargée d’ouvrir l’objectif ; elle est donc avec nous, et ne peur rien disposer dans le pavillon. La séance devrait avoir lieu à 4 heures, j’arrivai à 2 heures : le cabinet est fermé à clef et Vincente est au premier étage de la maison, en train de travailler. Après avoir photographié le groupe, je tire Vincente toute seule[10].

L’heure approche ; Mme Noël et Vincente entrent dans la chambre des séances suivies, quelque temps après, par le général, Mme K… , Mme S.P…, et moi même. Le gaz est allumé ; il fait donc grande lumière dans la salle, je passe mon inspection ; tout est normal. La médium s’endort peu à peu ; sa tête arrive bientôt à toucher ses genoux, reste cinq bonnes minutes en cette position, puis se redresse. Je fais mettre dans le cabinet un petit guéridon avec du papier blanc et un crayon. Durant une demi heure Mme Noël magnétise le médium par des passe longitudinales, très courtes, d’une main ou de deux, causant sans cesse avec nous de choses et d’autres (le premier sommeil est déterminé par fixation du regard ; quand la médium a la tête sur les genoux, les passes se font sur la nuque). Nous prenons place dans le même ordre qu’à la dernière séance, dès que la magnétisation est terminée. Le général ferme la porte à clef.

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Au bout d’un quart d’heure environ, je sens très vivement un souffle frais venant du cabinet me passer sur le doigt. Mme K… a la même impression, les jambes de Mme S.P., se prennent (sensation de froid), celles de Mme Noël aussi, et le rideau s’entrouvre laissant voir une fente noire, il y a plus de lumière que la veille. Je vois distinctement tous les traits de ma voisine de droite (Luisa) quand elle se tourne vers moi. Je distingue la masse homogène, le carré des rideaux du cabinet, traversé par la bande noire qui vient d’y apparaître sans bruit, et sur ce carré, l’ombre portée de la tête de Mme Noël, qui s’agite. Soudain, comme jeudi, paraît dans la fente noire la blancheur (qui en prend toute la hauteur) de l’apparition ; peu à peu, cette bande blanche prend forme telle que le dessin ci contre. C’est le fantôme classique. Je distingue cette fois (ce que je n’avais pas vu la dernière) le rond noir du visage surmonté de blanc.

A la droite du fantôme je vois comme des phosphorescences ; le trait est impossible à fixer ; c’est vague est confus, avec des apparences de manches pendantes à certains moments. Au bas et à la droite de la robe, je vois l’ombre portée de la tête de Mme Noël, remuant, s’agitant, comme précédemment sur le rideau. L’apparition est saluée par les cris de tous ; on l’encourage à venir ; à s’approcher, mais peu à peu au contraire, elle disparaît. Elle revient de même 5 minutes après, une seconde fois, puis disparaît de nouveau.

On demande alors si elle trouve qu’il y a trop de lumière, et de montrer en ce cas le bras à l’ouverture des rideaux. On aperçoit vaguement du blanc, et sur l’ordre de Mme Noël, la lanterne est légèrement retournée comme elle l’était au début de la première séance.

Bientôt après (la première apparition a eu lieu 20 ou 25 minutes après le début) on entend remuer à l’intérieur du cabinet ; le même souffle frais est ressenti par ma voisine de gauche, Mme K…, je ne sens rien ; mais en élevant le doigt, je le sens bientôt dans le souffle qui passe évidemment au dessus de ma main pour aller du cabinet vers Mme K…

Aussitôt le souffle ressenti, on voit le rideau le soulever vers le coin D de façon à laisser voir l’intérieur du cabinet : d’habitude, il s’ouvre en glissant sur les tringles d’en haut ; aujourd’hui, il semble soulevé par un cordon (qui n’existe pas) et qui irait de B en C.

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J’aperçois alors dans l’encadrement ainsi forme la jupe quadrillée gris et noir de la médium et au dessus la blancheur de l’apparition.

Puis le rideau retombe.

Chacun alors demande qu’il recommence, puisqu’il semble vouloir se faire voir avec le médium, et qu’il recommence mieux.

Le rideau se soulève de nouveau par le même procédé, et j’entends alors Vincente toussoter légèrement comme pour signaler sa présence. Je distingue cette fois en outre de la jupe rayée, le col empesé, très blanc de Vincente, faisant tache à droite de l’apparition, dont je ne vois d’ailleurs pas la tête. Le croquis représente ce que j’ai vu.

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Puis le rideau retombe.

Vincente se lève, vient à la table, et comme la veille ne trouve plus ce qu’elle voulait nous dire. En plusieurs fois, elle finit par nous dire : « Séance lundi 4 heures. Bière, limonade. Je viendrai à la table. Je boirai. J’en porterai au médium. Puis je parfumerai tout le groupe. ».

Elle retourne ensuite aux rideaux, revient et dit : « je réveillerai le médium à la table. » Elle revient, en effet, va prendre une chaise, s’assied, la tête sur la table et une minute après, se relève et s’écrie : « La petite a crié » (sans doute sa fille). Elle est éveillée, nous allumons, elle a l’air légèrement étourdie.

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Lundi 15. Séance à 4 heures de l’après midi. - J’ai fait de la photographie dans le pavillon de 1h30 à 2h30. Puis j’ai causé avec Vincente qui était fort agitée et pleurait : elle avait entendu Mme Noël dire des choses désagréables à son égard et au sujet de sa fille. Furieuse, elle voulait partir, et elle m’assure qu’après son départ elle ne reviendra plus… Je la calme et lui parle spiritisme : c’est le dernier de ses soucis. Elle est tout occupée de son mari, de ses enfants, fils et fille, et me dépeint sa gêne : son marie (ulcère à l’estomac) peut à peine travailler, et n’en a pas pour longtemps ; elle ne cherche pas néanmoins à m’apitoyer sur sa misère, mais elle trouve que la conduite de la générale à son égard n’est pas ce qu’elle devrait être.

Elle ne semble pas avoir conscience de ses facultés médianiques, et n’en parle que quand je la provoque sur le sujet : elle me dit avoir vu, étant éveillée, quatre fois Bien Boa. Elle n’y attache que peu d’importance, et est incapable de retrouver le récit de la quatrième apparition. (La première fois, en revenant du théâtre, elle l’avait vu dans son escalier ; la deuxième, au pied du lit de sa fille ; la troisième, à Cherchell ; sa fille l’a vu une fois étant seule chez elle ; elle a poussé de tels cris que toute la maison est accourue.)

Elle revient alors sur ses démêlés avec Mme Noël ; elle l’a entendue apprécier très mal la demande qu’elle m’a faite de photographier sa fille et elle, et se refuse avec beaucoup de dignité à la faire venir demain. Elle va avoir une conciergerie et ne sera plus ouvreuse ; cela lui plait fort, mais elle regrette le théâtre. (Elle aura 30 francs par mois et le logement. Son mari, maçon, gagne, quand il peut travailler, 6 francs par jour. Mme Noël lui donne 2fr50 par jour de travail. Tout ceci pour montrer combien elle semble actuellement montée contre sa maîtresse, qu’elle n’a pas besoin d’elle pour vivre, et qu’en ces conditions, combien la fraude, dans le phénomène que j’ai vu et que je vais revoir tout à l’heure, ne pourrait venir de cette malheureuse dont la maigreur et les yeux creusés me font pitié.

L’heure de la séance arrive.

Après avoir de nouveau tout vérifié dans la chambre des séances, j’en ferme la porte et je remets la clef à Mme Noël qui pénètre avec le médium dans le cabinet. Vincente se plaignait d’un fort mal de tête ; elle s’endort rapidement bientôt après. Sa tête vient toucher ses genoux, puis se redresse.

Nous prenons place dans l’ordre habituel, le groupe composé des mêmes personnes que samedi.

Au bout de vingt minutes environ, l’apparition semble se former en 1. Le rideau étant en deux parties, la plus grande fermant entièrement le cabinet, par devant, je crois que B.B. a dû glisser entre les deux parties du rideau et, se montrer alors en a. Il reste là, grosse masse blanche, un petit moment, et vient peu à peu jusqu’au 2, en face de la table. Là, je le distingue mieux que d’habitude sans pourtant voir ses traits, sa coiffure me semble plus haute que samedi et je lui trouve une corpulence qu’il n’avait pas la dernière fois. Je vois tous les plis de son vêtement. Il lève le bras droit très, très lentement ; ce bras me paraît très long, et une fois levé dépasse de beaucoup le haut du cabinet ; il semble presque toucher le plafond. L’autre bras se soulève d’une certaine quantité, comme l’indique le dessin.

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Puis il abaisse le bras et s’incline comme pour saluer.

Il se relève et s’avance vers la Générale. Je vois distinctement le pli fait dans l’étoffe par une jambe, puis par l’autre. Il s’arrête en route, semblant me regarder ; je cesse de le fixer sur le conseil de Mme Noël ; l’effet est immédiat : il fait trois pas rapide et se trouve auprès d’elle. Je le vois alors auprès d’elle. Je le vois alors s’incliner lentement, la main droite avancée vers elle, saisir la sienne, et la porter doucement, lentement à ses lèvres ; elle me dit les sentir chaudes et bien formées. Je le vois alors de côté ; je vois son front blanc quant il est baissé ; mais je ne puis distinguer ni les yeux ni la barbe. Je vois les grands plus du voile, mais les mains restent invisibles. Il ne semble pas s’éclairer, aucune lueur particulière n’en émane. Après s’être redressé lentement, il vient de 3 en 4 tourné vers moi. Il tend le bras droit lentement dans ma direction, très lentement ; quand je le vois bien avancé, je me soulève sur ma chaise et je tends la main ; il recule alors franchement, et je ne saisis qu’un morceau de la manche. (La manche semble d’ailleurs n’être qu’une partie du voile qui l’enveloppe). C’est souple, léger, très mince et soyeux comme de la mousseline de soie. Pas de sensation de vibration en la touchant. Je sens qu’il tire à lui assez fortement cette étoffe que je tiens et je la lâche : il retourne alors à reculons dans le cabinet, et disparaît.

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Sur la table autour de laquelle nous étions étaient disposées des bouteilles de bière débouchées, des verres, et de la limonade dont on débouche une bouteille. Au bout de dix minutes, il revient ; il paraît cette fois en b et s’avance à pas comptés jusqu’à Mme Noël ; là, il tend le bras droit. Le Général s’empresse de verser de la limonade dans un verre ; Mme Noël en boit quelques gorgées, et le place dans la main de l’apparition qui le lève peu à peu ; je vois le verre monter doucement ; la main du Général l’aide jusqu’à mi hauteur (elle sentait la main retomber sans force si elle le lâchait).

A partir de là, la main monte encore plus lentement, et arrive enfin au visage dont je vois pas les lèvres. La tête se renverse légèrement en arrière. Il semble boire … Puis il montre le verre à mme Noël, qui me dit constater qu’il a bu un tiers environ du liquide. Je ne puis vérifier. Après cette constatation, il retourne assez vite, en marchant, au cabinet, et disparaît derrière le rideau tenant toujours le verre.

On entend Vincente gémir, toussoter, cracher comme quelqu’un qu’on forcerait à boire contre son gré. Puis il revient ; on sent bientôt une forte odeur de vin se répandre. Il tend le verre à Mme Noël qui le passe de main en main ; nul doute : c’est du vin rouge. On le goûte : c’est du vin rouge mêlé de limonade ! (A noter que dans la maison Noël il n’y a comme vin rouge que deux bouteilles d’échantillons que je constate, après la séance, cachetées et pleines. On me dit que chez Vincente on ne boit jamais de vin). Bien Boa disparaît de nouveau à reculons dans le cabinet.

On réclame le parfum promis samedi, Mme Noël surtout. Alors Vincente sort du cabinet, et au bout d’une série d’allées et venus, résistant, oubliant ce qu’elle venait de dire, retournant alors dans le cabinet où l’on entend un souffle rauque et puissant, finit, par bribes, à nous dire : Séance, mercredi 3 heures. Carmencita jamais contente. Donné parfum de buveurs, Parfum de boisson. » Elle retourne alors et après on entend : »Madame, que d’eau, que d’eau ! Je vais me noyer » avec la voix naturelle de Vincente, puis : « J’ai le mal de mer ». On se précipite, on allume le gaz, je frotte une allumette dans le cabinet. Vincente paraît, les cheveux défaits, les yeux hagards. On ouvre la porte dont la clef était restée à la serrure, en dedans, un mouchoir par dessus pour empêcher le jour de filtrer. Il est 7h10.

Séance du jeudi 18. - Je fais, avant la séance, les mêmes vérifications que d’habitude, le même groupe se constitue et dix minutes après l’entrée en séance. Les rideaux s’entrouvrent. Elle sort, s’avance peu à peu ; je distingue le mouvement des jambes. Elle s’approche de Mme Noël, et s’incline. Le bonnet me paraît plus haut que d’habitude ; il a une forme tronconique et le voile retombe de chaque côté du visage que je distingue mieux que d’ordinaire. Je vois la barbe noire épaisse, les traits du nez et les sourcils, mais pas les yeux. Sa main gauche se soulève alors lentement, et je distingue le bras maigre, à travers l’étoffe. Il prend de la main gauche la main que Mme Noël lui tend, et la porte à ses lèvres.

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Il se tourne alors de mon côté, recule doucement, la face vers la table, jusqu’aux rideaux, puis disparaît. Cinq minutes après, il reparaît de nouveau, les rideaux écartés, il semble vouloir avancer, légèrement courbé, mais on voit les cordons des rideaux qui passent devant sa coiffure et semblant l’arrêter. Des deux mains, il nous envoie des baisers, puis il disparaît. Vincente toussote légèrement : elle est enrhumée, et a toussé toutes les cinq minutes environ depuis qu’elle est endormie. On suppose que les cordons ont gêné Bien Boa, et Louisa va les couper avec son canif.

Deux minutes après, B.B. reparaît, s’avance cette fois assez rapidement vers Mme Noël, lui tend la main, saisit la sienne, et la base de nouveau, puis il s’avance vers moi en obliquant à gauche et me tend franchement la main gauche. Je distingue ses traits sans voir ses yeux, et je tends la main vers lui. Je sens d’abord l’étoffe finie déjà sentie, puis j’arrive jusqu’à la main, dont je sens les doigts raides, le pouce fermé, à travers l’étoffe. Il la retire à mon contact, j’écarte moi même la main, puis il me la présente de nouveau ; même sensation ; mais cette fois, je soulève la mousseline qui la couvre, je sens la peau raide et froide, comme celle d’un cadavre. Je fais courir mes doigts sur ce membre glacé. Je sens les doigts raides d’une petite main crispée et le poignet raidi. Je saisis alors cette main dans la mienne et je la secoue très doucement : je sens que le bras et l’avant bras participent au mouvement. Tout ce membre a la rigidité et la froideur cadavériques.

Il s’écarte alors un peu et tend la même main à Mme K… ma voisine de gauche, qui m’a dit après la séance avoir senti les doigts raides et glacés (1). Elle n’a pas remué le membre. (Mme Noël n’a jamais eu cette impression qui l’eût, dit elle rendue malade. A cette même séance, a senti sur sa main, pendant qu’il l’embrassait, les lèvres chaudes de Bien Boa ; Mme S.P…, qui, elle aussi, a été souvent embrassée, a eu les mêmes impressions, et les mains chaudes et agiles de B.B. ont souvent joué avec les cheveux de ces dames ; elles les ont ressenties sur leurs joues, et il les a toutes embrassées sur les lèvres.)

Après avoir donné sa main à Mme K…, B.B. se recule, lève d’un beau geste son bras gauche, très tendu, vers le ciel, semblant presque toucher le plafond du cabinet, puis il disparaît de nouveau.

Peu après, on entend Vincente gémir : « Oh ! Ici, ici ! » résister, puis le souffle très fort – plus fort que je ne l’ai jamais entendu – de B.B. ; Vincente finit par sortir, et aller prendre une chaise qu’elle entre dans le cabinet. Le rideau se soulève alors ; je vois B.B. assis dans le fauteuil, et le médium par devant ; je ne vois que sa jupe, mais Mme Noël et Mme S.P… me disent très bien voir le fantôme et le médium qui a été placé devant le cabinet de façon à toucher les rideaux. Puis les rideaux retombent, pour se relever cinq minutes après ; je vois alors Vincente entièrement, et un peu de blanc à sa gauche ; Mme Noël et S.P… s’écrient en même temps que Bien Boa est maintenant à gauche du médium ; puis les rideaux retombent.

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On entend alors le bruit d’une discussion entre Bien Boa et Vincente. « Non, je ne veux pas me lever, je ne veux pas » s’écrie Vincente. Puis c’est le souffle rauque, étrange qui se prolonge au delà de ce que pourrait produire un homme ordinaire, et une voix dont je ne puis distinguer les paroles qui cherche à la persuader. Puis ce souffle cesse. Deux minutes passent. Vincente gémit. On allume. La séance est terminée.

Séance du vendredi 19. - On entre en séance à 4h30 dans les mêmes conditions que d’habitude. On a mis cependant une chaise à côté du fauteuil où est assis le médium. A 5 heures, on éteint le gaz et on ferme la porte.

Bientôt après, on entend le souffle rauque de B.B. Le rideau se soulève après un certain bruit à l’intérieur ; et je distingue Vincente sur la chaise, je vois tous son corps, sa tête (sans reconnaître les traits), la blancheur de son col, ses mains. B.B. est debout à sa droite, un peu penché sur elle. Je ne vois pas les traits de B.B. mais je distingue bien sa coiffure et le noir du visage. Le médium agite la tête et tousse légèrement. Ils restent ainsi, les rideaux soulevés pendant cinquante secondes à une minute, puis le rideau retombe.

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Au bout d’un quart d’heure, on entend Vincente gémir ; la même lutte qu’hier recommence : le fantôme veut lui faire quelque chose qu’elle ne veut pas. Elle résiste : « Non, non ». Il semble insister : souffle rauque. Enfin, on entend remuer à l’intérieur du cabinet. Le rideau s’entrouvre au lieu de se soulever, et je vois d’abord sortir Vincente ; je ne distingue pas ses traits, mais je vois très bien toute sa forme : jupe, corsage, col, bras, visage et cheveux. Puis B.B. sort du cabinet, semblant la soutenir du bras droit, la dépassant de plus de la tête ; son bras gauche est levé et abrite son visage. Les rideaux se referment derrière lui, et ils restent là tous deux debout. Vincente soutenue par B.B. un peu penchée sur la droite, toussotant de temps à autre.

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(Vincente est très enrhumée, et, depuis le début de la séance, elle tousse beaucoup, quoique endormie. Il est à noter que B.B. semble la faire tousser chaque fois qu’il se montre avec elle comme pour bien monter leur indépendance).

Je vois le bras droit de Vicente pendre et s’agiter ; je distingue aussi son bras et sa main gauche. Ils restent là, nous espérons qu’ils vont se rapprocher de la table ; mais au bout d’un temps que j’évalue à près d’une minute, ils rentrent tous deux dans le cabinet.
Peu après, Vincente se réveille ; la séance est terminée.

Après ce compte rendu détaillé des séances, lequel a été écrit à la fin de chacune d’elles comme un procès verbal, sans s’occuper des répétitions et du décousu du style, il est utile d’insister sur certaines considérations qui n’ont été qu’indiquées au cours du récit ou qui n’y ont pas trouvé place.

Pendant mon séjour à Alger, je me suis particulièrement attaché à étudier le médium Vincente, et j’ai acquis la conviction absolue que tous les phénomènes qui supposeraient, en cas de fraude, une connaissance approfondie de la littérature spirite pour leur imitation avec les phénomènes analogues, et une machination compliquée, ne pouvaient en tous cas provenir d’une supercherie de la part de sa famille qui vit assez misérablement, son mari étant constamment malade.

Je me suis toujours efforcé de ne pas la perdre de vue avant les séances : j’ai eu toute la latitude à cet égard, et j’ai souvent passé l’heure qui précédait les séances à causer avec elle tout en surveillant d’un œil l’unique porte du pavillon d’expériences. Chose à remarquer, peu commune chez les médiums, elle n’avait alors aucune conscience de l’importance de ces phénomènes et subissait le sommeil comme une corvée peu fatigante pour ne pas déplaire à ses maîtres. Elle n’était pas payée pour cela et ne touchait que sa journée de travail d’ouvrière, Mme Noël préférant avec raison ne pas rétribuer spécialement ces fonctions nouvelles. J’ai presque toujours vu Vincente abandonner un travail de couture pour une séance de matérialisation, et reprendre, aussitôt après son réveil, une corvée quelconque de femme de chambre ou de cuisinière ; sa santé était loin d’en souffrir.

Les autres personnes du groupe, en dehors de Mme Noël et du général, n’en faisaient pas, à cette époque, partie constante, et le phénomène s’était produit en l’absence de l’un ou de l’autre, ou même en leur absence simultanée. Il semblait donc impossible de se trouver dans de meilleurs conditions de milieu ; toute supercherie ne paraissait pouvoir provenir que de personnes extérieures au groupe cherchant à s’amuser à ses dépens outre qu’une mystification durant depuis de longues années, en différentes villes, pour les divers phénomènes de ce genre obtenus dans la famille Noël, et depuis plus de huit mois (en septembre 1902) et près de quatre ans (en septembre 1905), pour la formation de B.B. est bien difficile a admettre, l’impossibilité de produire certains phénomènes physiques, semble, pour qui les a étudiés de près, le plus sur garant de leur réalité.

J’ai interrogé plusieurs personnes qui avaient, avant mon arrivée, assisté aux séances. L’une d’elle, M. S.O., m’a assuré avoir touché une des jambes du médium dans le cabinet pendant que B.B. était près de Mme Noël. Elle a vu le bras mince comme une canne, la figure à peine formée, les épaules plates, l’ensemble glissant au lieu de marcher. Cette personnes a, en outre, assisté à la formation de B.B. en dehors du cabinet sous la forme d’une boule blanche tourbillonnant, d’où sortait bientôt la tête, puis tout le corps. Elle l’a entendu parler et donner des conseils de morale.

En condensant les récits des différents spectateurs, on constate que le phénomène semble avoir suivi une progression remarquable ; une vague forme blanche donnant graduellement un être d’abord incomplet, raide, froid, aux membres minces, s’animant ensuite peu à peu jusqu’à la constitution normale d’un être vivant. La parole, d’abord un simple souffle, se transformant peu à peu en sons rauques incompréhensibles, et devient enfin normale après une longue série de séances.

Ma conviction intime, à la suite de ces séances ou l’amabilité de Mme Noël et du général m’avait laissé toute latitude de contrôle, était que je n’avais pas été trompé. Elle n’a pas varié depuis, et tous ceux qui ont étudié depuis cet étrange phénomène ont rapporté la même conviction.


LES POLEMIQUES AU SUJET DES SEANCES

DE LA VILLA CARMEN

Un journal d’Alger publiait dernièrement l’information suivante : Conférence du Docteur Z[11].

L’annonce d’une conférence sur Bien Boa, avec reproduction exacte des séances de la villa Carmen, avait incité les curieux de l’au-delà à venir en grand nombre à l’université populaire.

La réunion a commencé à 8h 1/2 par un exposé très bref du docteur Z… sur les nombreuses mystifications dont de tout temps ont été victimes le général et la générale Noël. Entre autres faits, celui ci extrêmement typique et d’autant plus intéressant que tous les acteurs sont encore à Alger :

Dans le numéro de janvier 1904 de la Revue Scientifique et morale du Spiritisme paraissait le procès verbal d’une expérience véritablement étonnante qui s’était produite à la villa Carmen. Ce procès verbal était authentiqué par le général, la générale, M. V…, employé à la banque d’Algérie ; M. H… propriétaire à Alger, et le docteur X…, fort connu dans le monde savant de notre ville. Voici le procès verbal dont il s’agit :

Le 18 décembre, nous, soussignés, constatons que nous avons vu M. Charles H…, sur l’invitation de la générale Noël, prendre le crayon pour la troisième fois seulement (il s’agissait de médiumnité mécanique). Nous savons que M.H… ne connaît pas l’anglais et nous savons qu’il n’a jamais été médium écrivain. Nous déclarons que les seules personnes du groupe sachant l’anglais sont la général et le docteur X…

Le général en sait quelques mots ; enfin, les autres membres ignorent absolument cette langue. En ces conditions, les membres virent avec stupéfaction m. H… tracer calmement, méthodiquement ces mots :

My lovery Carmencita, be calm and hope : consult your sister whenever consult … major Branhaudan arrives. Ici la main de M.H… parut être violement saisie par une autre influence, cette main tapota fortement le papier, puis le crayon lui tomba des doigts.

En foi de quoi nous signons :

Carmencita Noël, Général Noël, docteurs X…, V…, Ch. H…, L. H…

Je déclare ne pas savoir l’anglais et être absolument incapable d’écrire moi même la phrase ci dessus mentionnée. En outre, j’ignorais absolument posséder ces facultés médiumniques. Ch H…

Comme on le voit, rien ne manque, à ce procès verbal d’une expérience, on peut dire la plus remarquable de la villa Carmen. Le malheur c’est qu’il s’agit d’une simple fumisterie.

Brelan d’aveux

Le Docteur Z… a recueilli du principal intéressé et du signataire, dont l’autorité fit surtout foi, l’aveu de la plaisanterie.

Le Docteur X… qui savait l’anglais, avait tout simplement fait apprendre par cœur, avant la séance, la phrase en anglaise à son complice en fumisterie. Le docteur X…, ne prévoyait pas à ce moment qu’on ferait signer un procès verbal. Il se trouva pris à son propre piège et l’avoue maintenant fort ingénument. Il est même désolé qu’un tel amusement ait pu troubler la conscience de quelques personnes qui lui ont écrit pour avoir sont attestation particulière et qu’il a, du reste, fort loyalement détrompées.

On peut voir par ce précède comment la simplicité des habitants de la villa Carmen a pu être exploitée depuis dix ans par tous les plaisantins de la ville. La chronique locale fourmille d’anecdotes à ce sujet.

On aurait certainement entretenu pendant longtemps encore le général et la générale dans leur douce illusion si un fait grave intéressant la science, ne s’était produit.

Le professeur Richet a donné à toutes ces plaisanteries, inoffensives jusqu’alors, le poids de son autorité. Ici la chose devient dangereuse pour la science, et M. le docteur Z…, bien qu’il soit désespéré de peiner le général et la générale, croit de son devoir de leur révéler la vérité. M. le docteur Z… accuse le médium Mlle M. B…, de tricherie.

Il raconte qu’en présence de deux jeunes gens de notre ville, qui ne refuseraient pas leur témoignage, elle simula, en manière de plaisanterie, Bergolia, la sœur de Bien Boa. « Puis, est il besoin de tant discuter ? dit le docteur Z… ; j’ai reçu une lettre du général Noël lui même qui me déclara, en parlant de Mlle M.B… :

Elle a brûlé ce qu’elle a adoré, et adore maintenant ce qu’elle a brûlé. En un mot, son père a écrit à l’illustre maître Richet qu’elle avait avoué qu’une trappe existait dans notre salle de séances et que tous les phénomènes obtenus ici, avec Richet et Delanne, étaient dus à la fraude.

Et cela, après nous avoir servi de médium depuis août 1904 et avoir, avec l’autorisation de son père, laissé son nom et celui de ses sœurs paraître tout au long tous les mois dans le Revue de M. Delanne qui a publié le récit de nos séances…

Nous avons donc, dit M. E…, l’aveu même d’un des prétendus médiums, Mlle M.B…Je vais tout à l’heure vous présenter l’autre.

Celui ci, Areski, cocher du général Noël, avait été déjà pris en fraude par M. Delanne lui même. M. Delanne le déclare formellement dans sa Revue de novembre 1905, p.528 :

La loyauté, écrit-il, me fait un devoir de signaler que le cocher arable nommé Areski fut pris deux fois par moi en flagrant délit de tentative de fraude. La première fois en se cachant dans un réduit attenant au cabinet de toilette de Mme Noël, où des coups violents étaient frappés contre la porte de communication pour faire croire à la présence d’un esprit méchant et perturbateur ; la seconde fois en cachant une pièce d’étoffe nommé haïk, dans le baldaquin de la salle des réunions, où je le découvris en visitant le cabinet, un jour où il croyait assister à une séance, où d’ailleurs, il ne se produisit rien.

Cet Areski, qu’on avait ainsi déjà surpris en flagrant délit, parut être au docteur Z.. le complice de B… M.Z… se mit en rapport avec lui et obtint l’aveu que c’était lui qui remplissait, en compagnie de Marthe B…, le rôle de Bien Bola. Bien mieux, sur les instances du docteur Z…, Areski reproduisit en sa présence les soi disant phénomènes de la villa Carmen. Ces phénomènes il va les reproduire ici même.

L’apparition

Sur l’ordre du docteur Z… on baisse tous les becs de gaz de façon que la scène demeure dans une demi-obscurité. On entend bientôt dans le cabinet à matérialisation une formidable série de coups (ce sont des raps, explique le docteur Z…). Puis on entend un frôlement. Les rideaux s’agitent comme secoués par un fort vent.

L’assistance, quoique prévenue, est anxieuse.

Tout à coup, dans l’interstice des rideaux apparaît, se glissant de haut en bas, une forme indécise blanche ; elle disparaît soudain et l’on entend des soupirs étouffés, puis une autre série de (raps) rapides. Les rideaux s’agitent encore.

A hauteur d’homme apparaît une forme de tête blanche qui, lentement, très lentement, examine à droite et à gauche comme pour inspecter l’assistance, puis la tête se retire aussi lentement.

Le rideau est retiré rapidement sur la droite.

Une forme blanche apparaît : c’est Bien Boa, qui glisse lentement et prudemment sur le sol d’une allure hésitante.

Il se baisse par un mouvement lent, insensible, puis se redresse vivement de toute sa hauteur, et tout cela dans un silence impressionnant. Tout à coup, violemment, Bien Boa rentre dans le cabinet. Il va y chercher les fluides nécessaires. Il reparaît ensuite par le bas du rideau en faisant entendre une suite de raps très doux. Il s’aventure hors du rideau et se présente au docteur Z …, qui lui tâte le pouls. « Ainsi, dit il, fit le professeur Richet ». Bien Boa disparaît ensuite avec majesté dans le cabinet de matérialisation.

La séance est terminée.

Le docteur Z… fait allumer le gaz ; non sans avoir essayé de produire avec de l’huile phosphorée les phénomènes lumineux. Mais la préparation pharmaceutique a été mal faite et on ne distingue que très peu une main brillante et une boule de coton phosphorescent.

Areski – Bien Boa

Lorsque le gaz est rallumé, le docteur Z… présente alors à son auditoire Areski, habillée cette fois à l’européenne. « Areski, fait observer le docteur Z…, à la peau basanée, telle que signale M. Delanne. »

Comment Areski, se demande le docteur, pouvait il pénétrer dans le cabinet à l’insu du professeur Richet ? De la façon la plus simple. Il entrait dans le pavillon avec tout le monde, aidait à soulever les tapis, à regarder dans la baignoire et sous les meubles. Puis, lorsque l’attention se portait ailleurs, ou bien lorsque le gaz, brusquement éteint, ne permettait pas aux yeux non encore habitués à l’obscurité de s’apercevoir qu’il se glissait dans le cabinet, Areski se cachait dans l’encoignure gauche de la draperie qu’on venait d’explorer.

Le docteur Z… explique que Mlle B.., ne dédaignait pas aussi de faire son petit Bien Boa. Ainsi s’explique l’étonnement de M. Delanne, qui constatait que tantôt la main de l’apparition était blanche et tantôt brune.

Enfin, continue M. Z…, M. Delanne dit que le 29 août « le rideau est tiré brusquement ; je distingue très nettement dans contestation possible Mlle M. et Aischa la négresse, assises l’une à côté de l’autre ; il n’y a pas à douter que ce soit elles et je les ai vues se mouvoir. En même temps, je vois une grande draperie blanche, comme enveloppant un bras placé très haut, qui achève de tirer le rideau et disparaît avec la rapidité de l’éclair. »

C’était, termine M. Z…, le bras d’Areski déjà habillé en fantôme !

En finissant, M. Z… déclare qu’avant de faire sa conférence il a écrit au professeur Richet pour prévenir, au préalable, de ses intentions. Le professeur Richet n’a pas daigné répondre. M.Z… fera une communication au prochain Congrès de Lisbonne.

Après le docteur Z…., M. Verdier demande la parole. Avec un courage digne du meilleur sort, il entreprend de réfuter les dires de M.Z… Mais l’assistance, devant les faits matériels qu’on vient de lui mettre sous les yeux, ne se laisse pas convaincre par une argumentation abstraite.

Tout ce que M. Z… annonce sur la fraude ou les fraudes de la villa Carmen repose en réalité sur ceci :

On a pu, sur un théâtre, montrer un individu qui, couvert d’un drap blanc, jouait le rôle d’un fantôme, absolument comme dans les Cloches de Corneville, et le public naïf en a aussitôt conclu que les phénomènes de la villa Carmen étaient frauduleux.

Le docteur Z…, n’a pas eu à se mettre en frais de grande imagination pour exhiber à l’université populaire d’Alger un fantôme à si bon compte. Il eut même désiré montrer les phénomènes lumineux en employant de l’huile phosphorée, mais ses connaissances en chimie n’ont pas été suffisantes pour réussir cette petite préparation.

Toute cette scène qui se passait dans un silence impressionnant a ému l’assistance. Elle avait cela de piquant que l’acteur jouant le fantôme était le cocher du général Noël, un nommé Areski, renvoyé par le général pour malversations et mensonges.

Comment le cocher Areski est il intervenu ? Le docteur Z… nous l’apprend. C’est tout simplement en entrant avec nous dans la salle des séances, et cela par des procédés qui ne semblent pas mystérieux, c’est à dire en examinant, conjointement avec nous, le tapis, la baignoire et les meubles ; puis lorsque l’attention se portait ailleurs, il se glissait dans le cabinet et se cachait derrière le rideau.

Or je tiens à déclarer formellement et solennellement que, sur les vingt expériences environ auxquelles j’ai assistés, pas une seule fois il n’a été permis à Areski d’entrer dans la salle des séances. Ses agissements nous avaient inspiré assez de méfiance pour que nous prissions soin de la tenir complètement à l’écart. J’ajoute qu’il lui eut été impossible aussi bien de sortir du cabinet que d’y entrer ; et que, de toutes les hypothèses de supercherie qu’on peut imaginer, celle d’Areski ou d’un autre personnage entrant et sortant à notre insu est de beaucoup la plus invraisemblable. Elle est même tellement invraisemblable que j’ai peine à croire qu’il puisse encore se trouver un individu de bon sens capable d’y ajouter foi.

Ce sont propos de cuisine ou d’écurie que j’eusse dédaigneusement passés sous silence, si le docteur Z… n’avait voulu révéler à l’univers ces menteries d’une domestique renvoyé.

Restent les deux autres aveux, ou soit disant aveux, qu’a récoltés après enquête le docteur Z… Il raconte d’abord qu’un médecin, dont il a la pudeur de ne pas donner le nom, aurait fait à Mme Noël une face consistant à apprendre par cœur une phrase en anglaise ridicule et à la donner ensuite comme preuve d’un pouvoir médiumnique imaginaire. Eh bien ! Je déclare que je ne connaissais pas la plus petite parcelle de cette histoire ; qu’il n’en a jamais été question dans mon récit, que je ne suis aucunement responsable de ce qui a pu être dit et fait en dehors de moi[12], et que je plains sincèrement, si l’histoire est vraie, et le médecin qui consentit à jouer ce rôle et Mme Noël qui a accueilli avec bienveillance un tel personnage.

Quant au soit disant aveu de Mlle Marthe B…, c’est, d’après M. Z…, qu’il y a une trappe dans la salle des séances. Or :

1° Jamais Mlle Marthe B… n’a écrit ou dit qu’il y avait une trappe ;

2° Il n’y a pas de trappe.

Nous devons tirer cependant une conclusion, sur les objections qu’après six mois de réflexions, à grand renfort d’aveux extorqués, de contre-enquêtes et d’enquêtes, de faux témoignages, de propos de bas étage, on est parvenu à édifier contre les faits dont j’ai donné le récit.

Ce sont les cinq affirmations suivantes :

1° Un individu habillé d’un drap blanc peut s’amuser sur la scène et faire le fantôme ;

2° Cet individu peut être le cocher du général Noël ;

3° Le cocher du général Noël affirme qu’il a pénétré librement avec nous dans la salle des séances, lorsque cette affirmation est un audacieux mensonge ;

4° Un médecin a fait une face à Mme Noël il y a deux ans en faisant apprendre onze mots d’anglais à un individu qui ne sait pas l’anglais ;

5° Mlle Marthe B… aurait dit que tout se passait par le moyen d’une trappe, alors que d’abord elle ne l’a pas dit et ensuite qu’il n’y a pas de trappe. L’existence de cette trappe à propos de laquelle un avocat d’Alger m’avait écrit une lettre émue que je publie quelque jour, si besoin est, est démentie par le procès verbal qui suit.

J’avoue, pour ma part, qu’en rapportant ces phénomènes extraordinaire de la villa Carmen, leur étrangeté m’avait, malgré toutes les preuves reçues, souvent inspiré des doutes ; et je les avais hardiment exprimés, sans dissimuler leur force. Mais maintenant, après la pauvreté des objections qu’on a pu leur opposer, mes doutes ont en partie disparu.

Charles RICHET


EMILE LOWE, ARCHITECTE S.N

Boulevard Laferrière, I.

Je soussigné, Emile Lowe, architecte expert à Alger, certifie d’avoir visité et examiné l’intérieur et l’extérieur du local dit : Salle des séances de la Villa Carmen, rue Darwin à Mustapha, appartenant à M. le Général Noël.

Cette villa et ses dépendances ont été construites sur mes plans et sous ma direction, en 1893, pour M. Batistini.

Le local dont il s’agit occupe entièrement l’unique étage d’un petit pavillon à droite de l’entrée de la propriété, et était autrefois occupé comme buanderie ; couvert par une terrasse en briques et ciment sur fers à double T, il est construit en maçonnerie de moellons. Le rez de chaussée sert de remise aux voitures, et est séparé de l’étage également par un plancher en fer à double T, hourdé en briques et ciment de 0,23 d’épaisseur.

Dans ces deux planchers, visibles dans toute leur étendue entre les quatre murs, n’existe aucune ouverture ni trappe quelconque[13].

La remise a accès sur la rue Darwin et sur le perron d’entrée ; elle est en outre éclairée par un soupirail situé sous le plancher dans le mur en façade sur le jardin et bien en vue.

La salle de l’étage est éclairée par deux grandes fenêtres dont l’une donne sur la rue Darwin, et l’autre sur le perron d’entrée.

L’accès de la salle est assuré par une porte donnant sue le jardin. Dans le mur mitoyen, entièrement visible de l’intérieur et du jardin voisin, n’existent pas d’ouvertures.

En conséquence, je certifie qu’il n’existe et n’a jamais existé aucune ouverture que celle mentionnées ci-dessus.

J’ai constaté en outre que l’état du bâtiment est tel que je l’ai construit, et qu’aucune réparation n’y a été faite depuis plus de six mois.

Alger, le 16 mars 1906.

Emile LOWE

Vu pour légalisation de la signature de M. Emile LOWE, apposée ci dessus :

Timbre Alger, le 16 mars 1906

De la Mairie d’Alger P. le Maire : l’adjoint délégué

(signature illisible)


LA CONFERENCE DU DOCTEUR X… A PARIS

J’ai assisté à la conférence que M. le docteur X…, de Paris, a donné le 10 mars, et je crois vraiment qu’elle vaut la peine qu’on lui consacre quelques lignes, non pas que cette conférence présente en elle même un grand intérêt scientifique, mais parce qu’elle vient tout de suite après celle du docteur Z… à Alger, comme preuve de la légèreté que plusieurs adversaire de M. Richet ont montrée dans cette extraordinaire polémique.

On sait que, pour le docteur X…, le fantôme de B.B. qu’on voit dans les différentes photographies qui ont été prises, est constitué par une perche soutenue par la main gauche du médium ; Mlle M…, laquelle, par conséquent, serait bien à la place qu’elle paraît occuper dans les photographies, et aurait même pu faire voir sa tête, si elle avait voulu. Seulement, la manche du bras gauche serait vide. Le docteur X… voit même assez clairement la perche en différents points des photographies. Un peu plus loin, dans sa conférences, M . X… oublie tout cela, soutient que le fantôme est représenté par Mlle M… elle même, et en donne pour preuve la ressemblance frappante qui existe entre le visage du médium et celui de Bien Boa, ressemblance qui avait été signalée par M. Richet lui même !

Alors que Mlle M… au dire du docteur X…, soutiendrait la perche d’en bas, la négresse Aischa, cachée derrière le mannequin, la soutiendrait d’en haut. A l’appui de cette thèse, le conférencier, au moyen de projections lumineuses, fait voir successivement à son auditoire deux ou trois photographies, dans lesquelles on n’aperçoit d’Aischa que sa manche. Mais M.X… soutient que celle ci est vide, puisque la négresse, comme on a vu, doit être occupée à soutenir la perche constituant le principal support du mannequin.

Or dans une photographie stéréoscopique (la fig. III b), Aischa est complètement visible à côté de Mlle M…, et du fantôme. C’est la preuve absolue de l’inanité de la supposition faite par le docteur X…. Celui ci résout aisément la question en ne faisant pas voir à ses auditeurs cette photographie, et n’en dit pas un mot.

Ce mannequin imaginé par le docteur X… ne pourrait évidemment pas aller et venir dans la salle comme le faisait B.B. ; surtout, il ne pourrait pas souffler dans le tube à baryte, dans l’expérience si curieuse que l’on connaît. Comment notre conférencier se tire t il d’affaire ? C’est fort simple ; cette fois, le rôle du fantôme est tenu par Aischa. M. Richet avait dit qu’au moment de l’expérience, « il apercevait Aischa, toujours immobile, et très loin du fantôme ». Le docteur X… ne rapporte pas la phrase, et le tout est joué.

Mais il y a mieux. On sait que l’un des phénomènes les plus extraordinaires rapportés par M. Charles Richet – et que M. G. Delanne a également décrit – est celui du fantôme qui paraît sortir du plancher et qui s’y effondre de nouveau, à plusieurs reprises, sous les yeux des expérimentateurs. Le conférencier n’en souffle pas mot. C’est excessivement simple.

Lorsque le docteur X… a fait sa conférence, les journaux parlaient depuis quelques jours du prétendu aveu du cocher Areski. Si l’on devait accepter cette nouvelle version, l’hypothèse échafaudée par le docteur X… s’écroulait comme un château de cartes. Le conférencier le voyait fort bien ; il regrettait néanmoins de négliger cette nouvelle machination pouvant jeter du discrédit sur les séances de la villa Carmen. Il se tire d’embarras en citant les aveux du cocher, mais en les rapportant à d’autres séances auxquelles M. Richet n’aurait pas assisté. Malheureusement, on vient de voir, par le compte rende de la conférence du docteur Z… que les prétendus aveux d’Areski se rapportaient bien aux séances dont M. Richet a été l’un des assistants.

Dans ces circonstances, rien à faire ; il y a contradiction flagrante, absolue, entre l’explication de la fraude donnée par le docteur X…, et celle donnée par le docteur Z…. L’un des deux a nécessairement tort, si toutefois ils ne se trompent pas tous les deux. La logique voudrait qu’ils fussent des adversaires dans cette question, ils s’embrassent au contraire par dessus la tête du bon sens, parce que l’essentiel n’est pas de soutenir une chose vraie ou raisonnable, mais de soutenir que les expérimentateurs de la villa Carmen ont été joués.

Avant de s’occuper des séances de la villa Carmen, le docteur X… avait parlé, dans sa conférence, des expériences de William Crookes, en suivant le même système d’escamotage.

Le conférencier cite quelques unes des expériences de Crookes avec le médium Home – celle de l’accordéon, entre autres, où l’on ne voit pas la possibilité d’une supercherie – et s’en tire en disant : » Trop de temps est passé depuis, et il est difficile de juger ce qu’il en est réellement. » Mais cette difficulté n’existe plus quand il s’agit de commenter quelque circonstance qui semble donner prise à la critique.

Le docteur X… montre successivement le portrait de Florence Cook et celui du fantôme nommé Katie King, pour démontrer que ce dernier n’était que le médium déguisé. Un peu plus loin, il est amené à parler de l’appareil électrique imaginé par Crookes, et qui devait indiquer par une sonnerie si le médium quittait le cabinet pour jouer le fantôme. Alors le conférencier s’exclame : « Mais si le rôle du fantôme était tenu par un compère ! » La question de la ressemblance n’existe plus. Et ainsi de suite.

L’un des auditeurs, le vaudevilliste M. Albin Valabrègue, impatienté, interrompt le conférencier : « Faites donc connaître au public ce que dit Crookes lui même ! ».

Et comme le conférencier n’entend pas de cette oreille, M. Valabrègue finit par prendre la parole et citer une constatation de William Crookes, qu’il publia ensuite dans le Gil Blas (16 mars), et que je crois utile de rapporter ici à mon tour :

« Dans une autre occasion, quelqu’un de la Société demanda à Katie King, au commencement de la séance, de dire pourquoi elle ne pouvait pas apparaître à la lumière de plus d’un bec de gaz. La question parut l’irriter et elle répondit : « Je vous ai dit à tous, plusieurs fois déjà, que je ne puis rester à la lumière éclatante. Je ne sais pas pourquoi ; mais je ne le puis, et si vous voulez avoir la preuve de ce que je vous avance, ouvrez tous les becs de gaz et regardez ce qui va m’arriver. Seulement, souvenez vous qu’il n’y aura pas de séance, ce soir parce que je ne pourrai plus revenir. Vous avez donc à choisir.

Sur cette affirmation, on alla aux voix si l’essai serait fait ou on, et tous les assistant (M. S.C. Hall en faisait partie) décidèrent que nous préférions voir l’effet de la lumière éclatante du gaz sur la forme matérialisée que d’avoir la séance habituelle, attendu que cela trancherait la question troublante de la nécessité de l’obscurité (sinon des ténèbres) pour les séances de matérialisation à l’avenir.

Nous fîmes donc connaître notre décision à Katie et elle consentie à subir l’épreuve, quoiqu’elle nous dit ensuite que cela lui avait causé beaucoup de mal.

Elle se plaça alors debout contre le mur du salon, les bras étendus comme si elle eût été crucifiée. Trois becs de gaz furent aussitôt ouverts en grand dans cette chambre de près de seize pieds carrés. L’effet sur Katie King fut merveilleux. Elle resta sans changer durant l’espace d’une seconde seulement, puis commença à fondre graduellement. Je ne puis mieux comparer la dématérialisation de sa forme qu’à une poupée de cire fondant devant un grand feu. Tout d’abord, les traits se flétrirent et s’effacèrent, semblant se résoudre l’un dans l’autre. Les yeux s’enfoncèrent dans les orbites, le nez disparut, l’os frontal s’effondra. Les membres parurent rentrer sous elle, elle s’enfonça de plus en plus sur un tapis comme un édifice qui s’écroule. Enfin il n’y avait plus que la t^te sur le sol, - puis plus qu’un léger amas de draperie blanche qui disparut avec une rapidité extrême, comme si une main l’eût après elle, - et nous demeurâmes immobiles sous la lumière crue de trois becs de gaz, les yeux fixés à l’endroit où Katie s’était tenue. »

On comprend qu’il ne convenait pas à la « loyauté scientifique » du docteur X… de s’occuper de cela plus qu’il ne l’avait fait pour les apparitions et disparitions de B.B. à travers le plancher, etc..

Et pourtant M. X… prétend parler au nom de la science. Voici les mots par lesquels il a clos sa conférence, et qui méritent de passer à la postérité : « Les spirites ont fait appel au jugement de la science ; et bien ! Voilà que la science à parlé. ».

L’esprit scientifique, n’en déplaise au docteur X… , n’est pas constitué par le parti pris et par les escamotages de la rhétorique. L’esprit scientifique est celui qui dicte à Charles Richet, loyalement, l’exposition des côtés faibles ou douteux des phénomènes auxquels, il a assisté, mais qui, à côté d’eux, signale courageusement les fait troublants qu’il a observés, en soumettant les uns et les autres à l’appréciations de la critique honnête et sensée. Le docteur X… et bien d’autres x encore préfèrent montrer leur esprit scientifique et critique en acceptant, les yeux fermés, les racontars d’un cocher renvoyé et les potins qu’un professeur de lycée, un avocat et un médecin s’efforcent d’organiser à Alger, depuis trois mois déjà, avec le superbe résultat que l’on connaît. Il y a quelques semaines à peine, un distingué écrivain de Melbourne, Mrs. Charles Bright, en parlant de M. Charles Richet, racontait ce qui suit :

« Le docteur Richet ne manque certainement pas de courage. C’est en 1875, il y a trente ans, qu’il fut le premier savant à s’occuper du somnambulisme provoqué. Il avait alors 23 ans, et commençait son mémoire par ces mots qui paraîtraient ridicules aujourd’hui : « Un certain courage est nécessaire, pour prononcer ces mots de somnambulisme provoqué. » - « Je me souvient, disait M. Richet, l’année dernière, dans son discours présidentiel à la Society for Psychical Research de Londres, « que lorsque j’informai mon père dont la haute raison et la sagacité me guidèrent toujours[14], dans ces études en un domaine prohibé, il reconnut qu’elles étaient correctes ; mais, lorsque je manifestai l’intention de les publier, il m’en dissuada en disant : - Veux tu donc te perdre ? » Heureusement, il finit par reconnaître qu’on ne se perd pas en défendant ce que l’on croit être la vérité. Je ne me suis pas plus perdu en affirmant la réalité du somnambulisme provoqué, que Sir William Crookes ne s’est perdu en affirmant l’existence des matérialisations. »

Ce qui s’est produit pour le somnambulisme artificiel se répète actuellement, d’une manière frappante, pour les phénomènes médianiques. Ce sont toujours les mêmes gros mots de superstition et de science dont l’explication se trouve intervertie en moins de trente ans. C’est toujours la même lutte entre les personnes qui affirment après avoir expérimenté, et celles qui nient sans avoir expérimenté. Les arguments que l’on tirait jadis des innombrables supercheries des somnambules sont appliqués actuellement aux innombrables supercheries des médiums. Les expérimentateurs « énergiques » mais imbéciles, qui conseillaient des violences pour démasquer les somnambules, les conseillent aujourd’hui pour démasquer les médiums. Les « malins », qui croyaient tirer argument, contre le somnambulisme, des fraudes qu’ils exécutaient eux mêmes, dans le but de convaincre les expérimentateurs, de naïveté, n’ont pas trouvé une méthode plus efficace et intelligente dans les séances médianiques. Malgré cela, le somnambulisme artificiel a triomphé, la télépathie est en train d’en faire autant, phénomènes métapsychiques, malgré les obstacles que leur créent également les négations d’adversaires opiniâtres et les égarements de défenseurs mystiques.

VESME

TABLE DES MATIERES

DE QUELQUES PHENOMENES DIT DE MATERIALISATION.. 2

ETUDES DES PHOTOGRAPHIES PRISE A LA VILLA CARMEN.. 7

DISCUSSION ET CONCLUSIONS. 12

SUR LES PHOTOGRAPHIES ALGERIENNES.

DE M. CHARLES RICHET. 15

A PROPOS DES RECENTES EXPERIENCES D’ALGER.. 20

LES SEANCES DE MATERIALISATION DE LA VILLA CARMEN.. 25

Récit de M. X…... 25

Récit de M. Y. 30

LES POLEMIQUES AU SUJET DES SEANCES.

DE LA VILLA CARMEN.. 42

EMILE LOWE, ARCHITECTE S.N.. 47

LA CONFERENCE DU DOCTEUR X… A PARIS. 48


[1] Les mots entre guillemets sont la reproduction textuelle de mes notes. Les mots soulignés ne sont pas dans mes notes. Je les introduis ici pour rendre intelligible une rédaction écrite fort vite, pour moi même, et souvent obscure.

[2] Au moment où j’écris cet article, je ne sais jusqu’à quel point tous les détails que je donne pourront être visibles sur les planches annexées à mon travail. Ce que je puis dire, c’est qu’ils apparaissent très bien sur les clichés que j’ai sous les yeux.

[3] Ai-je besoin de m’excuser auprès de M. et Mme Noël, et de Mlle Marthe, B.., si je discute en pleine liberté leur bonne foi et leur sagacité ? Ils savent tous trois quel est mon respect pour eux et ma profonde reconnaissance. Mais le devoir du savant en pareil cas n’est pas le même que le devoir de l’ami. S’il s’agissait de ma fille ou de mon fils je ne pourrais agir autrement.

[4] Le professeur Richet remarque ici : « il est parfaitement vrai que B.B. possède les attributs essentiels de la vie. Il marche, parle, se meut, respire comme un être humai,. Son corps est résistant : il y a une certaine force musculaire ».

[5] Le professeur Richet place ici la note suivante : « j’ai vu la même apparition fantomatique en 1903, au cours d’une série d’expériences trop courtes pour avoir une valeur scientifique définitive, et le médium était une tout autre personne – une femme de trente cinq ans. En outre, le Dr, deux officiers de marine MM. X … et Y …, et d’autres personnes, sans compter nos hôtes, ont vu le même fantôme cinquante fois au moins avec le médium précédent ».

[6] M. Charles Richet note qu’il ne put alors distinguer nettement les traits de Marthe. Mais M. Richet était mal placé pour apercevoir distinctement les traits d’une personne assise à l’endroit ou se trouvait Marthe. Marthe semblait toujours très doublée physiquement lorsqu’une lumière tombait sur sa figure, et elle s’asseyait toujours dans l’ombre formée par le rideau à la ligne A (voir diagramme dont il a déjà été question) afin d’éviter les rayons directs de la lumière.

[7] Nous avons jugé utile de publier les passages les plus intéressants des récits de MM. X … et Y … sur quelques séances de « matérialisation » qui ont eu lieu à la villa Carmen, à Alger, en 1902. D’abord, ces comptes rendus contiennent nombre de détails intéressants qui contribuent à éclaircir et à confirmer les récits qui ont dernièrement paru dans les Annales. Ensuite, les phénomènes dont on va lire la description offrent le très grand avantage d’avoir été obtenus avec un autre médium que Mlle Marthe B…, Enfin, à part le général et Mme Noël, le groupe était entièrement différent de celui qui assistait aux séances en 1905. Inutile d’ajouter que, bien que nous ne puissions pas publier les noms de MM. X… et Y…, à cause de la position officielle qu’ils occupent, nous connaissons personnellement ces deux savants, dont l’intelligence et le caractère sérieux ne peuvent que donner du poids à leur relation.

[8] La séance devrait avoir lieu dans la pièce au premier étage du petit pavillon dont le rez-de-chaussée sert de remise, et dont il a déjà été question dans le compte rendu de M. Charles Richet – Note de la R.

[9] Luisa était domestique chez Mme Noël depuis quelques mois. Vincente venait à la villa plusieurs fois par semaine comme ouvrière ; elle interrompait son travail de couture pour prendre part aux séances et n’était pas rétribuée en tant que médium. - note de M.Y

[10] Note sur Vincente. – Taille moyenne, 35 ans, apparence intelligente et douce, yeux bleus et fins, cheveux blonds, très maigre, pommettes saillantes, yeux très enfoncés, teint rose. Illettrée (j’ai lu une lettre pleine de fautes d’orthographe et écrite comme par une enfant). A subi une grave opération à 25 ans, depuis a eu de nombreux vomissements de sang, une pleurésie, une appendicite. A une fille de douze ans. Son mari est maçon, elle couturière. Elle était ouvreuse au théâtre, mais maintenant une place de concierge.

[11] Le nom du conférencier est donné en entier par le journal en question.

[12] Aussi bien pour ce qui a été dit, que ce qui sera dit. Je laisserai sans répondre s’écouler le flot boueux des allégations fausses et des histoires inventées. Je suis pleinement responsable de ce que j’ai écrit ; nullement responsable des écrits qu’on me prête ; des interviews frauduleux qu’on m’attribue, et des racontars mensongers qu’on colporte. A tout cela j’oppose un démenti total et formel.

[13] Ce passage, ainsi que celui qu’on rencontrera un peu plus loin, a été souligné par la rédaction – N de la R.

[14] On sait que le Prof. Alfred Richet, père de M. Charles Richet était un chirurgien éminent.